délicieusement champêtre si les falaises pourpres du causse n ’écrasaient pas
magistralement le castel, si le bruit grondeur du ratch de l’Escalette n ’ensau-
vageait pas un peu la scène, si les lierres, enfin, seuls maîtres de la Caze,
ne donnaient pas à ses murs un farouche cachet de vétusté ! Que d ’heures charmantes
on passerait au bord de la source de la Caze, dans ce pré fleuri, sous
ce dôme d’arbres touffus, à quelques pas de ce torrent navigable, au fond de
ce canon lumineux ! Etranges contrastes et impressionnantes antithèses de la
nature !
Le château est un cube de pierres avec quatre tours aux angies et un petit
donjon au-dessus de l ’entrée. Sur la rivière, les fenêtres ont été affreusement
mutilées. Un incendie survenu dans la nuit du 28 au 29 octobre 1847 consuma
une partie de la tour du nord, mais les nombreuses voûtes qui s’élèvent jusqu’au
quatrième étage en préservèrent l’ensemble.
Pendant ces dernières années, un misanthrope désespéré s’était enfermé à la
Caze pour vivre en anachorète, absolument seul ; de la Malène, on lui apportait
chaque semaine quelques provisions alimentaires ; sa porte restait impitoyablement
fermée à tout être humain autre que son pourvoyeur. 11 avëit raison de
trouver ce lieu, bien fait pour se retire r du monde, fuir les hommes et oublier
la vie. Mais attaqué un soir par de mauvais rôdeurs, qu’il réussit il terrasser, il
perdit confiance en cette retraite et fut, to u t récemment, en chercher une autre
plus sûre dans un monastère.
L’excellent curé de la Malène garde les clefs du château et en fait très volontiers
les honneurs. On ne peut le visiter sans lui, ô
Tout le domaine est d’ailleurs à vendre e t livré à l’abandon.
Naguère encore, du petit embarcadère ;où l’on descend de la tour du sud
p ar un escalier taillé dans le roc, s’élançaient de véritables flottilles de barques
portant de joyeuses compagnies de pêcheurs',et de, daines en fraîches toilettes,
qui ramenaient sur la rive les truites et les vandoisës du Tarn, Ces parties
joyeuses sont restées dans la mémoire de tous les pêcheurs, et ils en parlent
comme d’une des belles époques de leur séduisante rivière. Cette période n ’a
duré qu’une quinzaine d’années, et les tours de la Caze sont aujourd’hui inanimées
!
La poésie de l’extérieur cadre mal avec le délabrement de l ’intérieur : faute
d’entretien, le manoir se .dégrade de jo u r en jour. Les voûtes së fendent, les
carrelages s’écaillent, les .tuiles des toits se déchaussent, les lattes des p a rq u e ts,
moisissent, et quelques vieux meubles sont en lambeaux et crevés comme les
lambris et les plafonds. Dans l ’aile brûlée on n ’a jamais refait les planchers ;
sur les marches vermoulues des escaliers, le pied heurte parfois un pauvre
vieux volume ou-quelque ustensile de vaisselle oublié par le dernier habitant.
Une pièce du rez-de-chaussée cependant rènferme une admirable cheminée de
la Renaissance, de style italien, sculptée et peinte à profusion, rapportée en
18S0 de Toscane par M. de Rozière : des amateurs en'ont offert des prix fabuleux.
Une autre salle (la ch ambre, du Diable) a gardé des peintures grotesques et
les portraits des h u it fées. Tout le reste n ’est que ruine et taudis. Au dehors,
le lierre villebrequine et désagrège les pierres'des murailles ; au dedans, les.
rats et l’humidité rongent boiseries et plâtres ; les chauves-souris et la bise,
auxquelles les carreaux brisés laissent leurs grandes entrées, bruissent seules
dans cette maison mo r t e i l faudrait un Crésüs pour la ressusciter.
Des fenêtres des hauts étages, néanmoins, on a peine à s’arracher au panorama
splendide du canon : on doit rejeter la tête en arrière pour distinguer en 1 air
les dents roses du causse qui mordent le ciel bleu; à gauche, la rive boisée d en
face et les falaises de l’Esealette; à droite, le bassin de Hautenve éclatant de
lumière et hardi de couleurs comme un paysage d’Orient; en bas, les murs du
castel plongeant dans un grand creux du Tarn ; à 100 pieds sous soi, 1 on y voit
scintiller, aussi brillantes que les cristaux de mica de l ’aventurme, les truites qui
Château de la Caze. — Dessin de Vaillier, diaprés nature.
folâtrent par 10 mètres de profondeùr d’eau, paillettes chatoyantes librement
suspendues ;dans la translucide émeraude dû planiol !
Des communs, restés à peu p r è s habitables, puis des champs et des vignes,
s’étendent sur -la rive droite au pied des falaises, dans lesquelles une grotte profonde,
ouverte à 80 mètres au-dessus du sentier, a livré de nombreux ossements
du grand ours e t beaucoup d’objets préhistoriques à ceux qui l’ont fouillée à
maintes reprises et vidée (docteur Prunières, etc.J-' 1 '
En aval de la Caze est une des plus belles plaines d eau du Tarn, alimentée
sur la rive droite par les deux sources de la Tieure et de Clujade, et longue
de 1 kilomètre. Un canot à voiles pourrait y tire r d’amusantes bordées : la