La scène est d’une simplicité extrême, d’une beauté, puissante ; ni la photographie
ni même le dessin ne peuvent rendre complètement l ’harmonie de ce
site : il faut l’avoir vu.
Ilélas ! un grand désastre menace à bref délai ce pittoresque hameau. Une
fissure s’est produite dans un des rocs qui le dominent et s’accentue de plus en
plus: C’est .en vain q.ue les paysans ont tenté des travaux lilliputiens pour
conjurer 1 inévitable avalanche. Il viendra bientôt le jo u r où la moitié des
maisons devra être abandonnée.
Un mauvais chemin de chars monte en zigzags sur le causse de Sauveterrê
jusqu’au village de Cabrunas, en dessous duquel il croise, vers 800 mètres d’altitude,
la nouvelle route, non achevée, de.Sainte-Enimie à la. Canourgue p a r
Laval-de-Tarn, évidée aux lianes des falaises et s’élevant de 350 métrés en
6 kilomètres de parcours (soit 0",058 par m.).
Ici, deux sources : à gauche celle de la Barque, à droite celle du village
même.
Un barrage force à changer de bateau et à traverser Pougnadoires, Dans les-
cavernes, partout où l ’homme a pu grimper, il a appliqué aux trous de la roche
des façades de maisons et des fenêtres et en a fait sa demeure. C’est étrange au
possible. Plus haut .nichent les corneilles et les craves, aux croassements'
rauques et aux vols noirs-tournoyants. Sur les terrasses sont des noyers, des
châtaigniers, des amandiers, çà et là dés vignobles grands comme la main.
La navigation reprise, et à 500 mètres du hameau on yoit, à 100 pieds au-
dessus du chemin de la rive droite,- la double ouverture en partie murée d’une
haute grotte, jadis repaire du grand ours fossile des cavernes, plus tard refuge
de 1 homme de la pierre polie, maintenant- habitation de citoyens français ! Un
fragment do toiture a complété l’auvent naturel de la roche ; des parois de pierres
sèches bouchent les interstices ; po.ur plafond, la chaumière a le surplomb de
la falaise ; la fumée de l ’âtre.monte en spirale dans une fissure qu’elle noircit.
Au fond lointain de l ’antre très vaste, les récoltes séchées s’étalent Comme en
un grenier ; les bêtes de l’étable bêlent ou grognent, et sous leur fumier," leur
sabot ou leur groin, s’exhume parfois une grosse canine d’ursus quaternaire,
ou une pointe de flèche en silex ! C’est plus curieux, certes, que les demeures
troglodytiques taillées aux bords du Loir dans la craie tuffeau de Touraine !
D ici, un sentier monte et franchit par 22 degrés le fameux pas de l’Escalette,
par-dessus le promontoire de ce nom, qui le prive de voir la rivière.
Pour le promeneur en bateau, au contraire, la surprise augmente à chaque
coup de perche.
Un cap du causse Méjean ombrage un fourré impénétrable de hêtres. Ce
maquis, d ’où émergent quelques vieux a rb re s ,'e s t un débris des forêts de
hêtres qui jadis disputaient aux chênes les terres des causses,.et dont l ’essence
tend à disparaître en ces régions.
| Sous 1 Escalette, angle très aigu du Tarn, autre rideau d’interception comme-
à Saint-Chély; on sent que le décor va changer de nouveau; les arbres plongent,
presque dans l’eau et prolongent les rochers, comme pour dissimuler la manoeuvre
de la transformation; on se retourne rapidement, afin de contempler
une dernière fois le cirque de Pougnadoires qui va disparaître ; plus rapide
encore, le portant glisse dans sa rainure et se referme derrière la barque ; le.
changement de toile est opéré : le théâtre représente le château de la Caze.
Théâtral en effet est le premier aspect du manoir, que la nièce d’un p rieur de
Sainte-Enimie, Soubeyrane Alamand, fiancée du sire de Monclar, fit b âtir .en 1489,
à la place sans doute de quelque cabane [la caso) cachée au bord d une source.
Soubeyrane mourut très âgée, eu 1563, laissant pour hériter de ses domaines la
famille de Mostuéjols.'(F. p. 9 8 |jL ’un des membres de cette famille, Bertrand
de Mostuéjols, dit le capitaine la Caze, lu tta vaillamment toute sa vie contre les
huguenots ; non' content d’arrêter Merle, il sut lui reprendre une grande partie
du Gévaudan.
C’est sous la famille Mostuéjols, pendant environ un siècle, que la Caze
paraît avoir été orné et embelli. La to ü r du sud montre, sur de grands panneaux,
les portraits des h u it demoiselles de la Caze qui durent être les petites-filles du
- Lac souterrain de Saint-Chély. — Dessin de Vuiliier, d’après un croquis de Th. Rivière.
(Communiqué par le Club alpin.)
célèbre capitaine. Ces h u it jeunes filles ont une légende brillante ; on en fait de
belles et intrépides amazones, a ttirant à la Caze toute la noblesse élégante du
Rouergue et du Gévaudan. D’anciens actes rapportent le mariage de 1 aînée avec
le sire de Malian, entre les mains duquel passèrent le château et les vastes
domaines de la Caze.
Mais qu’importe la statistique de ces noms d’histoire en présence de la séduction
du paysage?
Le château, entouré de massifs de grands arbres, semble appliqué contre les
rochers de l’Escalette et s’avance à pic sur une terrasse qui borde le T a rn ; il a
gardé ses; tours et ses mâchicoulis. Dans la terrasse ont été taillés à la hache
les fossés et les souterrains dont les déblais ont; servi à l ’édification des tours.
Derrière, entre un amas de roches et une prairie, de magnifiques arbres ombragent
une belle source, qui va plus bas tomber dans le Tarn. Tout cela serait