L’une forme, dès qu'elle voit le jour, une cristalline vasque bleue qui occupe
presque toute la grande place et où un bateau peut évoluer à l’aise. Des châtaigniers
et des ormes imposants y m irent leur feuillage, et les rochers du causse y
reflètent leurs dentelures. - .
La deuxième source ja illit d ’une grotte appelée la Cénarète ou Sanaret, où une
chapelle de la Vierge et la cave du meunier Just Bernard se partagent la salle
d entrée, haute et large de 13 mètres. Au fond de cette salle et sous une arcade
.obscure, la source forme le déversoir d’une nappe d’eau souterraine dont personne
encore n ’avait dépassé lé seuil étroit.
Ln juin 1888, et à la id e d u n bateau démontable en toile imperméable
( V. chap. IX), nous découvrîmes là un lac de 30 mètres de longueur 3 de largeur
et 6 de profondeur; de belles stalactites pendent à la voûte, élevée de 6 à
8 mètres. Nous avions espéré un moment que, plus heureux qu’à Castelbouc
nous réussirions ici à pénétrer sous le causse Méjean et à explorer les retenues
cachées de ses-sources. Mais au bout de l’obscur réservoir le plafond s’abaisse ’
et les parois se: rapprochent au point que le courant sourd d ’un hoyau stalagmi-
tique large de 40; centimètres, haut de 60, dont le magnésium même ne nous
laisse pas apercevoir la fin : bien que les murs de la caverne parussent s’écarter
sous 1 eau de plus en plus, la profondeur et le peu de largeur à la surface auraient
rendu tort dangereuse une tentative de pénétration à la nage. Eïï trois heures de
temps, sept cartouches de dynamite avancèrent le bateâu de 2 mètres après
quoi le contremaître mineur qui nous assistait nous déclara tranquillement
ce qui su it : « Messieurs, c’est un tunnel à percer ; il y en a pour quinzeqours ‘
jusqu au point ou porte notre lumière, sans parler de cé qu’il peut y avoir au
delà ! A vos ordres ! » Nous fîmes immédiatement volte-face.
, Te^ dn j ! es* cependant, le lac de la Cénarète est une curiosité digne de visite
et tacile d accès. Depuis que Just Bernard l’a pourvu d’une barque, aucun touriste
ne saurait passer indifférent à côté : le coup d’oeil et l ’effet de lumière sont
vraiment jolis.
Une demi-heüre de halte à Saint- Chély suffit po u r tout voir;
A 300 mètres au sud de Saint-Chély et à 30 mètres' au-dessus du Tarn (r. g. ) :
la grotte du Grand-Duc vomit parfois un torrent à la suite de violents orages. Nous
avons profité de la sécheresse pour l’explorer. Une grande ogive sè ït de porche
a une galerie longue de 80 mètres, haute et large de S a 15 mètres. Au fond
et en plusieurs points des parois, débouchent des conduits cylindriques dé
30 centimètres de diamètre moyen : avec mille peines et maintes contusions,
nous pûmes ramper pendant ISO mètres à travers ces conduits, communiquant
tous entre eux, coudés dans tous les sen s, perpendiculaires ou horizontaux et
se terminant invariablement p ar de vrais tuyaux où le bras seul pouvait s'enfoncer.
Assurément ces tuyaux rejoignent (leur direction l’indique) ja rivière
souterraine de la Cénarète et lui servent de trop-plein ; ce sont les vaisseaux
capillaires du calcaire ; et si les mystérieux courants de Castelbouc, de Saint-
Chély, etc., s’alimentent par des canaux aussi ténus, il n ’y a guère de chances
de se glisser jamais sous le causse par de pareilles voies. i
Toutefois Je faciès de la grotte du Grand-Duc peut n ’être qu’une exception; et
comme les autres sources nous ont arrêtés pour ainsi dire sur le seuil’ il
nous faut réserver toute' opinion sur la nature de leurs réservoirs; il faut
attendre qu’une saison moins pluvieuse permette un effort plus utile et rende
possible la pénétration. Jusque-là, on ne doit hasarder aucune hypothèse sur la
manière dont les eaux se comportent à l’intérieur des dolomies' inférieures qui
servent de stylobate aux causses,- {V. chap. XXIII.) ^
Comme un rideau d’entr’acte, Ié cap aigu de Saint-Chély intercepte, une fois
doublé, toute vue sur le tableau des abords de Sainte-Enimie. Alors le deuxième
acte commence, si beau que le souvenir du premier s’en trouvé presque effacé.
A peine la barque a-t-elle dépassé les blanches cascades de Saint-Chély, que le
Le Tarn à Saint-Chély". — Phot, Chabanon.
paysagiste ne peut retenir un cri d’admiration. La rive gauche montre de grands
l'ochers de dolomie blanche, où l’eau se brise Sous des excavations. La rive droite
laisse, par un angle brusque, le regard plonger dans un lointain où se profilent
su r l’horizon les falaises grises du haut causse, En bas, une Végétation luxuriante
s’élève tant qu’un peu de terre revêt le flanc d e là montagne, et l’eau s’étale la rgement
sur les graviers bordés d’oseraies. Autant le fond du défilé était
verdoyant entre Sainte-Enimie et Saint-Chély, autant ici il est d’abord aride' et
sauvage, mais de cette aridité ensoleillée du Midi qui sourit même dans sa
tristesse. Les vagues du Tarn troublent seules le silence. Bientôt se montre,
dans les grands arbres, un village adossé à un gigantesque m u r de roches
rouges trouées de cavernes. C’est Pougnadoires.