« Bientôt elle revint attaquer ces enfants avec la même fureur ; elle saisit par le
bras le plus jeune de tous et l’emporta dans sa gueule.
« Sauvons-nous! s’écria l’un des enfants épouvanté.
« Non pas, répondit intrépidement le plus âgé de la bande ; non pas, il faut
« sauver notre camarade ou périr avec lui. »
■■■-«: A ces mots, il se précipite avec une héroïque résolution sur l’horrible bête ;
ses petits compagnons le suivent. Le féroce animal fuit avec sa victime, mais les
enfants ne le lâchent pas ; ils le tourmentent de leurs piques et le poussent dans
un marais, dont le terrain est si mou qu’il y enfonce jusqu’au ventre. Ils frappent
alors à la tête, dirigeant leurs coups vers les yeux; ils l’atteignent à la
gueule, qu il avait continuellement ouverte. Pendant ce combat, le monstre tenait
sa victime sous sa patte, sans la mordre, car il était occupé à faire front à ses
adversaires,
«Enfin ceux-ci le harcèlent avec tant de persévérance et d’intrépidité, qu’ils
lui font lâcher prise une seconde fois : le petit garçon qu’il avait enlevé n ’eut
d autre mal qu une blessure au bras et une légère égratignure au visage.
« Ce combat retentit dans toute la France ; une gratification fut accordée par
le roi à ces enfants ; les journaux de l’époque célébrèrent leur action courageuse,
et il se trouva un poète pour composer un poème en leur honneur. »
Ce poème, d’ailleurs grotesque, et que l ’on trouve cité dans Je Journal encyclopédique
du 1 S octobre 1768 et dans les Mémoires secrets de Bachaumont du 29 du
même mois, trace de la bête le portrait suivant :
De certaine distance alors, à quelques toises,
P ar derrière, à la gorge, ou bien p a r le côté.
Il attaque sans cessé, avec rapidité.
Sur sa propre victime il va, court et s’élance;
P a r lui couper la gorge aussitôt il commence.
Monstre indéfinissable, il est d’ailleurs poltron.
De grande5et forte griffe il a la p a tte armée, etc^
L auteur partage 1 opinion, assez générale parmi le peuple des campagnes, que
la bête du Gévaudan a été vomie de l’enfer. Aussi, en sa qualité de Picard, v oudrait
il qu’elle fût auprès d’Amiens, car
Notre digne p ré la t, p a r sa foi, p a r son zèle,
Nous en délivrerait avec ju s te raison, -
Par le moyen du jeûne ainsi que l ’oraison ;
Sur le cou de la bête appliquant sométole,
Il là ren d ra it plus douce à l’instant et plus molle, -
Le sommaire de 1 ouvrage est digne de cette bizarre poésie : « Exposition des
fureurs de la bête ; digression très curieuse sur la fête de la Gargouille, qu’on
célèbre à Rouen ; réflexions sur la galanterie qui semble régner dans les démarches
de la bête; portrait dudit monstre ; réflexions utiles sur la cherté du bois
quelle occasionne ; description des chasses où on l ’a manquée; projet intéressant
de faire un beau miracle à ¡’encontre de cette bête ; conclusion. ».
Au surplus, 1 animal n ’avait pas succombé, et ce fut au tour du roi lui-même
de promettre une récompense de 8,400 livres pour sa destruction. Une nouvelle
armée de vingt mille chasseurs, dit-on, ne réussit encore qu’à la blesser. Toutes
les battues, tous les moyens, pendant de longs mois, ne donnèrent pas d’autres
résultats. . ■ ./
En juin 1765 (il y avait déjà un an que durait la désolation du Gévaudan),
Louis XV envoyait sur les lieux son.propre lieutenant des chasses, à la tête d’un
équipage d’élite. Un trimestre encore la lutte devait durer. Femmes et enfants
continuaient à se rv ir de pâture au monstre. Une femme pourtant sut sauver sa
vie avec une baïonnette fixée à un bâton.
D’après un manuscrit de la Bibliothèque nationale, voici comment on vint à
bout de la bête du Gévaudan.
' « Informé que les loups désolaient les bois de la réserve de l’abbaye royale
de Chazes, en Auvergne, le porte-arquebuse du roi.(M. d’Antoine) y avait envoyé
deux gardes-chasse suivis de leurs limiers, et sur l’avis qu’ils donnèrent qu’ils
y avaient aperçu un très grand loup, ainsi qu’une louve et des louveteaux assez
forts, il s ’y transporta, le 20 septembre, avec tout son monde à lui et quarante
tireurs des paroisses voisines, par lesquels il fil entourer le bois de la réserve,
tandis que les valets de limiers et les .chiens de la louveterie le fouillaient de
toutes parts.
« S’étant lui-même placé à un détroit, il vit venir par un sentier ce grand loup,
qui lui prêtait le flanc droit et tournait la tête pour le regarder. Il lui tira sur-le-
champ un coup de derrière de sa canardière, chargée de cinq coups de poudre,
de trente-cinq postes à loup et d’une balle de calibre, dont l’effort le fit reculer
de deux pas ; mais l’animal était atteint dans le flanc et dans l’oeil. Il tomba aussitôt,
se releva et marcha sur le porte-arquebuse sans lui donner le temps de
recharger son arme. Celui-ci appela au secours : un garde-chasse du duc d’Orléans
accourut; il lira au loup un coup de sa carabine et le blessa d’une balle à
travers la cuisse ; après quoi le loup, ayant fait encore quelques pas, tomba raide
mort dans la plaine.
« Plusieurs paysans des environs, qu’il avait attaqués, furent aussitôt appelés
et le reconnurent pour cette bête effroyable qui avait jeté, depuis si longtemps,
tout le pays dans la terreur. On lui trouva, en outre, la marque du- coup de
baïonnette, dont il est question plus haut. Ainsi, il n ’y avait plus à douter de
son identité, non plus que de la délivrance du Gévaudan. L ’animal avait
2 pieds 8 pouc.es (0",89) de hauteur, 3 pieds (1 m.) de circonférence, et 5 pieds
7 pouces (1 " ,86) de longueur, depuis le bout du museau ju sq u ’à l ’extrémité
de la queue. Il pesait 130 livres (63 kilog.); sa gueule était garnie de quarante
dents : dix-huit en haut, vingt-deux en bas. Les chasseurs ju g èren t qu’il avait
environ huit ans. C’était, en un mot, un loup carnassier d’une taille prodigieuse
et d’un aspect terrible.
«E n laissant de côté toutes les exagérations ordinaires e n pareil cas, on
trouve que le nombre total de ceux qui ont été dévorés par la bête féroce du
Gévaudan s’élève de cinquante à cinquante-cinq individus, la plupart femmes et
enfants. Il faut ajouter environ vingt-cinq personnes qui, ayaqt été secourues à
temps, on furent quittes pour des blessures plus ou moins graves1. »
L . PU B LICA T IO NS R E LA T IV E S A LA B Ê T E 'D U GÉVAUDANI
Relations de la figure et des désordres commis par me bêle féroce qui ravage le Gévaudan. Impr. de N.-E.
Valieyre, 1765, in-4», pièce (Bibl. nat,, L. Ks. 785). — Relation générale et circonstanciée de tous les désordres
commspar la bête féroce. Ibid., .1765. (Bibl, nat., Ibid.) - Relation de la prise de la bête féroce qui a fait, de si
cruels rava.ges.dmis lesparouses d’Auvergne, du Gévaudan et autres, 30 septembre 17es. Paris, impr. de Hérissant,
m-4», picce (Bibl. nat., Ibid.). — L’Hyène combattue ou le -triomphe de l’amitié et .de l’amour maternel
»““* -Pobmes héroïquesAmsterdam et P aris, DuConr, 1765, in-S», pièce (Bibl, nat., Ibid). — Sur laMte
monstrueuse du Gévaudan, poème, s. 1. n. d,, in-S«, pièce (Bibl. nat., Ibid.). (Outre le s 5 pièces ci-dessus, le
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