en haut d’un roc inaccessible une plante ou fleur rare, a déclaré la chose « inconnue
hier et surfaite demain » ; l’autre, quelque échappé de baiii de mer, orné d’un
parasol et chaussé d’escarpins, a trouvé qu’il y faisait trop chaud, et que « la marche
sur toutes ces pierres était affreusement pénible » ; un troisième, journaliste,
a même écrit les mots de « mystification gigantesque », jaloux sans doute de
n ’être pas, comme M. de Malafosse., l’heureux auteur .de ladite mystification.
Ces critiques sévères sont excusables, parce qu’elles s’expliquent; et elles s’expliquent
par plusieurs raisons :
D’abord, il en est de Montpellier-le-Vieux comme de toutes les choses dont
l’élrangeté atteint à l’extraordinaire : un examen superficiel ne permet pas de les
estimer selon leur vraie valeur; tels la musique de Schumann, Berlioz, Wagner,
la peinture de Rembrandt, le pont de Brooklyn et la tour Eiffel. Ce n ’est pas en
trois heures, ce n ’est pas en courant, que l’on peut apprécier le chaos du causse
Noir; j ’ai vu moi-même des touristes pressés descendre de là-haut sans étonnement;
ils n’avaient pas pris le temps de comprendre la merveille. Et que l’on ne
dise pas que pour les savants, pour les géologues seuls, ce soit vraiment une
curiosité : des voyageurs qui avaient beaucoup vu, comme MM. E. Cotteau, Louis
Rousselet et A. Tissandier ; des artistes qui avaient beaucoup paysage, sont revenus
enchantés, s’étant simplement donné la peine de se rendre, compté. Si l’on se
promène à la mode anglaise, c’èst-à-dire si l’on cherche dans le guide une impression
toute faite ; si, passant devant un beau sitè, on en demande la définition
au Boedeker pour ne relever les yeux que quand le.tableau a déjà changé, il est
inutile d’aller à Montpellier-le-Vieux, Ce qu’il y a de plus charmant, c’est la
variété et l’imprévu des sensations produites p a rla dissemblance et la multiplicité
des détails. Or, si de chaque rocher remarquable on se fait d’avance une idée
déterminée d’après telle ou telle description, on est .certain d’abord de ne pas
trouver la ressemblance annoncée, et ensuite de supprimer le principal élément
constitutif de toute admiration, la surprise. M. de Malafosse avait bien raison de
dire que'sa découverte « était indescriptible »; la-fantaisie ne s ’analyse pas : elle
se subit. C’est pourquoi Montpellier-le-Vieux, chef-d’oeuvre de fantaisie- dont
la nature est l’auteur, ne peut se ju g er que par une perception personnelle toute
subjective, et nullement d’après une lecture préliminaire. Conclusion paradoxale ;
n’en rien lire avant de l’avoir vu.
D’autre part, pour accéder à ces fausses ruines, le chemin lè plus facile, qui
monte de la Roque, aboutit à l’entrée la moins pittoresque, celle du cirque des
Amats : c’est de Maubert ou par le cirque des Rouquettes qu’il faut arriver pour
éprouver un réel saisissement.
Ensuite il conviendrait de ne voir les gorges du Tarn et de la Jonte qu’après ;
car si on les a parcourues au début du voyage, les yeux, accoutumés aux lointains
prospects, aux profondes vallées, aux rochers haut perchés et rapetissés par l’élévation,
ne sont plus à l’échelle quand ces mêmes obélisques, portails et donjons,
aperçus par centaines du bord des rivières, se rencontrent sous, la main, à quelques
mètres de distance. Comme l ’a très bien dit le feuilletoniste Coupable du terme
mystification, « concevez que Ton trouve cet amas de roches dans un pays où.
le moindre ruisseau en reflète de pareilles, où l ’oeil ne cesse d’apercevoir sur
l’arête des causses des pitons aux formes singulières, verticaux, obliques, troués
en arcades ou effilés en aiguilles. Montpellier-le-Vieux, c’est la réunion de toutes
ces roches sur un espace de 1,000 hectares, » Ceci est on ne peut plus juste et,
quoique sous forme de critique, précise nettement l’un des plus curieux caractères
de l’endroit. Ce caractère n ’échappera jamais à ceux qui commenceront
l ’excursion des Causses par le cirque des Rouquettes : il causera au contraire leur
profonde stupéfaction.
En résumé, rép é to n s-le , Montpellier-le-Vieux, par un effet même de son
aspect merveilleusement insolite, risque souvent de n ’être pas compris: et un violoncelliste
de mes amis dit toujours quand il en parle : « C’est trop beau ! c’est du
Wagner! » -
Aussi vais-je énumérer uniquement les formes les plus frappantes affectées
par les rochers isolés ou groupés, tout au plus les définir sous l ’aspect que je leur
ai trouvé, et qui n ’a rien de plus certain que les ressemblances que chacun croit
rencontrer dans la silhouette des nuages, par exemple. En effet, l ’imagination a
beau jeu ppur appliquer .ici les réminiscences historiques et archéologiques; on
est exposé a un véritable vagabondage d’idées. J ’ai consigné et respecté avec soin
sur mon plan les noms portés au plan cadastral ou recueillis de la bouche même
des paysans d’alentour ; c’est seulement quand la dénomination locale manquait
totalement et qu’il en fallait une comme point de repère que j ’ai forgé un nom
nouveau ou admis celui donné par lès premiers explorateurs. Si nombreux que
soient ces baptêmes fantaisistes, il restera toujours assez de détails anonymes
pour que chaque visiteur puisse, suivant son bon plaisir, exercer sa faculté inventive.
Les appellations préexistantes sont au nombre d’à peu près 38 à 40, sur 80
environ que renferme le-plan. Lès principaux motifs sont seuls indiqués par des
mots carafctérisliques aussi sobres que possible, et conformes à la figure ou à la
situation topdgraphique de l’objet désigné. Voici donc J’énumération annoncée :
ce n ’est que le commentaire de la carte au 10 ,000°.
Cihqüe nu Lac. - • 1, Autel (iT 9) ou Baignoiredu Diable (!) est u n énorme champignon
à bord relevé, qui, réduit de proportions,, pourrait parfaitement servir à
dire la messe ; au fond d’un rocher creusé en forme d’àbside, la Chapelle (n° 10),
un banc de pierre représente-bien le tombeau d 'un martyr dans les catacombes
de Rome; au,bout d’une rue qui s’ouv.re en face’ se. dresse VAmphore (n° 11),
monolithe ovoïde audacieusement équilibré sur sa base mince et. évidée ; tout
près, le fond du Lac (717 m.) se trouve à 113 mètres en contre-bas de la Ciu-
tad (830 m.) ; les indigènes ont fort bien nommé 1 Oalo (la Marmite) un bloc
(n° 12) analogue comme forme à l ’Amphore, plus colossal cependant et haut de
28 mètres ; M. de Malafosse l’a baptisé rocher Barbeyrac, en l’honneur du décou- .
vr.eur de Montpellier-le-Vieux. La portion sud-esj; du Lac est occupée par un
ensemble de piliers et de massifs quadrangulaires, de galeries et d’avenues,
d’ogives naturelles et de clochetons qui font songer à une Cathédrale et à sa
Grande N e f (n°B 13 et 14) ; la Trappe (n° 18) [803 m.]J sur la crête qui sépare le
Lac et les Amats, est un nom local, dû à une pierre éboulée qui a obstrué comme
une trappe une fenêtre percée dans la roche; on l’appelle aussi roc del Gorp (roc'
du Corbeau) ; il est inaccessible sans échelle. Les nombreux ambulacres de l’immense
Colisée ne manqueront pas de parrains : le plus long est la rue du Doumi-
nal, qui côtoie le pied oriental de la Citadelle et monte au sud vers plusieurs
cols conduisant aux Amats. — Après les- grandes pluies, après la fonte des
neiges, il doit y avoir une superbe cascade au nord-est et à la sortie du Lac, au
point où deux lits de torrents s’unissent pour constituer le ravin des Bouxés ;
une petite source suinte là goutte à goutte en été, au pied de fières falaises