cendre de Sainte-Enimie an Rozier. Les protestations des voyageurs, devenus
moins rares, l’intervention du Club alpin, la concurrence surtout, ont abaissé
ces prix exorbitants à 70, puis 80, 48 et enfin 42 francs. A ce dernier taux, il
faut reconnaître que le travail fourni mérite bien le salaire demandé
La dépense n ’en reste pas moins onéreuse pour le touriste isolé, qui paye
autant que cinq ou six ensemble, toute la peine de la manoeuvre étant dans le
retour de la barque vide.
Il est vrai que des sentiers longent les bords du Tarn : un chemin bien entreten
u , mais que certaines portions établies en escaliers rendent peu praticable
aux bêtes de somme, suit constamment la rive droite, même de Sainté-Enimie
à Saint-Chély (on n ’est donc pas forcé de déranger le meunier .'dé ce moulin
pour franchir la rivière). Sur la rive gauche, la circulation est moins’ facile;,
elle est à peu près coupée eh deux ou trois points.
L’inconvénient du parcours à pied, c’est que parfois on doit s’élever à plus de
100 mètres au-dessus du Tarn, et se priver de l ’âspect des plus curieux défilés
rocheux : Saint-Chély, l’Escalette, les Etroits, Clronsell'e. Aux Etroits notamment,
la plus belle scène du canon entier'reste invisible du chemin, qui passe
par-dessus les falaises inférieures. Et puis, en barque, dans la paresseuse traversée
des calmes planiols (Ilauterive, Montesquieu , la Croze), une rêveuse langueur
vous berce irrésistiblement et vous tient sous un charme indicible, que
vient rompre soudain et brutalement l’émouvant passage d’un ratch grondeur,
violent contraste d’impressions vives et inoubliables! « Ce mode de locomotion
a une vertu particulière : il est calmant au suprême' degré p ii détend lés
nerfs et repose les membres aussi bien que la tê te 2. »;
Il est vrai que le piéton n ’est pas distrait des beautés dé la route par les difficultés
de la navigation, difficultés très- attrayantes, j ’en conviens, mais qui
empêchent parfois de regarder le magnifique cadre du tableau, tan t ce sport
nautique est attachant. A pied, au contraire, on goûté mieüx le plaisir infini de
la flânerie contemplative, et l’on se rend mieux compte de la bizarrerie des
détails.
Aux gens pressés donc conseillons l’intégrale descente en barque : à ceux
qui ont deux ou trois jours de plus à dépenser, disons de remonter ensiiitè le
Tarn à pied ; ajoutons, pour les promeneurs maîtres de leur temps et sans souci
de la fatigue, que de Sainte-Enimie au Rozier, en suivant le bord de l ’un des
deux causses, à 900 mètres d’altitude moyenne,. le spectacle est peut-être
plus étrange encore; du parapet de la géante circonvallation, le mince filet
d’argent du Tarn semble, à 800 mètres dans Tabîme, la cunette ou rigole d’alimentation
ménagée au fond du fossé, pour assurer au besoin l’isolement et la
défense de la citadelle du Méjean. Mais les siècles ont, à la base du mont
Lozère, détruit les vannes du bassin dé retenue, et jamais plus la contrescarpe
du causse' de Sauveterre ne verra l’eau s’élever jusqu’à sa crête pour submerger
la prodigieuse tranchée.
Afin d’éviter les remous produits au contact des piles, c’est en aval du vieux
pont de Sainte-Enimie que Ton met le pied en bateau.
E t tout de suite l’enchantement commence.
1. ; V. aux appendices les tarifs détaillés.
2. J. C a m b e f o r t , Une Semaine de vacances dans l’Aveyron et la Lozère [Bull, de la Soc. de qéoqràvhie de
Lyon, .1889).
Sous l’ermitage, un ratch de début provoque de joyeuses exclamations de
surprise chez ceux qui pour la première fois se. confient ainsi au fil du l a r n ,
puis ce « chemin qui marche » par excellence pénètre immédiatement dans une
« rue » d’arbres et de falaises longue de 6 kilomètres, jusqu à Saint-Chély.
Çà et là, de grandes roches s’avancent, servant de support à des vignes et à des
vergers ; au loin se montre une colossale muraille rouge, qui fait coin et semble
b arrer le Tarn. : H H , .. . . .
A pied par la rive gauche, on quitte, au delà du pont de Samte-Emmie, les
lacets de la route de voitures de Mende à Meymeis p ar les causses, pour suivre
un chemin muletier qui monte et descend tour à tour en contournant de
superbes escarpements. Ce chemin, bordé de haies, traverse des champs en terrasses.,
Les vignes, respectées jusqu’à présent par le phylloxéra, donnent un
excellent vin, qui supporte mal le transport et se conserve peu. Devant, un
immense éperon de roches pourpres taillé à pic prolonge la muraille de la rive,
droite et s’avance brusquement dans la vallée, qui fléchit au sud. Une descente
en lacets aigus tracés dans un étroit ravin r.oeheux conduit alors à Saint-Chély.
Mais par là on est trop haut juché au-dessus de la rivière : en bateau il faut
se laisser couler jusqu’à Saint-Chély; de bonne heure surtout, quand le soleil,
peu élevé, projette en travers de la vallée les ombres allongées des créneaux du
.causse Méjean ou déverse ses flots de rayons par leurs larges embrasures ; quand
la rosée diamante encore les pointes des feuilles ; quand les oiseaux folâtrent
gaiement sur Tonde à peine plus fraîche que l’air matinal ; a lo r s , c est admirable
de grandeur et de calme! Sans mouvement, le Tarn vous pousse, tandis
q u e c i e l , arbres et rochers se déplacent automatiquement.
La nature marche autour de l’homme immobile. Est-ce donc le pays des fées,
des Mille et une nuits ? Non ; c’est la Lozère.
A u n e demi-heure de Sainte-Enimie, sous la falaise de Conroc (r. d r.), la
rivière a 10 mètres de profondeur. Une demi-heure plus lo in , dans une oasis
de verdure, sous un auvent de falaises, au bord de deux limpides sources, Saint-
Chély-du-Tarn (r. g., 830 hab. la comm., 167 aggl.) se blottit bien à l ’ombre des
grands ormes de Sully, ses maisons au frais, sa rive au grand soleil du Tarn.
La grève (r. g.) où l’on débarque- est à l ’entrée d un portique de rochers, large
de 30 mètres, h au t de 60 : c’est le premier étroit du Tarn. Les deux sources y
bondissent d’un saut en imposantes cascades hautes de 10 mètres. C’est charmant
et très beau.
Quelque étrange que cela paraisse, Saint-Chély veut dire « Samt-llère ».
Dans les anciens actes romans, il s’orthographiait ainsi : Santchiler. Le et dans
le roman devient souvent ch, prononcé; tch dans ces contrées. L’inversion des
voyelles est fréquente en patois : on fit Santch-Élir. En voulant le franciser, on
a coupé l’ensemble comme Ton prononçait, san-tchelir, et de là Saint-Chély.
Ici le Tarn coule à 468 mètres au-dessus du niveau de la mer, et le causse.
Méjean s’élève à 1,072 mètres. Un cap du causse de Sauveterre est, sur la rive
droite, peut-être le plus effilé de tout le canon, et de l’amont, à quelques centaines
de mètres de distance, l’on se demande vraiment si Ton va pouvoir
passer et par quelle fente la rivière se glisse ?
Il faut faire halte à Saint-Chély pour voir non seulement la curieuse assiette
du village et les magnifiques arbres qui l’ombragent, mais encore ses deux belles
sources, captées par des moulins.