saurait arguer d’une plus grande jeunesse relative pour les basaltes de l’Aubrac :
p ar leur gisement et leur superposition, ils ressemblent on tous points à ceux de
la Limagne ; à Gergovia, au plateau de la Serre (Puy-de-Dôme), les coulées ne
sont pas plus élevées au-dessus des thalwegs ni plus brusquement coupées qu’à
Samt-Chély; pourquoi couronnent-elles les crêtes maintenant, si ce n ’est parce
que les érosions et les trombes diluviennes ont affouillé et défoncé les espaces
vides laissés entre elles, sur un terrain moins dur que le basalte? Et dans ce
cas, où le creusement a-t-il été le plus rapide : dans les granits de l’Aubrac ou
dans les calcaires de la Limagne? Le Cantal et le mont Dore présenteraient peut-
être le même aspect, un haut plateau partagé en cases par d’étroits rubans volcaniques,
si leurs vomissements basaltiques avaient été moins abondants, si les
trachytes n ’étaient venus, avant ou après (adhuc sub judice lis est), entraver cet
épanchement en quadrillage ou remplir les alvéoles ultérieurement? Mais nous
tombons dans les spéculations théoriques. Laissons donc ce sujet scabreux, et
contentons-nous de signaler aux savants l’importance géologique des volcans
d Aubrac, purement basaltiques.
Ajoutons seulement que c est bien à tort que certains narrateurs ont appelé le
plateau des Lacs plateau de basalte. On est bel et bien sur le granit ou le gneiss,
et plusieurs irruptions de basaltes, de nature et d'âge très différents, y ont jeté
comme une sorte de réseau les coulées en question, que dominent çà et là quelques
dykes.
Tel est 1 Aubrac, peu fait pour tenter et satisfaire les promeneurs ordinaires ;
mais les géologues ne le jugeront pas aussi défavorablement, bien au contraire,
et c est à leur intention que je m’attarde si longuement sur cette région complètement
délaissée, à peine étudiée, presque inconnue.
CHAPITRE XX
B O IS -D E -P A ÏO L IV E ET MONT MÉZENC
Les Causses, les Cévennes, l’Aubrac, renferment les principales mais non les
seules curiosités des montagnes qui forment l’épine dorsale de la France méridionale
à l’ouest du Rhône; entre ce fleuve et le plateau central d’Auvergne,
il reste encore à visiter le Bois-de-Païolive, le pont d’Arc, Vais, le Mézenc, le
Puy-en-Velay', en un mot l’Ardèche et la Haute-Loire. Ces deux départements
sont mieux connus que la Lozère, grâce aux voies ferrées et aux villes d’eaux.
Sur le chemin de fer de Clermont à Nîmes, on admíreles défilés de l’Allier et les
travaux d’art des ingénieurs. A l’est de Villefort, la région de la Borne*, avec ses
gorges sauvages, est la plus pittoresque route pour arriver aux Vans, chef-lieu
de canton de l’Ardèche (2,066 hab. ja comm., 1,641 aggl.), et au Bois-de-Païolive,
la deuxième cité de ruines calcaires de la France, intermédiaire, pour les
1. F. le Guide Jeanne des Cévennes.
proportions, entre ses soeurs aînée et cadette Montpellier-le-Vieux et Mourèze.
MM. Lequeutre et P. d’Albigny nous ont tout dit sur . ce Bois. C’est bien un
dédale de ruines cambodgiennes, où il est impossible de s’aventurer seul. Si
l’on vient de Vais ou d’Alais, inutile d’aller jusqu’aux Vans (pourvu que l’on
ait emporté à déjeuner et surtout à boire, car il n ’y a pas plus d’eau qu’à
Montpellier-le-Vieux),: descendez du train à Berrias-Beaulieuou à Saint-Paul-Ie-
Jeune (ligne d’Alais au Teil et à Vais), sautez dans la carriole ou la patache
du courrier, et arrêtez-vous au Mas-de-Rii)ièrei devant l ’enseigne de Benjamin
Miquel, « guide patronné par le Club alpin », comme il s’intitule fièrement. Le
brave casseur de pierres demande S francs et six à huit heures de marche : en
échange, il conduit dans tous les coins de.:ce fantastique labyrinthe oriental,
dont pas un détail ne lui est inconnu. Une telle journée n ’est pas du temps
p e rd u , ainsi que le- prouvent surabondamment'les gravures ci-après et les
emprunts suivants, faits aux vulgarisateurs du Bois.
« Païolive n ’est pas un bois, mais une ville, la plus originale des villes, avec
des rues, des avenues plantées d’arbres, des squares, des maisons, et même avec
des arcades, des statues et des clochetons. Nulle part les fantaisies de la pierre
n ’ont été poussées à un tel degré.
« Avec un peu d’imagination, ce n ’est plus un désert sauvage; mais un musée
qu’on a sous les yeux.
« Les énormes cubes massifs de calcaire blanc y figurent fort bien des temples
et des maisons, maisons aux innombrables cavités, qu’habitent seulement les
renards,^ les blaireaux et les serpents.
• « On dirait une cité antédiluvienne pétrifiée dans le grand naufrage. »
(M. Mazon, Un Roman à Yak.)-
■ « Les-fentes de près de 100 mètres de hauteur à travers lesquelles le Chas-
sezac s’est fait un passage tortueux depuis Chassagnes jusqu’à Saint-Alban se
sont produites, dans l’oxfordien, après la retraite de la mer tertiaire, de la même
manière que ¡les grandes coupures à parois verticales des calcaires néocomiens
qui .encaissent l’Ardèche depuis Vallon ju sq u ’à Saint-Martin; de la même
manière que les coupures de rochers cubiques et caverneux de Ruoms et de
Païolive, dont les dédales infinis sont séparés par des couloirs ombragés de
vignes, de figuiers et de chênes vigoureux.
« Le Bois-de-Païoiive réserve aux touristes des surprises délicieuses et très
variées. C’est un vrai labyrinthe, mais un labyrinthe à ciel ouvert, où l’on se
trouve entouré de toutes parts par des blocs de marbre gris-blanc qui s’élèvent
au-dessus du sol comme des portiques, des ponts naturels, de vieux remparts ou
des tours féodales. Les uns n ’ont que 1 mètre de hauteur, à côté d’autres qui en
ont plus de 10 .
« Leur distance varie autant que leur hauteur et leur volume.
« Souvent de lourdes masses reposent sur un très petit piédestal de même
nature, mais rongé par sa base.
« D’autres sont renversées et ne touchent que par un angle à la roche fondamentale,
appuyant leur tète décharnée contre un rocher voisin non renversé.
« Au milieu de ces masses bizarres, qu’on prendrait pour des fortifications
restées debout après un tremblement de terre, se trouvent des sentiers étroits,
1. V. M. L e q u e u t r e , ,4 unitaire du Club alpin français, 1879 p. 324-860; — Paul d ’A l b i g n y , Exploration du
Bois-de-Païolive ; Privas, Roure, 1881, in-8°, 117 p.