siècles, mentionné dans une charte de 1082, faisait la joie de Prosper Mérimée ; à
deux lieues au nord de la ville, dans la sévère combe do Bonneval, toute noire de
sapins, les majestueuses ruines du même nom se relèvent peu à, peu ; réoccupé
depuis 1876 par des trappistines, l’antique monastère de bernardins, grâce à de
généreuses donations, ne tardera pas ârecouvrer sa splendeur passée, qui remonte
à 1147. Déjà il est éclairé à la lumière électrique, la Boralde fournissant la force
motrice. Là fut enterré le connétable d’Armagnae (p. 100). Espalion est dominé
p a rle s belles ruines du château des-comles de Calmont, dont l ’un est le héros de
la ballade du pas de Soucy. (F. p. 60.)
De la Guióle on pourrait, par une route qui traverse plusieurs vallées et l’épais
bois de Rigambal, gagner directement le centre même du massif; mais la seule
partie vraiment recommandable de l’Aubrac serait alors négligée. Dans le riant
bassin du Lot, encerclé de pitons calcaires et basaltiques où se lézardent de vieux
châteaux, l’église de Saint-Côme (1,948 hab. la comm., 979 aggl. ; xve siècle)
possède un joli portail à vanteaux de bois rudement sculptés et datés de 1532. Au
nord-nord-est, la route vicinale, le ruisseau de Boralde ou les ravins de Castelnau-
de-Mandailles, au choix, conduisent à Saint-Chéhj-d’Aubrac, chef-lieu de canton
d e l’Aveyron (1,867 hab., la comm., 574 aggl.; 795 m.); c’est de là qu’il faut remonter
sur le plateau. Les amas glaciaires, les cascades morainiques et les gneiss
striés du Pradou, les aiguilles de rocs et de ruines de Belvézet, les énormes prismes
de basalte hauts de 20 mètres, tantôt allongés en colonuades au bord des
crêtes, tantôt groupés en immenses faisceaux, comme au bastion isolé dit le Roc,
les forêts de hêtres où la lumière et les écureuils jouent gaiement dans les feuilles,
font paraître bien courtes les deux heures qui mènent à Aubrac (environ
1,250 m.). (F. feuille de Mende, 196.) Ce hameau, composé de trois hôtels et de
quatre maisons, est devenu une station d’été pour les familles aux goûts très modestes
; on y va faire une cure d'air et de petit-lait. La rusticité a banni la mode et
la pose, mais non le confortable, de cette retraite calme et sauvage ; le touriste, en
quête de merveilles et d’étrangetés, est tout étonné de rencontrer là, de juin à
septembre, une centaine et parfois plus de Parisiens, petits rentiers, commerçants
et employés ; ils viennent chercher repos et santé, èt fuient, loin des bains
de mer mondains, le dandysme tapageur et frivole. Le site est sévère, la nature
n ’a rien construit de surprenant, et un casino n ’existera pas d’ici longtemps à
Aubrac ; mais l’horizon s’ouvre bien vaste, la vallée s’enfonce mystérieuse sous
bois, d’étroits sentiers se perdènt dans les ravins rocheux, et je comprends que.
de douces heures s’écoulent au milieu de ces solitudes embellies par la bonne
humeur et les joies simples de la famille. Xavier de Maistre eût voulu rêver ici
avec l’ami « qui préfère l’ombre d’un arbre à la pompe d’une cour ». Du vaste
hôpital de Notre-Dame des Pauvres ou dômerie d’Aubrac, qui, de 1120 (?) à 1793,
s ouvrait à toute heure aux égarés de la montagne et distribuait à tout Venant
1 énorme miche de pain frais, il subsiste seulement des restes épars : la tour carrée,
tranformée en auberge; l’église informe et nue, dont la Révolution n ’a pu
ruiner la remarquable voûte en berceau (xne siècle)-, mais dont d’inintelligents
restaurateurs modernes ont fait disparaître les derniers restes de sculpture ; le
bâtiment du réfectoire, avec ses portes de la Renaissance, aujourd’hui maison des
gardes forestiers ; dans le clocher, dépourvu de tout caractère, une maisonnée
entière de paysans habite, sous le four du curé, qui fait cuire son pain par le
sonneur! lo u t cela manque-t-il de cachet? Non certes; mais l’idée que l’on
peut s’en faire et le souvenir qui en reste charment plus peut-être que la visite
effective.
Ce clocher renferme encore la fameuse cloche des Perdus, que les moines sonnaient
pendant deux heures en signe de ralliement dès que le jo u r baissait et
tout le temps que duraient les terribles tourmentes de l’hiver. Elle porte comme
inscription : Errantes revoca, et elle a eu son odyssée en 1793 : le Comité révolutionnaire
ayant ordonné de la transporter à Espalion pour la fonte, les gens
d’Aubrac, chargés de l’opération et soucieux de sauver leur antique cloche, la
firent verser dans un ravin très boisé, d’où les républicains n ’eurent garde de la
tirer. La tourmente politique une fois passée, les paysans s’en furent la quérir
et la réintégrer religieusement dans son clocher.
Au moyen âge, Alard ou Adalard vicomte de Flandre, revenant d’un pèlerinage
en Espagne (Saint-Jacques-de-Compostelle), s’égara la nuit, pendant
un orage, sur l’Aubrac, alors infesté de brigands. Invoquant Dieu dans ce
danger, il entendit une voix céleste lui ordonner de. bâtir à Aubrac une église,
un monastère, un hospice. La fondation fut consacrée et richement dotée,
in loco horroris et vastæ solitudinis, en 1022 ou 1028 selon les uns, en 1 1 2 0
selon les autres : les prêtres priaient; les moines, organisés en ordre de chevalerie,
escortaient les voyageurs et purgeaient le Rouergue des routiers qui
le désolaient; les clercs et oblals traitaient les pèlerins, les pauvres, les malades.
Dans une demeure à part, des dames nobles, faisant partie de la confrérie,
soignaient les femmes. En 1160, l’ordre fut placé sous la règle de Saint-
Augustin. Les moines d’Aubrac reçurent des donations considérables des rois
d’Aragon et des comtes de Toulouse; ils portaient au côté gauche de leurs
robes noires une croix d’azur à huit pointes en taffetas ; cet emblème décorait
aussi leur bannière, qui figura souvent avec honneur sur les champs de bataille.
Lors d’un voyage à Montpellier, en 1162, le pape Alexandre III, voulant constater
par lui-même que la renommée ne l’avait point trompé sur les mérites de la
communauté, fut visiter l ’abbaye ou dômerie d’Aubrac sous un déguisement :
convaincu par sa propre expérience de la haute valeur de l’institution, il sollicita
et obtint l’honneur d’en être reçu membre. Les Templiers et les chevaliers de
Saint-Jean de Jérusalem furent si jaloux de la gloire acquise par les moines d’Aubrac
en Palestine, qu’ils cherchèrent, par surprise, en 1297, sôusBoniface VIII,
puis plus tard sous Jean XXII et Clément V, à les absorber par voie d’incorporation.
Ce fut en vain, et eux-mêmes disparurent avant les chevaliers d’Aubrac, qui
subsistèrent jusqu’en 1696. A cette époque, Louis XIV ne put les rappeler à
l’observation de leurs règles primitives qu’en les supprimant, ou du moins en les
transformant en un couvent de chanoines réguliers dits de la Chancellade, ce qui
ne leur laissait plus des chevaliers que le titre (concordats de 1696,1697 et 1698);'
Leur charité, d’ailleurs, ne s’en ralentit guère, et les devoirs de l ’hospitalité demeurèrent
sacrés parmi eux.
Le somptueux Saint-Bernard de l ’Aubrac a été presque en entier détruit en
1793 ; alors ses archives, si précièuses pour l’histoire, firent un feu de joie sur la
place de Saint-Geniez-d’Olt. Déjà, le 17 septembre 1700, un incendie en avait
anéanti une p a rtie1.
Il y a cinquante ans à peine2, ses ruines étaient bien romantiques dans leur
1. L’abbé B o u s q e u t , l’Ancien Hôpital d’Aubrac. Rodez, 1841, in-8° et gr.
2. V. T a y l o r , etc., Voyage dans l’ancienne France : Languedoc, t. Ier, 2° partie, pl. 8 4 , 8 5 et 8 6 .