dressées sur ses rochers et appartenant aux rois d’Aragon, aux comtes de Rodez,
aux seigneurs de Sévérac, etc. En 1876, il n ’y vivait plus que 2,000 habitants ; en
1884, 1,500 à peine, ou même 1,162, suivant une autre estimation. Des deux
communes dont les limites ne dépassent pas les bords du plateau, celle de Hures
avait 426 habitants en 1856, 278 en 1881, 288 en 1886; celle de la Parade, 544
en 1856, 431 en 1881, 411 en 1886.
La destruction des forêts de pins, de hêtres et de chênes, sans lesquelles l’eau
et, par suite, la vie ne pouvait se maintenir sur ces hautes tables calcaires, s’est
faite lentement, progressivement, et a eu plusieurs causes :
D’abord le délaissement des grands domaines par les nobles, qiü, préférant,
au xvn° siècle, le séjour fastueux de la cour et de Versailles à celui de leurs
sévères manoirs, laissaient leurs cupides intendants vendre7 coupe sur coupe
aux bûcherons ; puis le défrichement, ayant pour but l’extension des champs
de céréales, rendue nécessaire par le prix exorbitant auquel des guerres continuelles
avaient fait monter le blé ; enfin ces guerres elles-mêmes, dont les
dévastations et les incendies substituèrent des souches mortes et des tas de. cendres
aux quelques bois laissés debout. (U^p. 68.)
Des causes, passons aux conséquences :
Une fois les arbres disparus, il n ’y eut plus d’amas de feuilles ni d’entrelacements
de racines pour former et retenir la terre végétale ;-les pluies torrentielles
l ’entraînèrent, et lès fissures du sous-sol mises à nu engloutirent toute l’humidité
; fontaines et citernes s’évanouirent à travers ce filtre, que ne bouchait plus
le feutre de l’humus. Ainsi asséchés et privés de tous débris végétaux organiques,
les champs ne fructifièrent plus, « et le paysan, ne voulant plus travailler une
terre trop peu rémunératrice, l’abandonna... Pa rto u t on voit, de çà et de là , des
champs entourés de m urailles où ne poussent que des chardons et quelques rares
herbes, constamment broutés par la dent du troupeau. Des fermes, des maisons
isolées’ dont les habitants vivaient de la culture des terres voisines, des hameaux
mêmes, sont déserts. On a retiré des habitations les poutres et les aidoises du
toit, choses qui dans ces régions ont toujours de la Valeur,, èf les murs, s’éboulant
peu à peu, restent pour attester que naguère il y avait là des habitants1. »
Autre résultat non moins fâcheux : avec l’ablation du manteau végétal des
Causses, les eaux ont perdu le régulateur qui les conduisait goutte à goutte et
sans brusquerie dans leurs réservoirs intérieurs ; les basses vallées du Tarn, de la
Jonte, etc., en souffrent maintenant, car, au lendemain des orages ou lors de la
fonte des neiges, le gonflement des puissantes sources riveraines est subit, parfois
formidable; les inondations sont plus fréquentes depuis que là-haut la terre végétale
ne s’adjuge plus, au profit de tous, la majeure part de l’eau du ciel. En corollaire,
et comme la distillation ne se fait plus d’une façon constante, grâce à sa
lenteur même, à travers l’humus, beaucoup de fontaines du pied des Causses
tarissent pendant les sécheresses : leur régime est donc devenu intermittent, ce
qui leur ôte toute valeur économique ou industrielle.
11 y a un remède,Te reboisement; mais le troupeau s’y oppose : car la lande
couverte d’un court et maigre gazon est devenue pâture, et la dent du bétail ne
1. V. L. d eM a l a f o s s e ,-dela Dépopulation et de la stérilisation des Causses : Congrès national des sociétés
françaises de-géographie, 7e session. Toulouse, 1884, p. 131. — V. aussi Discours de M. de Loisne, préfet de la
Lozère, retraçant les désastres de Vinondation dans les départements de la Lozère en 1867 et recommandant le reboisement
: Annuaire de la Lozère pour 1867.
distingue pas l’herbe vulgaire de la tendre pousse du jeune arbrisseau qu’on
voudrait faire arbre. « Or, le revenu du troupeau est pour le caussenard aujourd’hui
la principale ressource. Le reboisement vient se heurter à des droits de propriété
et à une nécessité agricole restreinte, il est vrai, mais empêchant encore
la ruine de bien des familles, »
Ainsi le déboisement a fait le désert des Causses, et les troupeaux, qui ont remplacé
les cultures, s’opposent à la restauration des forêts ! Résoudra-t-on ce difficile
problème ?
' Rien ne peut rendre l’impression profonde causée par ces solitudes où, pendant
des heures de marche, on ne rencontre pas un être vivant. Quelle tristesse
ce doit être en hiver, alors que les montjoyes seules dressent, au-dessus de leurs
monticules de pierre, les poteaux indicateurs de la route, à travers un immense
manteau de neige, et que le vent y fait rage ! » (A- L equeutrb,:) , '
Les moulins ruinés que l ’on rencontre sur ie causse Méjean, la disparition
de plusieurs grands arbres isolés, qui de 1852 à 1854 servirent de points trigono-
métriques aux officiers chargés de lever la carte de l ’état-major, sont des preuves
suffisantes de l’abandon et du déboisement toujours grandissants du plateau.
La plus basse cote d’altitude relevée est celle de 808 mètres, à l ’extrémité ouest
de la plaine de Carnac, au sud-ouest de la Malène; les deux plus hautes sont, à
l ’ouest du causse, 1,278 et 1,250. Ainsi l’inclinaison vers l’occident et les dénivellations
du plateau sont telles qu’entre sa plus creuse dépression et sa couronne
la plus élevée il y a 470 mètres de différence d’altitude, quantité égale à la profondeur
moyenne du canon du Tarn même. Sans vouloir tirer aucune conclusion
de' cette observation, nous la mentionnons au moins comme curieuse : Carnac se
mirerait dans un lac si le sous-sol n ’était pas calcaire ! Et à ce propos il importe
de rappeler que, le 29 juillet 1874, une trombe d’eau, abattue sur le causse
pendant un orage avec les proportions d’un véritable cataclysme, transforma en
un fleuve limoneux do 150 mètres de large le vallon des Alos, qui débouche dans
la plaine de Carnac, et d’Anilhac : cette plaine ainsi devint un étang temporaire,
qui faillit, par-dessus le parapet du causse, se déverser dans le Tarn, vers Haute-
rive, en effroyable cataracte de 400 mètres de hauteur ; on voit encore les restes
du cône de déjection.formé par cette inondation ; le lac disparut bientôt d’ailleurs,
bu tout entier par les fissures du sous-sol.
Treize communes se partagent l’ingrate surface du causse Méjean; deux seulement,
Hures etla Parade, y o n t leur territoire entier. Celle de Saint-Pierre (405 hab.
la comm., 33 aggl.) a quelques dépendances au bord du Tarn et de la Jonte.
Jusqu’en 1884, la route de Meyrueis à Sainte-Enimie se dirigeait droit du sud
au nord par Hures.(1,024 m.) et le Buffre (934 m.), laissait le Mas-de-Val à l’est
et le Mas-Saint-Chély à l’ouest, puis descendait à Sainte-Enimie en zigzags aigus
et très courts. En s’élevant le long des falaises de la vallée de la Jonte, dont
l’enfilade est d’ici magnifique à voir, elle utilisait, avant d’atteindre le plateau
du causse, la coupure du roc de la Bouillère, pylône naturel ménagé dans les
dolomies à 300 mètres au-dessus de Meyrueis.
La nouvelle route, dont la dernière section a été livrée à la circulation en
juillet 1888, décrit une grande courbe vers l’ouest pour adoucir la pente, passe au
pied même de la Bouillère, sous le tunnel de la Femme-Morte, encadré dans de
puissants rochers, à la Parade, à Carnac, et débouche sur le canon du Tarn
en surplombant Saint-Chély,