A 7 kilomètres de Gorniès, un vallon secondaire renferme Saint-Laurent-le-
Minier, qui doit son nom à d’assez riches gisements de zinc et de cuivre exploités
par la société d e là Vieille-Montagne. Non loin d e là , la grotte de la Salpetrière
est un riche ossuaire d'Ursus spelæus, comme Nabrigas : un fouilleur y a ramassé
en une heure deux cents dents sur une surface de 1 mètre carré.
Une usine, au bord de la Vis, semble perdue dans cette solitude lumineuse et
calme. Lorsqu’on approche de Ganges, le tableau change, le pays devient âpre
et brûlé par le soleil, et, sur la rive droite, des meuses, immenses roues en bois,
portent l’eau sur les terrasses ensoleillées, couvertes de vergers.
Ganges, clief-lieu de canton de 4,369 habitants (la comm., 4,103 aggl., en majorité
protestants), station du chemin de fer de Nîmes au Vigan, au confluent
(180 m.) de l’Hérault et du torrent de Sumène (le Rieatord, descendu du Liron
[1,180 m.]), n’a de remarquable que sa situation et ses industries séricicoles.
Son ancien château, aujourd’hui ruine sans intérêt, rappelle un drame qui
tient du roman : l’empoisonnement de la marquise de Ganges.
Au milieu du xvn* siècle, Diane de Joannis de Ghâteaublanc de Roussan, descendante
au quinzième degré du roi saint Louis, fille d’un riche gentilhomme
d’Avignon, mariée à douze ans, en 1647, au marquis de Castellane et veuve,dès
1688, était réputée la-plus belle et vertueuse femme du royaume de Louis XIV ;
en 1688', le marquis de Ganges, bien que plus jeune qu’elle de deux ans, fut jugé,
le plus digne de la relever do son veuvage. Au château même s’écoulèrent, après
leur mariage, plusieurs années de bonheur sans mélange, scellé par la naissance
de deux enfants. Puis les deux frères du marquis, l’abbé et le chevalier de
Ganges, jaloux de tant de félicité, se mirent en devoir de la troubler. Animés
d’une criminelle passion pour leur infortunée belle-soeur, les misérables; au lieu
de s’entre-tuer, en vulgaires rivaux, pactisèrent et mirent en commun leurs
basses intrigues pour réaliser leurs noirs desseins, décidés même au meurtre si
l’insuccès transformait leur amour en haine. Ainsi en advint-il, car rien ne
pouvait faire succomber la vertueuse marquise ; son esprit déjoua toutes les
embûches ; sa volonté repoussa toutes les séductions. Longue fut la tramé tissée-
conlre elle et qui aboutit, par la calomnie, à la rendre suspecte à son époux. Parvenus
là, les deux complices purent tout oser, et s’associèrent pour le crime un
certain abbé Perret, indigne de son titre, mais digne d’être leur sbire, Lé 17 mai
1667, la marquise reposait dans ses appartements; le chevalier était à ses côtés,
affectant, comme à l’ordinaire, une hypocrite sollicitude. Soudain l’abbé de Ganges
entre précipitamment, le pistolet d’une main, une coupe empoisonnée dans
l’autre : « Il faut mourir, madame, choisissez. » Son frère tire l’épée : la marquise
se méprend.à ce geste, et se jette dans ses bras : « Chevalier, sauvez-moi. »
Mais lui, cruellement : «; Il faut mourir, madame, choisissez. » — L ’horrible
scène dura longtemps ; à toutes les larmes et supplications de leur victime affolée
les bourreaux répondaient seulement d’une voix sourde : « Le-feu, le fer ou le
poison, » lui présentant les trois instruments de mort, n ’osant de leurs mains
perpétrer eux-mêmes leur forfait. A bout de forces, la pauvre femme prend la
coupe, là vide, et demande aux barbares un confesseur; ils se retirent satisfaits
et font envoyer à la mourante, par un raffinement de cruauté... leur propre
agent, l’abbé Perret. Laissée seule un instant, la marquise saute par une fenêtre
élevée de 22 pieds au-dessus du sol ; Perret arrive à ce moment, la saisit par la
robe, qui cède, et ce mouvement la fait retomber sur ses pieds sans mal : en vain
l’abbé cherche à lapider sa proie avec les grands vases de fleurs qui ornent la
croisée : il ne peut empêcher sa fuite ni sa retraite chez un serviteur dévoué,
qui administra de suite un énergique contrepoison, bien ta rd , hélas ! Au surplus,
le chevalier et son frère, instruits par leur trop fidèle espion, accourent, le
blasphème aux lèvres, l’épée nue à la main : la marquise, brûlant d l i è v r e .
demande un verre d’eau : ils le lui brisent sur la figure; puis la rage les transporte,
et cinq fois leurs lames percent le corps de Mm’ de Ganges. A ses c ris; la
foule s’amasse, envahit la maison, et dans le tumulte les. meurtriers réussis-
Gorge de l’Hérault : défilé de Thaurac. — Phot. Chabanon.
' ' (Communiqué par le Club alpin.)
sent à fuir. Les blessures du fer n ’étaient pas mortelles : la marquise est ramenée
chez elle, suppliant que l’on ne fasse pas connaître les assassins, qu’ils soient
épargnés pour l ’amour d’elle, tant était généreux le caractère de l’infortunée !
La population de Ganges, qui adorait la femme de son seigneur, était dans la
désolation. Quant au marquis, absent et instruit de tout, il demeura dans Avignon
deux jours encore après que la nouvelle lui fut parvenue, effet sans doute du venin
soufflé à son oreille par ses deux frères. Le parlement de Toulouse fit instruire
le procès : M““ de Ganges, en sainte chrétienne, et pour laisser aux coupables
le temps de s’esquiver, demanda et obtint que l’enquête ne s’ouvrît pas avant
qu’elle fût transportée chez sa mère, à Avignon.
Là, l’influence profonde du poison ne tarda pas à exercer ses ravages : le
remède n ’avait pas été assez rapide; au bout de quelques jours, la marquise