
précipices fous îes pas des oifeaux , fème
leur route d’embuches de toute efpèce &
les tient éveillés par une crainte continuelle,
alors un intérêt puiflant les force à l'attention
, la- mémoire fe charge de tous les faits
relatifs à cet objet; & les circonftances analogues
ne fe préfentent pas fans rappeller
vivement ces obftacles multipliés. Entre les
oifeaux même, dont la manière de vivre eft
la même , & qui n’ont que des moyens fem-
blables pour fubfifter, les plus foibles doivent
toujours être les plus intelligens & les
plus rufés, parce que la rufe n’eft néceflaire
qu’où la force manque : c’eft donc en effet
parmi les plus .faibles oifeaux, organifés de
la même manière, qu'il faut chercher le plus
d’intelligence.
P erfectibilité. D’après les conclufions que nous
venons de tirer, il femble qu’on devrort remarquer
dans les bêtes , quelques progrès
généraux d’intelligence. La perfectibilité ,
attribut néceffaire de tout être qui a des fens
& de la mémoire , devroit fe développer
ïorfque les circonftances font favorables, 8c
par degrés élever quelques efpèces à un état j
îupérieur. On les verroit alors policées dans!
un lieu , plus ou moins fkuvages dans un]
autre, montrer dans leurs moeurs des différences
marquées; cependant c’eft ce que nous
n’appercevons pas. Il eft vrai, qu’en y réflé-
chiffant un peu , il eft aifé de s’appercevoir
que nous ne fommes pas en état de juger
des progrès de ces êtres fi diffère ns de nous
à beaucoup d’égards; & qu’ils pourroient en
avoir faits fans que nous fuflîons capables de
les appercevoir. En voyant quelques-unes de
leurs aâions , nous appercevons bien quel
chemin leur intelligence a du parcourir pour
arriver à la détermination qui les produit ;
nous diftinguons ce qui appartient à la perception
(impie, au jugement à la perfe&ion ;
nous pouvons aufli démêler quelques-uns de
leurs deffeins ; pénétrer dans les motifs qui
déterminent leurs mouvemens décidés, parce
que ces motifs font les caufès eflentielles ou
néceflaires des mouvemens que nous appercevons
: ainfi nous voyons clairement l’intention
de l’hirondelle , lorfqu’elle travaille à
conftruire fon nid , mais nous ne pouvons
pas favoir fi le temps n’a pas perfedionné fon
archriedure ; fi l’expérience n’ajoute pas de
l’élégance & de la commodité à cette conf-
trudioii : en un mot, nous n’avons pas les
moyens de juger de ce qui eft grâce ou cornmodité
pour elle , pâ'rce que les principaux I
inftrumens des idées qu’elles acquièrent, font I
précifément ceux auxquels nous devons nous. I
mêmes le moins de perception. Nous ne pou- I
vons donc pas connoître les élémens qui I
entrent pour elles dans la compofition de toute I
idée complexe , parce que nous n’avons pas I
au même degré les fenfations prédominantes, I
dont elle eft compofée; 8c de-là il doit ré- I
fulter une entière différence entre le fyflême I
total de leurs connoiflances 8c celui des nôtres: I
par exemple , les idées acquifcs par l’odorat, I
n’influent prefqu’en rien fur nos habitudes I
ni fur nos progrès ; mais fi nous confidérons I
ce fens tel qu’il eft pour les oifeaux de proie, S
c’eft-à-dire , comme un organe principal , I
comme un toucher très-fin , qui les inftruit à I
de grandes diftances, des rapports que les objets I
peuvent avoir avec leur confervation , nous j
verrons qu’il nous eft irnpoftible d’atteindre I
à toutes les connoiflances que ces oifeaux peu* I
vent acquérir par le fecours de l’odorat ; & j
fi nous décidions de l’enfemble de celles de I
leurs idées dans iefquelles la fenfation de l’o-1
dorât entre comme élément principal, pous I
tomberions dans le cas d’un aveugle qui von-1
droit juger des progrès de la peinture. Con* I
cluons donc que les oifeaux pourroient avoir I
.fait des progrès fans que nous fuflîons capa* I
blés de les fentir; il eft cependant vraifem-1
blable qu’ils n’en ont pas faits beaucoup, & I
même qu’ils n’en feront jamais. Ils manquent I
d’un intérêt allez adif 8c de quelques - unes I
des conditions, fans Iefquelles il paroit im-1
poflible que la perfectibilité ne refle pas
inutile.
i° . Les oifeaux n’ont pas d’intérêt à faire I
de progrès, puifque leur manière de vivre ha- j
bituelle , confifte dans la répétition d’un petit |j
nombre d’ades fort (impies qui fufïîfent àj
tous leurs befoins. Ceux dont de penchant I
à la rapine tient l’induftrie éveillée , ou que
des dangers multipliés forcent à une attention
prefque continuelle , acquièrent certainement
des connoiflances plus étendues que les autres ; I
mais comme iis ne vivent point en fo'ciété,'cette
fcience prefque individuelle ne fe tranfmet,
du moins , qu’à un petit nombre d’individus.
D’ailleurs, fans ceffe occupés à pourvoir à
leurs befoins de première nécefliié ils retient
dans le cercle étroit des connoiflances
qui y font immédiatement relatives.
2°. Les oifeaux manquent de beaucoup
de conditions néceflaires pour la perfectibilité
La fociété, le defir., les paflions fa&ices qui
naiffent.de l’un & de l’autre , l’ennui qui
eft un produit des paflions Ôc du loifir, font
autant de moyens néceflaires fans lefquels
ou ne dort pas attendre de progrès fenfibies
de la part des êtres les plus intelligens; or,
il faut voir fi les oifeaux réunifient toutes
ces conditions.
Il y a en effet 3 .plu fleurs efpéces qui pa-
roiffent vivre en fociété;’maisen examinant
le caraéfère de leur alTociationil eft aifé
de voir qu’elle ne peut pas être féconde en
progrès ; les oies > les canards , les alouettes ,
les vauneauXy 8c les autres oifeaux qui fe raf-
femblent pendant l’hiver j paroilfent réunis
uniquement par la frayeur qui les oblige à
fe tenir près les uns des autres pour fe raf-
furer un peu ; mais le fentrment commun
qui les réunit, n’établit entr’eux aucun rap*
port aétif d’utilité réciproque, même relativement
à fon objet. S’ils craignent moins
lorfqu’ils font enfemble, ils n’en font pas
plus redoutables à leurs ennemis : un chien
feul difperfe cette troupe timide , dont l'union
ne peut pas augmenter les forces. Les
autres détails de leur vie tendent à diffoudre
plutôt qu’à reflerrer les liens qui pourroient
fe former entr’eux. Ils cherchent enfemble
les graines, les vers, ou les poiiïons qui
conftituent leur nourriture principale ; 8c cette
aétion fimple peut produire une rivalité dans _
le cas de difette, maïs ne peut jamais amener
un fecours mutuel. Qu’on examine deux
oifeaux de proie qui fe font établis avec leur
famille à une certaine difiance proportionnée,
à l’étendue du pays qui leur eft néceflaire pour
fubfifter; loin de vivre en fociété, ïorfque les
familles ainfi difperfées fe rencontrent, il
y a prefque toujours un combat, à la fin
duquel le plus foible eft forcé de s’éloigner.
Il ne fuffit donc pas que les oifeaux vivent
raffemblés, pour qu’il y àit une fociété proprement
dite. Ceux même , qui paroiflent fe
réunir par une forte d’attrait, & goiuer quelque
plaifir à vivre les uns près des autres,
n’ont point la condition effentieile de la fociété,
s’ils ne font pas organifés de manière
a fe ferv.'r réciproquement pour les befoins
de la vie. C’eit l’échange des fecours qui établit
des rapports , 8c qui forme la fociété. Il
faut que ces rapports foieut fondés fur différentes
fondions qui concourent au bien commun
de FafTociation, 8c dont le partage rende I
a chacun des individus, la vie plus facile f j
moins occupée, 8c produite par conféquent
du loifir pour tous. Alors, l’utilité générale
des offices que les individus ont choifis , devient
une mefure commune de leur mérite.
L’émulation s’établit par l’habitude qu’ils prennent
de fe comparer entr’eux , & elle enfante
des efforts. Ceux qui fe fentent trop faibles
veulent néanmoins paroître, 8c là commence
le règne des paflions factices qui font le produit
de la fociété.
Or, les oifeaux n’ayant ni fociété proprement
dite, comme nous venons de le démontrer,
ni loifir , puifqu’ils font obligés de
partager leur vie entre l’agitation & le fom-
meil, il s’enfuit qu’ils n’ont point de paflions
fadices, c’eft à-dire, de ces befoins de convention
qui deviennent aufli preflans que les
befoins naturels, fans pouvoir être fatisfaits
comme eux. La néceflïté d’être émus, d’être
vivement avertis de notre exiftence qui fe
fait fentir en nous, l’état de veille 8c d’i-
nadron eft en grande partie la caufe de nos
malheurs, de nos crimes & de nos progrès.
C’eft un befoin toujours agîftànt qui s’irrite
par les fecours même qu’on lui donne, parce
que le fouvenir d’une émotion force , rend
infipides la plupart de celles qui n’ont pas
le même dégré d’intenfité. De-là, cette ardeur
à chercher toutes les fcénes de mouvement,
tous les genres de fpedacles , d’oii peut ré-
fulter une impreflion attachante & vive' :
de-là aufli ce malaife de curiofité qui nous
force à chercher au dedans de nous-mêmes
par la méditation, une occupation qui nous
intérefle. Les oifeaux ne connoiflent point
cet état qui fait le tourment de l’homme oi-
fif 8c civilifé. Ils ne font excités à l’attention
que par les befoins de l’appetit , ceux de
l’amour 8c la néceffité d’éviter le péril. Ces
trois objets occupent la plus grande partie
de leur temps, 8c ils paflent le refle dans
un état d’infouciance , de demi fomeil qui
ne comporte ni l’ennui ni la curiofité ftimu*
lante que nous éprouvons. Les moyens qu’ils
ont pour fe procurer leur nourriture 8c pour
échapper au danger , font bornés par leur
organifation. 11 leur feroit impoflible d’en
inventer d'autres, parce que les moyens de
fabriquer des inftrumensv leur font interdits
par la nature. Ils n’ont de reiïource que dans
leur induflrie & dans les armes que la nature
leur a données. D’ailleurs , les oifeaux font
naturellement vêtus, ainfi que tous les autres
animaux ; 8c ce premier befoin de l’homme