(Édouard Lartet, Cartailhac, de Mortillet, Jeanjean, Forel, eto.1). ont soutenu
aussi et soutiennent encore qu’il y avait eu une solution de continuité,
un manque de transition, un hiatus, entre les deux périodes paléolithique et
néolithique, si dissemblables par leurs caractères.
Les découvertes du docteur Prunières à la caverne de VHomme-Mort, près
Saint-Pierre-des-Tripiers (causse Méjean [V. p. 90}), aux Baumes-Chaudes
(Y, p. 73), etc., auraient complètement battu en brèche, selon MM. Broca et de
Qualrefages, cette doctrine de l’hiatus2.
Broca, dans son célèbre mémoire sur la Caverne de l'Homme-Mort*, a énoncé
qu en -Lozère des troglodytes, descendants des primitifs chasseurs de rennes,
avaient vécu à Côté des constructeurs de dolmens : « La station de l’Homme-Mort
appartient certainement à la pierre polie, et il est clair cependant qu’elle se rattache,
par plusieurs caractères d’une haute importance, à l’époque de la pierre taillée.
« La race de 1 Homme-Mort était un débris de l’une des races de l’époque de
la pierre taillée. Celles-ci n ’ont donc pas été subitement exterminées à la fin de
l ’âge du renne. :»-
De son côté, voici comment M. de Quatrefages résume les travaux du docteur
Prunières :
« Dans plusieurs cavernes de la Lozère, cet infatigable chercheur a découvert
de nombreux squelettes dont la race est caractérisée p a r une dolichocéphalie1
constante... Ces représentants de la race quaternaire étaient habituellement en
guerre avec les .constructeurs de dolmens. La preuve en est que plusieurs squelettes
portent encore, fichées dans les os où elles avaient pénétré, des flèches dont
l’origine néolithique est indiscutable. Les deux populations ont donc vécu à côté
l’une de l’autre et sé sont disputé jusqu’aux plateaux de nos plus hautes Céven-
nes
« Bientôt il y eut entre les deux races des alliances, qui s’accusent par le métissage.
constaté ; enfin la race brachycéphale a fini par prédominer, au moins
sur certains points. »
D’autre part encore, les découvertes de M. de Baye dans les grottes du Petit-
Morin (Marne) et de M. Louis Lartet et Chaplain-Duparc à la grotte de Duruthy,
près Peyrehorade, paraissent avoir confirmé celle de l’Homme-Mort quant à la
question de l’hiatus.
C’est du moins l ’opinion de M. de Quatrefages et celle de M. de Lapparent,
1. Cartailhac, Transition du paléolithique au néolithique, — De Mortillet, Congrès international danihovo
Logieet d’archéologie préhistorique, sessi.ori de Bruxelles, 1873, p. 453 et 458.
2. Dr P runières, Cavernes de Beaumes-Chaudes : Bull, de la Soc: d’anthropologie de,Paris, 1878, pi 260 et 420-
ES Id- Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences, session de Bordeaux, 1872, p. 748. — Ca-
zalis de F ondouce, Pierre polie et pierre taillée, lacune qui aurait existé entre ces deux âges : Revue d’anthropologie,
1874, t. III, p. 614.
3. B roca, sur la Caverne de l’Homme-Mort : Congrès de Bruxelles, p. 182, et Revue d’anthropologie, t. II.
4. On nomme dolichocéphales les crânes relativement longs et étroits, et brachycéphales les crânes relativement
courts et larges (de deux mots grecs ooXtyàçet ppayüç).-.Une certaine école d’anthropologistes attache
une grande importance, an point de vue de la distinction des races, à la largeur relative du crâne. Peut-être
celte importance est-elle exagérée,^ar il y a entre les formes extrêmes des transitions indispensables et des
subdivisions toutes conventionnelles. Toujours est-il que ladite école considère les crânes dolichocéphales
comme plus anciens que les brachycéphales, comme distinctifs de races’moîns civilisées : c’est sur ce principe
Broca etM. de Quatrefages ont basé leurs déductions tirées des fouilles Prunières. D’autres savants ont
établi, au contraire, que les Chinois, très anciennement civilisés, sont dolichocéphales, et les Lapons, Samoyè-
des, Cambodgiens, etc., brachycéphales, quoique bien plus arriérés ; pour eux il ne saurait y avoir là un
caractère de race précis.
5. De Quatrefages, Hommes fossiles et hommes sauvages. Paris j J.-B. Baillière, 1884, p. 99 et 105. <
qui croit aussi à l’invasion ; mais il convient d’ajouter que l’accord n ’est pas fait
jusqu’ici parmi les savants : car, dans un ouvrage tout nouvellement paru, M. Cartailhac
affirme encore qu’ « entre les gisements paléolithiques les plus récents
et les gisements néolithiques les plus anciens il y a une solution de continuité »,
et que l’immigration formidable invoquée par Broca « est un rom an1 ».
M. Cartailhac paraît cependant ébranlé dans sa croyance à Vhiatus par ses
fouilles de la grotte de Reilhac (Lot), (F. la Grotte de Reilhac, par E. C a r t a i l h a c
et M. Boule, p. 27 et 43. Lyon, Pitrat, 1889, in-40.)
Il ne nous appartient pas de prendre un parti.
Les fouilles Prunières ont été les premières (en 1873) à faire connaître une bien
curieuse pratique de ces temps si reculés : celle de la trépanation préhistorique,
révélée par la découverte de crânes perforés et de rondelles crâniennes.
« Broca, examinant ces pièces avec l’oeil d’un chirurgien-expérimenté...
formula les deux propositions suivantes :
« 1 ° On pratiquait, à l ’époque néolithique, une opération-chirurgicale consistan
t à ouvrir le crâne, pour traiter certaines maladies internes. Cette opération
se faisait presque exclusivement, peut-être même-exclusivement, sur les ;
enfants (trépanation chirurgicale).
« 2° Les crânes des individus qui survivaient à cette trépanation étaient
considérés comme jouissant de propriétés particulières, de l’ordre mystique;
et lorsque, ces individus venaient à mourir, on taillait souvent, dans leurs
parois crâniennes, des rondelles ou fragments, qui servaient d’amulettes, et
que l’on prenait de préférence sur les bords de l’ouverture cicatrisée (trépanation
posthume). » (De Q u a t r e f a g e s , ouvrage cité, p. -.128B.) -
Les dolmens abondent dans la Lozère) parce que la pierre n ’était point rare.
Les tumuli ont succédé aux dolmens. Ce sont des amoncellements de cailloux
et de terres rapportées élevés en forme de dômes, d’intumescences, et atteignant
au maximum 4", 50 de hauteur et 28 mètres de diamètre. On y recueille des
restes d’une civilisation plus avancée encore que celle des dolmens : armes de
bronze, objets en jais, bracelets et boutons en métal, colliers de verre, poteries
fines, etc.
On y constate aussi l’habitude de la crémation des morts3.
Les tumuli touchent à l’antiquité bis torique. Ils appartiennent aux âges du bronze
et du fer, et le docteur Prunières croit avoir constaté entre eux et les dolmens
des transitions insensibles, comme entre les dolmens et les'cavernes ; sur ce point,
son opinion ne paraît guère discutable.
Nous ne saurions détailler davantage cet exposé de la préhistoire dans les
Cévennes : il eût fallu parler des grottes des environs de Gauges, de Montpellier,
do Lodève. Un volume entier n ’y eût pas suffi.
Nous avons dû nous contenter de faire comprendre l’importance des découvertes
préhistoriques faites dans les Causses, et surtout des travaux du docteur
Prunières.
1. C a r t a il h a c , la France préhistorique, p. 122 et suivantes: \
2. F. Dr P r u n iè r e sH Association française pour l’avancement des sciences, congres de Lyon, Blois, etc., et
Bull, de là Soc. d’anthropologie pour 1878, p. 420. •
3. F. Dr P r u n i è r e s , Tumuli des causses lozériens : Association française pour l’avancement des sciences, congrès
de Rouen, 1883.