trop longtemps permis à quelque hobereau insoumis de narguer son suzerain
ou servi d’antre aux routiers ravageurs I
L ’énorme source en amont du village rend à elle seule le Tarn navigable pendant
huit mois de Tannée et marque le point de départ de la navigation en barque.
Selon la légende, « là se trouve un four si grand et si vaste qu’avant qu’on
en ait fait le tour le pain qu’on y met est déjà cuit, parce qu’il est creusé dans
la caverne d ’un rocher dout le circuit est de 3 ou 4 lieues1. » Il est assez difficile
de trouver une relation quelconque entre cette description et la topographie de
la localité.
En juillet 1888, nous avons exploré l’intérieur de la fontaine de Castelbouc.
Pour le service d'un gros moulin, la source a été barrée, et cette retenue forme
un ravissant laquet de -15 à 20 métrés de diamètre, d’un bleu de turquoise accentué
par la profondeur; sur les deux tiers de son pourtour, ce bassin a pour
margelle une falaise verticale ou surplombante, d’où pend en longues lianes un
épais entrelacs de verdure ; les rameaux extrêmes des gros arbres fichés dans les
fentes et des arbriseaux grimpeurs trempent et s’agitent dans Tonde claire et
bruyante; car une haute fissure, large de quelques mètres, divise l’escarpement
à l ’extrémité du petit lac et livre passage à un puissant courant. Si, à l’aide d’un
léger baleau, on s’introduit dans cette fente, on la voit bientôt se voûter en
caverne au-dessus d’une forte cascade : ici la vraie source sort de la terre, ou
plutôt de la grotte, et son bruit se perçoit du moulin même, d’où cependant Ton
ne voit pas la chute, Celle-ci s’escalade aisément, et, en arrière, le ruisseau souterrain
auquel elle sert de déversoir coule torrentueusement dans une large galerie
haute de 13 mètres, longue de 60 à 70; au bout de cette galerie, un bassin
intérieur de 10 mètres de diamètre s’alimente par un orilîce que nous trouvâmes
presque entièrement obstrué par le courant : quelques centimètres à peine d’espace
libre séparaient,sa voûte du niveau de l’eau. En temps de sécheresse,
cette ouverture doit être un spacieux couloir facile à parcourir. Qu’y a-t-il au
delà? Il faudrait renouveler notre tentative à la fin d’un été peu pluvieux pour
s’en rendre compte. .
Il ne suffit pas de traverser Castelbouc en suivant le Ta'rn : il importe de flâner
une demi-heure dans le ravin qui, derrière le roc, du château, entaille le causse
Méjean jusqu’à son'sommet, l ’ius jolies encore de ce côté se montrent la silhouette
des ruines, la découpure de la falaise et la tapisserie de verdure qui s’y étale ;
à droite et à gauche,, par deux échappées, le regard enfile la galerie du canon;
en face, le rempart du causse de Sauve terre se profile rouge sur le ciel bleu, à
460 mètres en l’air!
« Rien ne saurait rendre l ’effet que produit ce nid de pierre, inondé d’un soleil
magique... cet abri perdu où la nature a apporté plus que l’industrie, niais où la
main de l’homme n ’a eu qu’à se poser naïvement pour ramasser à un point central
les lignes heurtées et rigides d’un paysage presque indigent et donner ainsi. !.>-
l’expression riante de l’art aux traits de la morne arid ité2. »
Puis, pour regagner la route et la voiture, un sentier charmant suit, pendant
1,800 mètres, la rive gauche de la rivière, sur les grèves de sable ensoleillées ou
le long des berges, entre les peupliers, les buis arborescents et les saules : poétique
1. Mémoires historiques sur le pays de Gimudan, par le P. Louvrelbul. 1 vol. in-8?, sans date, imprimé
à Mende vers 1724. —■ 2e édit., Mende, Ignon, 1824, in-8°, p. 66.
2. M a y s t r e , les Gorges du Tarn, Écho des Alpes, 1882, n° 1.
lambeau de campagne plane, étonné de se trouver enfoui entre des escarpements
si farouches. Avant Prades, une! longue muraille de la rive droite répète avec une
incroyable netteté ju sq u ’à sept syllabes consécutives : c’est un des plus remarquables
échos de toute la gorge.
En face de Prades, on hèle une barque pour franchir le Tarn et atterrir au
village. On a là une vue ravissante, et Ton suit au loin l’eau miroitante de la
rivière sinueuse encaissée entre d’énormes éperons de rochers.
La margoule (poule d’eau) rase l ’eau sous le couvert des branches basses; le
martin-pêcheur rafraîchit d’un rapide plongeon les vives couleurs de sa livrée ; la
truite aux reflets d’argent saute après les insectes, et le rayonnant soleil du Midi
dore, comme d’une patine d’antiquité les fausses ruines suspendues 800 mètres
plus haut !
Prades (448 hab. la comm., 247 aggl.), haut perché sur un roc massif, dégringole
à la rivière en une ruelle que des rochers encaissent et que les orages
changent en torrent. •
En 1238, Eraclée, prieur de Sainte-Enimie, revendiqua le château de Prades
comme poste avancé, défense nécessaire de son prieuré. Droit fut fait à sa requête.
Sage concession, car le riche monastère de Sainte-Enimie n ’échappa au pillage
de Merle, en 1881, que grâce à l’héroïque défense de son prieur Fages, enfermé
à Prades. Fages fut blessé d’une arquebtisade au bras ; mais les huguenots no
purent passer outre. Le vieux et lourd château n ’a plus rien d’intéressant.
Au pied du rocher se trouvent une belle source, un moulin et un barrage.
Les environs produisent du bon vin, et c’est merveille de voir avec quelle
patience les cultivateurs soutiennent leurs vignes dans le talus raide des causses,
au moyen de petits murs de pierres appelés payssels.
Encore 6 kilomètres de route pour atteindre Sainte-Enimie; mais elle s’élève
trop, cette route, et combien le parcours en bateau est supérieur en beauté ! Les
flancs du causse de Sauveterre deviennent sauvages comme ceux du causse
Méjean. De gros rochers découpés se dressent à chaque contour. Les dolomies
donnent là une idée de ce qu’elles offriront dans les parages de la Malène. Sur la
gauche, le rocher des Ecoutaz ou des Egoutals doit son nom soit à un écho
moins surprenant que celui de Prades, soit aux gouttes d’eau qui suintent de
ses encorbellements. Puis la Tiaiilas, grande falaise rouge plongée dans la rivière
et taillée ep plate-forme, est bien la halte la plus propice pour jouir du panorama
subitement développé du cirque de Sainte-Enimie.
Si blasé que soit un touriste, l ’entrée de cet abîme, qu’il débouche par la
route de Prades ou qu’il arrive par celle du causse, lui donnera toujours une
certaine émotion.
« Restons un instant à la Tiaulas : au premier plan, entourée de verdure, est
une jolie nappe d’eau formée par un barrage, puis un large pont du xviP siècle ;
au-dessus, sur lès pentes des deux rives, la petite ville de Sainte-Enimie. A
gauche, un ravin couronné d’arbres, dans lequel grimpe la route de voitures
du causse Méjean ; à droite, dominant le beau courant d’eau de la célèbre fontaine
de Burle, se montre un grand bâtiment qui a remplacé l’antique monastère en
partie détruit ; plus haut, plaqué contre une falaise rouge, le petit ermitage tout
blanc de Sainte-Enimie, e t plus près, une grande partie du grand ravin du Bac,
escaladé par la route de voitures du causse de Sauveterre ; entre les deux causses,
au milieu de vergers, de bouquets d’arbres, de vignes, le Tarn qui brille au soleil ;