le plus pittoresque; le Larzac enfin, le plus grand (plus de 1,000 lui. q.). Ces
causses, « patrie disloquée des caussenards », sont de véritables déserts nus,
tristes, monotones, sans eau, sans bois et presque sans habitants, plateaux
uniques en France par leur configuration, leur aspect, leur climat *.
Voici la page que leur consacre le maître par excellence ès géographie descriptive,
Onésime Reclus, qu’aucun ouvrage sur une province quelconque de
France ne saurait se dispenser de citer çà et là ; _ _
« Trop de soleil si le causse' est bas, trop de neige s u est élevé; toujours
et partout le vent qui tord des bois chétifs ; pour lac, une mare et pour rivière
un casse-cou; de rocheuses prairies tondues par des moutons et des brebis a
laine fine; des champs caillouteux d’orge, d’avoine, de pommes de terre,. rarement
de blé ; des vignes si l’altitude ne lé" défend pas ; ùn sol rouge ou blanc qui
part de roches, qui finit h des roches et que la roche transperce ; des pierres
ramassées une à une depuis tant et-tan t de siècles pour débarrasser ou pour
enclore les domaines, pierres rangées en murs secs ou amoncelées en tas,
p r e s q u e en collines, comme des coins, des monticules de témoignage ou dés
millions dépassants auraient jeté leur caillou, en réprobation d u n meurtre, en
souvenir d’une victime ; des buis, des pins, des chênes, quelques arbustes, débris
isolés de l’antique forêt; de nombreux dolmens qui rappellent des races disparues.
Le caussenard seul peut aimer le causse ; mais tout citoyen du monde
admire les gorges de puissante profondeur qui coupent ou contournent cpt.le
gigantesque àeropole. . -
« En descendant, par des sentiers de chèvres, du plateau dans les précipices
de rebord, on quitte brusquement la blocaille altérée pour les prairies murmura
n te s - les horizons vastes, vagues et tristes, pour de joyeux petits coins du ciel,
et de la terre. En haut, sur la table de pierre, c’était le vent, le froid, la nudité,,
la pauvreté la morosité, la laideur, le vide, car très peu de villages animent ces
plateaux ; en bas, dans les vergers, c’est la tiédeur, la gaieté, l’abondance. Le
contraste inouï que certains canons font avec leurs Causses est une .des plus
rares beautés de la belle France-: » . . .
E n France.est le premier traité de géographie qui ait estimé à leur vrai mente
les gorges séparatives des grands Causses: Tarn entre Sauveterre et Méjean,
Jonte entre Méjean et Noir, Dourbie entre Noir et Larzac,. Vis entre Larzac et
Cévennes. ■ . . ,
Comme le fait deviner l’inspection attentive de la carte de 1 état-major iran-
çais au 80,000e (feuilles de Sévérac, 208; Alais, 209 ; Saint-Affrique, 220 ; le
Vigan 221), ces gorges sont des.fissures immenses, profondes de 400 à 600 mètres, ’
larges en bas de 30 à 800 mètres, en haut de 800 mètres à 2 kilomètres, et ali
fond desquelles les rivières coulent au pied de deux murailles souvent perpendiculaires
dans toute leur élévation.
Dans cès corridors, qui n ’ont pas de rivaux en Europe, le voyageur, en quelque
sorte jeté dans une crevasse, n ’aperçoit qu’un ruban de ciel entre les roches
dentelées du rebord des Causses, et voit les vautours planer sur lui comme sur
une proie. On pourrait croire qu’il fait triste et sombre en bas de leurs fossés
1 Ce sont là les grands causses, car les environs de Rodez et le Qnercy (département du Ùotj .possèdent '
d’autres petits plateaux calcaires identiques, hauts de 300 à 450 mètres, et où l’on connaît depuis longtemps
les curieux sites de Salles-la-Source, Bozouls, Rocamadour; toutefois il reste à.en étudier le sous-sol
avec ses grottes et rivières souterraines inexplorées .
LES CAUSSES: — LES CANONS.' — LA CARTE S
formidables : nullement! La lumière tombant à pic y joue librement et les fait
ressembler à des puits ensoleillés ; la végétation est vivace et fraîche au bord
des rivières ; tantôt les parois des deux rives se rapprochent au point de ne laisser
passage qu’au cours d’eau; tantôt elles s’espacent, au contraire, faisant place
aux champs de blé, aux vignes et aux vergers ; ainsi poussent de gaies oasis,
contrastes saisissants avec le haut causse monotone (dont la_ traversée a attristé
le voyageur pendant de longues heures).et les horreurs grandioses des défilés
étroits, où les cours d’eau ne peuvent plus glisser que sous les ébôulis du chaos.
Et puis, quoi de plus pittoresque que ces villages et ces habitations perdus dans le
fond des gorges ou cramponnés au haut d’un rocher, ces ruines de manoirs
couronnant çà et là des falaises ou baignant leurs tours dans l’eau? Enfin les
formes capricieuses des rochers, les silhouettes bizarres et les profils cyclopéens
découpés par les éléments dans les blocs, calcaires, évoquent l’idée de ces constructions
surhumaines que Gustave Doré faisait élever par ses, géants ; la débauche
des couleurs vives peintes sur les arbres, les eaux et les pierres, rappelle
le pinceau du Titien ; à chaque détour de la rivière, un nouveau décor se déroule,
que la plume, le crayon et la plaque sensible sont tous trois impuissants à rendre.
La gorge du Tarn est la plus belle. Pendant 83 kilomètres, d’Ispàgnac (Lozère)
à Peyreleau (Aveyron), la rivière ondule dans une étroite fente sinueuse, pro-
fonde de SOO mètres en moyenne, entre deux escarpements flamboyants comme
un soleil couchant.
Lés vallées de ce genre ont reçu des géologues un nom spécial : on les appelle
des canons. Gomme cette expression, nouvellement introduite dans la langue
française, n ’est pas encore d’un usage courant, il importe de -bien la définir. Ce
.sera une excellente occasion de parler un peu des grands canons de l ’Amérique
du Nord.
Caïion est un mot espagnol signifiant tuyau, tube, canal : fes valléesauxquelles
on l’applique présentent deux caractères bien tranchés : profondeur très grande
eu égard à la largeur, — et verticalité souvent absolue des flancs. De plus, elles
s’oüvrent généralement dans les pays de plateaux, et leurs deux bords supérieurs
se trouvent sensiblement au même niveau. Fo rt étroites, elles ne sont souvent
guère plus larges au sommet qu’au fond ; deux lignes continues de falaises perpendiculaires
ou de talus à fortes pentes les encaissent ; leur aspect est donc
celui d’un couloir tortueux où un cours d’eau serpente au pied de deux murailles.
Çes entailles, toujours pratiquées aux dépens des formations sédimenlaires, tirent,
leur origine de deux principales causes, qui la plupart du temps ont combiné
leurs eflels : les moUverùents de l’écorçe terrestre et les érosions. Les fissures
(diaclases), produites à une époque géologique reculée, soit par des éboulementsou
des effondrements, soit par des contractions, soit par des tremblements de terre,
soit enfin par des soulèvements du so l,—- les failles, dues à des glissements de
terrain, — ont donné naissance à des lignes de fracture, à des dénivellations de
la surface originaire qui drainaient les eaux courantes et se transformaient en
thalwegs (chemins de vallée) ; les,torrents, encastrés entre les lèvres de ces fractures,
ont ensuite lentement approfondi leurs lits par voie d’érosion ; et quand les
couches de terrain soumises à l’action rongeuse des eaux se trouvaient, comme
les grès, les calcaires, les basaltes, et autres roches dures ou compactes, disposées
à la démolition par grosses masses, et non à la désagrégation fragmentaire,
le sciage des flots les façonnait en escarpements (dolomies), en pyramides (grès),