
lx I N T R O D
cruauté, comme toutes les autres duretés
naturelles j n’eft produite que par un fenti-
inem encore plus dur, qui eft le befoin pour
foi - même , la néceffité : trop preffe de
fon propre befoin, l'aigle n’entend qu’impa-
tiemment & fans pitié les cris de fes petis,
d’autant plus affamés qu’ils deviennent plus
grands; lï la chaffe fe trouve difficile & que
3a proie vienne à manquer, il les expulfe,
les frappe, & quelquefois les tue impitoyablement
dans un accès de fureur caufce par
3a mifcre. Un autre effet de cette dureté naturelle
& acquife , eft l’infociabilité. Les oi-
féaux carnac.iers ne fe réuniffent jamais les
uns avec les autres; ils mènent, comme les
voleurs, une vie folitaire 8c vagabonde. Le
befoin de l’amour , apparemment le plus
puhTant aptès celui de la néceffité de fublif-
ter, réunit le mâle & la femelle : & comme
tous deux font en état de fe pourvoir & qu’ils
peuvent même s’aider à la guerre qu’ils font
aux autres animaux; ils ne fe quittent guère
& ne fe féparent pas même après la faifou
des amours. On trouve prefque toujours une
paire de ces oifeaux dans le mêmêlieumars
prefque jamais on ne les voit s’attrouper ni
même fe réunir en famille ;& ceux qui comme
les aigles font les plus grands , & ont par
cette raifon befoin de fubliftance, ne fouffrent
pas même que Ieurs^petits devenus leurs rivaux
,' viennent occuper les lieux voifins de
ceux qu’ils habitent.
Les oifeaux granivores ont reçu de la nature
une conformation différente de celle
des oifeaux carnaciers , & parfaitement appropriée
à leur manière de vivre , ils ont le
bec court, un peu crochu, le gefier d’une
fubftance allez ferme & allez folrde pour
broyer les alimens, à l’aide de quelques petits
cailloux qu’ils avalent. Ils ont les moeurs plus
douces , plus fociales ; ils fuient les déferts
& fe rapprochent de l’habitation de l’homme ;
la plupart même vivent avec lui ; les autres
fe répandent dans les pays à bled 8c dans les
terres bien cultivées : en général, leur inf-
tinél efl plus varié , plus perfediôné que dans
la plupart des autres oifeaux ; & cela vient
fans doute , de ce qu’ils fréquentent la fociété.
Mais le caràâère principal qui les diftingue ,
c'eft leur très-grande fécondité & leur puif-
fence en amour; tout le monde connoit le produit
de la poule, de la d'onde de la perdrix ,.
6c l’ardeur éxceffive du moineau, du pigeon ;
il femble que la nourriture abondanre que
U G T I O N.
fe procurent ces oifeaux, ne 1er t qu’à leurs
plaifîrs & qu elle tourne toute entière au
profit de la propagation. Ils mettent brdr-.
nairenient peu de foin à la conftruétion du
nid ; quelques piailles, uni peu d’herbe ou
dé feuilles arrangées négligemment font les
feuls matériaux qu’ils emploient; ils lés pofent
à plate-terre , dans les creux d’arbres, dans
les cavités dès rochers. Ce font de toits les
oifeaux, ceux qui montrent plus d'attachement
envers leurs petits ; ils les noiirrîlfent
avec beaucoup de foin, & les défendent avec
courage. Ceux qui vivent en liberté , fe raf-
fembient au commencement de l’hiver , fe
mettent en bandes 8c en troupes nombreufes
& n’ont jamais d’autre querelles,d’antres caufes
de guerre que celle de l’amour ou de l’attachement
pour leurs petits.
Les oifeaux frugivores ont à peu près les
mêmes habitudes que les oifeaux qui vivent
de graines ; leur naturel eft également doux
& leur vie auffi tranquille, mais ils ne font
pas auffi féconds. Ce font de tous les oifeaux,
ceux qui ont le moins, befoin de réfléchir &
de rarfonner pour vivre, ils ont moins d’idées
& plus d’innocence, une conduite uniforme
qui ne préfente pas beaucoup de révolutions
& qui donne au contraire le fpeélacle du calme
& de la paix. On dit que i’hifloire d’un peuple
fans pallions , feroit unehiftoire fans intérêt;
celle des animaux qui fe nourrilfent d’herbes
ou de fruits, ell prefque dans ce cas; elle eft
auffi (impie que leurs befoins : toute leur
fcience fe borne au fouveriir d’un petit nombre
de faits ; & fi quelques animaux deftrue-
teurs ne troubloient point leurs âfyiés, ils
fauroient encore moins ; mais leur vie feroit
libre & heureufe autant qu’elle efl naturellement
uniforme.
Les oifeaux deau dit M. de Buffon (î),
font les feuls qui réunifient à la jouiflance
de l’air, & de la terre , la poffeffion de la
mer. De nombreufes efpèces , toutes très-
multipliées, en peuplent les rivagès& lespiai-
/ies : ils voguent fur les flots avec autant
d’aifance & plus de fée irrité qu’ils ne volent
dans leur élément naturel. Par tout’ ils y
trouvent une fubliftance abondante, ime proie
qui ne peut les fuir ; & pour la faifir, les
uns fendent le* flots & s’y plongent ; d’autres
ne font que les effleurer en rafant leur .fur-
face par un vol rapide on méfia ré fur la dif-
(i)BufFon, tom, 1 3 , p. 339.
tance & la quantité des vi&rmes ; tous s’é-
tabliflent fur cet „élément mobile , comme
dans un domicile fixe : ils s’y raiïemblent en
grande fociété & vivent tranquillement au
milieu des orages, ils. fembient même fe jouer
avec les vagues, lutter contre les vents, &
s’expofer aux tempêtes fans les redouter&fubir
de naufrage ; ils ne quittent qu’avec peine ce
domicile de choix, & feulement dans le temps
que le foin de leur progéniture , en les attachant
au rivage, ne leur permet plus de fré- ;
quenter la mer que par inftans ; car dès que
leurs petits font éclos, ils les condnifem à
çe féjour chéri, que ceux ci chériront bientôt
eux memes, comme plus convenable à leur
nature que celui de la terre. En effet, la forme
du corps & des membres de ces oifeaux indique
allez qu’ils font navigateurs nés & ha
bilans naturels de l’élément liquide. Leur
corps eft arqué 8c bombé comme la carène.
d’un vailïeau ; & c’eft peut être fur cette figure,
que l’homme a tracé celle de fes premiers
navires ; leur corps , relevé fur une
poitrine faillante , en repréfente allez bien
la proue ; leur queue courte, & toute rafi
femblée en un feul faifeeau fert de gouvernail
; leurs pieds larges & palmés font l’office
de véritables rames ; le duvet épais luf-
tré d’huile , qui revêt tout le corps eft un
goudron naturel qui le rend impénétrable à
l’humidité, en même temps qu’il le fait flotter
plus légèrement à la furface des eaux :
& ceci n’eft encore qu'un apperçu des
facultés que la nature a données à ces oifeaux
pour la navigation. Leurs habitudes naturelles
font conformes à ces facultés ; leurs moeurs
y font âd'orties ; ils ne fe plaifent nulle part
fautant que fur l'eau ; ils fembient craindre
de fe pofer à terre ; la moindre afpérité du
fol bleffe leurs pieds ramollis par l'habitude
de ne preffer qu’une furface humide : enfin
l’eau eft pour eux un lieu de repos 8c de
plailrrs, où tous leurs mouvemens s’exécutent
avec facilité, où toutes leurs fondions
le font avec aifance , où leurs différentes
évolutions fe tracent avec grâce. La vie de
l’oifeau aquatique eft donc plus paifible 8c
moins pénible que celle de la plupart des
autres oifeaux; il emploie beaucoup moins
: de forces pour nager que les autres n’en dépendent
pour voler; l’élément qu’il habite lui
jpftre à chaque inftant fa fubliftance ; il la
rencontre plus qu’il ne la cherche , & fouvent
le mouvement de l’onde l’amène à fa portée ;
il la prend fans fatigue, comme il la trouvée
fans peine 8c fans travail ; 8c cette vie plus
douce lui donne en même temps des moeurs
plus innocentes Ôc des habitudes pacifiques.
Chaque efpèce fe raffemble par le fentiment
d’un amour mutuel : nul de ces oifeaux n’attaque
fon femblable ; nul ne fait fa vidime
d’aucun autre oifeau ; & dans cette grande
& tranquille nation, on ne voit.point le plus
fort inquiéter le plus foible : bien différens
de ces .tyrans de la terre qui ne parcourent
leur empire que .pour le dévafter qui toujours
en guerre avec leurs fembiablesne.cher-
chent qu’à les détruire, le peuple ailé des
eaux, par - tout en paix avec .lui même,
ne s’eft jamais fouillé du fan g de fon efpèce ;
refpedant même le genre entier des oifeaux,
il fe contente d’une chère moins noble,
& n’emploie (à force 8c fes armes que contre
le genre abjed des reptiles 8c le genre muet
des poiflons. Néanmoins la plupart de ces or-
feaux ont, avec une grande véhémence d’appétit
, les moyens d’y fatisfaire. Plufieurs efi
pèces comme celle du bar le, du cr avant, du
tadorne, ont les bords intérieurs du bec armés
de dentelures affez tranchantes, pour
que la proie faille ne puiffe s’échapper :
prefque tous font plus voraces que les oifeaux
terreftres ; & il faut avouer qu’il y en a quelques
uns, tels que les canards, les mouettes &c
dont le go ut eft fi peu délicat „ qu’ils dévorent
avec avidité la chair morte & les entrailles
de tous les animaux.
Les oifeaux de rivage, quoique différens de
ceux dont nous venons de parler , par les
formes du corps, ont cependant plufieurs
rapports 8c quelques habitudes communes
avec eux. Iis font taillés fur un autre modèle;
leur corps grêle, & de figure élancé', leurs
pieds dénuées de membranes ne leur permettent
ni de plonger, ni de fe foutenir fur
l’eau; ils ne peuvent qu’en fuivreNIes rives:
montés fur de très-longues jambes, avec un
cou tout auffi long , ils n’entrent que dans
les eaux baffes, où ils peuvent marcher ; 8s
cherchent dans la vafe la pâture qui leur convient
: cependant quoiqu’ils forent privés de
l’avantage de nager, 8c qu’ils ne puiflent franchir
d’un feul vol & fans un point de repos les
va fies mers qui féparent le nouveau continent
de l’ancien , ils fe font rendus prefque auffi
loin que les oifeaux d’eau , puifqu’on a
trouvé dans {’Amérique méridonafe, plufieurs
oifeaux de rivage qui habitent les régions cor