disparaître brusquement derrière un énorme rocher, une berge verticale do
300 mètres au moins, hérissée de roches basaltiques et des débris du manoir.
Sous Charles Y, une bande de routiers vint assaillir Arzenc. La garnison se
composait d’un gardien et de sa femme! En faisant rouler de grosses pierres dans
les escaliers de la tour et s’entre-choquer dés fers, ils réussirent à faire croire à
la présence d une forte compagnie de gens d’armes, et les routiers se retirèrent
sans attaquer.
Au fond de la gorge, le Bès glisse? entre deux blocs de granit formant un détroit
de près de 3 mètres de largeur. C’est le pas de laNobià (fiancée). Une jeune
fille, poursuivie par un soudard à la solde des d’Apcber, voulut franchir d’un
bond ce détroit; elle sauta et né reparut plus. On l’entend se plaindre de temps
en temps, la nuit, quand le vent s’engouffre dans la profonde vallée.
Plus loin, sur la roche Broimzeduro1, une fée en robe blanche vient filer pendant
les nuits d’été avec une quenouille d’or! Là aussi on entend souvent des
plaintes. La roche broiinsedio (mugit) quand le vent du midi lui apporte, en passant
par-dessus les crêtes rocheuses, le bruit du torrent rocailleux. Cette dernière
légende s’explique par ce fait que les seigneurs d’Apcher entretenaient des bohémiennes
dans une maison sur les bords du Bès. L ’imagination des campagnards
a supposé ainsi des apparitions nocturnes dans les sentiers de dunes qui conduisaient
au château ou sur les rochers des environs.
Légendes, souvenirs historiques, pittoresque, géographie physique, ne sont
pas les seuls côtés intéressants de l’Auhrac; l’antiquaire, l'économiste, le géologue,
y trouveront aussi à s’instruire en étudiant les vieux villages celtiques, les
tum u li■, la vie pastorale, les traces glaciaires et volcaniques.
A 2 kilomètres sud-est de baint-Andéol est le lac de Bord. Terne, triste, froid,
solitaire, sans un arbre, sans une maison, sans une route en vue, il n ’a rien
de remarquable en lui-même, si ce n ’est que l ’on y pêche des carpes, poissons
inconnus dans toutes les eaux de la région; mais tout auprès se trouve une
de ces curiosités si mystérieuses que les spécialistes, les initiés seuls, en apprécient
la valeur : c!est la mieux conservée des villes mortes, ou plutôt des anciens
villages gaulois.
A une petite distance au nord du lac se v o it,. sur un mamelon assez escarpé,
ce que les paysans appelent lou bartas de Bord (mot à mot: le grand buisson
de Bord). Cest la ruine d’une vingtaine d’habitations d’âge inconnu, mais antérieures
au x ' siècle. Environ trente ruines de ce genre subsistaient sur l’Aubrac
il y a quarante ans. Beaucoup, ont été détruites, et leurs matériaux employés à
des bâtisses nouvelles. Il y en avait de bien plus considérables que Bord; mais
aujourd’hui celle-ci est la mieux conservée, quoique la majeure partie, depuis
1860, ait été détruite.
Toutes ces ruines présentent le même mode de construction. Des prismes basaltiques
appareillés grossièrement, sans aucune trace de marteau, selon le type des
bâtiments cyclopéens. Les fissures devaient être bouchées avec de l’argile.
Leur puissante végétation les fait de loin ressembler à un énorme buisson.
Les botanistes retrouveront là bien des plantes plus que rares ailleurs. Les entomologistes
aussi y feront superbe chasse:
1. Le brounzidouiro est un instrument qui produit un bruissement par un mouvement giratoire rapide
(patois languedocien). .
2. Notice sur les antiquités de YAubrac et sur Marvejols, par le Dr P r u n i è r e s . Bulletin, 1868, p. 8 8 .
Ces demeures étaient sans doute couvertes-en mottes ou plaqués de gazon
qui, en s’effondrant, ont jeté leur terre de bruyère à l’intérieur des ruines.
« L’origine de ces villages se perd dans la nuit des temps; leur destruction
paraît dater soit de l’invasion des barbares, soit des terribles guerres des fils de
Louis le Débonnaire, c’est-à-dire du ix" siècle. Évidemment l’incendie ou la
dévastation des forêts a amené le départ des populations et changé le climat du
plateau où se cultivaient,, autour de ces villages, des céréales qui n ’y viendraient
plus aujourd’hui. Près de Bord, la trace d’anciens sillons se retrouve, ainsi que
la division des champs. Les fouilles, faites Sur ces ruines n ’ont donné que des
objets rudimentaires, pouvant appartenir à divers âges très anciens : poteries
grossières, silex éclatés sans formes précises, morceaux de fer tronqués, etc. ;
rien d’important, mais cependant un indice de- population à la vie difficile et
misérable. « (L. de Malafosse.)
Et ces villages ne sont pas ce que l’Aubrac nous garde de plus vieux.
Une voie romaine, bien conservée, reste de la voie d’Agrippa, se retrouve
aisément le long de la crête qui sépare les Salhiens de la plaine basse. En la
suivant directement vers le Mas-de-Montorgier, au sud et près de l’endroit où
elle saute le petit ruisseau du Mas-Cre'mat(maison brûlée), l’abbé Boissonnade et
le docteur Prunières ont, le 21 septembre 1866, reconnu les débris de la station
romaine signalée par la table de Peutinger sous le nom d'ad Silanum. Des
briques romaines, des restes de murs, quelques monnaies, sont tout ce que l’on
a pu trouver dans dés fouilles très rapides et superficielles. ( V. chap. XXVIII1.)
Aujourd’hui l’herbe drue de l’Aubrac a recouvert les fouilles, et les traces d'ad
Silanum sont à pejne visibles.
Plus antiques encore, de nombreux tumuli se retrouvent ; fouillés par divers
antiquaires, ils ont paru très pauvres; le docteur Prunières a recueilli quelques
petits bijoux d’or, des ossements incinérés, des poteries communes, de grosses
perles en verre émaillé pour colliers.
Le mystère plane encore sur ces vénérables restes, trop informes pour attirer
le promeneur banal, assez peu étudiés cependant pour réserver de joyeuses surprises
au chercheur.
Le linguiste même aurait de curieux problèmes à résoudre s’il voulait trouver
le sens et l’origine de ces noms étranges, inusités partout ailleurs : Costeron-
gnouse, Nasbinals, Bès, Peyrou, Mailhebiau, Cap-Combattut,. Croupatache,
Bord, Trap, Faltre, Pleich, etc.
Ces noms ont peu de rapport avec les termes d’origine romaine en usage dans
tout le Gfévaudan et rappellent beaucoup la langue celtique.
Arrivons à l’industrie maîtresse de l’Aubrac, le pacage :
Quarante à cinquante mille moutons transhumants du Languedoc viennent
chaque été esliver dans la montagne; trente mille bêtes à cornes ruminent au
milieu d’eux. Parmi ces hordes beuglantes, il est dangeureux de se promener
avec des chiens, qui risquent de mettre les taureaux en fureur. Maint accident
s’est produit.
« Dans les burons, le cantalès et ses deux aides convertissent en fromage
(fourme) et en beurre le lait des vaches de la célèbre race d’Aubrac. Il y a
quarante ans, c’est à peine si l’on apercevait, à longues distances, un misérable
1. V. Bull, de la Soc. d’agriculture de la Lozère, année 1868, p. 99 et 141 et suivantes»