il est indispensable de se munir de provisions : on ne peut rien se procurer là-'
haut, pas même le pain et l’eau ; non pas que les.caussenards soient misérables,
comme on l’a trop souvent répété. La culture des céréales, assez prospère sur
ce terrain de chaux, et l’élève du bétail ont, tout au contraire, répandu quelque
aisance en ce bout du plateau ; mais ces aborigènes-arriérés considèrent la défiance
comme une vertu cardinale. Pour eux, les rares étrangers qui viennent les visiter
sont des agents du fisc chargés d’imposer les débitants de denrées ; aussi se gardent
ils bien d’exhiber le moindre aliment, même à prix d’argent; ils se retranchent
passivement derrière un idiotisme d’emprunt et un patois incompréhensible,
dont je, parle ici par expérience. Pendant les journées où j ’ai erré, de ferme en
hameau, autour des entonnoirs et des avens, je n ’ai pu souvent obtenir ni un oeuf
ni du pain !
On voit que le causse Méjean, à part quelques points de son pourtour, ne doit
guère tenter le promeneur : 'Ie parcours, toutefois, en est réellement curieux, tant
pour le grand effet de sauvagerie et de solitude que pour son .contraste avec les
canons d’alentour.
Près de Saint-Pierre se trouvent les célèbres grottes de l ’Homme-Mort, l’une
ayant servi d’habitation et l ’autre de. lieu de sépulture aux populations préhistoriques.
Ces grottes, signalées en 1870 par le docteur Prunières, de Marvejols, pnfe
été de nouveau fouillées par lui et le docteur Broca en 1872. Vingt crânes bien
conservés et une cinquantaine de squelettes y ont été découverts.
Leur étude a conduit à des conclusions très importantes pour la science préhistorique.
Mais ce sujet rentrera plus loin dans un chapitre spécial7{ V. chap. XXVI.)
Si le causse Méjean proprement dit n ’est point pittoresque en lui-même, son
extrémité Sud-occidentale, son promontoire terminal au-dessus de Peyréleau et
du Rozrer, au confluent de la Jonte et du Tarn, est, au contraire, l’objet d’une
des plus admirables promenades de la région des Causses tout entière, qui peut
être combinée avec celle du pas de l’Arc et du mont Buisson.
Il s’agit de la visite de Capluc et des corniches qui l’avoisinent.
Du Rozier au village de Capluc, on monte en trois quarts d’heure par des zigzags
entre des vignes et des pierrailles. A 610 mètres d’altitude, le hameau est.
tapi dans le pied évidé d’un rocher gigantesque, dressé lui-même' comme une forteresse.
sur l’arête étroite qui sépare en cap la fin des deux gorges. Celles-ci se
joignent à 225 mètres en contre-bas du village.
On se demande par quel prodige d’équilibre l’énorme et -bizarre masse de
pierres n ’est pas encore tombée sur les masures auxquelles elle sert de parapluie.
Les documents des xie et xn° siècles nous montrent là un vassal des rois d’Aragon.
Cette assiette exceptionnelle a dû en outre être utilisée par les Romains, qui lui
avaient donné son nom, caput lucis (tête de lumière); assurément parce que les
premiers rayons du soleil levant on doraient la pointe avant d’atteindre la vallée.
Quelques auteurs veulent que l’étymologie soit simplement caslticum, équivalant
à caylus ou caylar et signifiant château.
Au ro c fut superposé un fort, célèbre au moyen âge, qui commandait jadis le
débouché du Tarn et de la Jonte et une partie de la plaine de Millau. Quelques
débris en sont encore épars jusque dans le hameau, où une chapelle romane sert
de grange; on voit aussi les vestiges d’un mur d ’enceinte englobant toute la
plate-forme du rocher, avec des trous de portes et des fragments de ferrures.
Cette plate-forme, autrefois entourée de remparts crénelés, domine le village
et supporte, de plus, un monolithe naturel colossal, percé d’une petite grotte :
là se trouvait la guérite de la vigie du-château ; elle devint pendant la Révolution
Le Yase de Sèvres. Dessin de Vuillier, phot. Chàbanon.
(Communiqué par le Club alpin.)
le refuge et l’autel de quelques prêtres fugitifs. Une grande citerne, recouverte
d’une voûte romane, est creusée sur le devant de la plate-forme. Au sommet
même du monolithe, inaccessible sans échelle, on a trouvé une excavation en