
la voix de la perfonne qui les avoit élevés
& revenir à elle pour ne plus l'abandonner.
On en a vu d’autres qui ayant été forcés de
-quitter leur premier maître, fe font,laides
mourir de regret (2).
Mais cette éducation, par laquelle nous
rendons les oifeaux plus utiles ou plus aimables
pour nous, femblent les rendre odieux à
tous les autres, & fiir-tout à ceux de leur ef-
pèce. Dès que l'oifeau privé prend fon eflor
8c va dans la forêt, les autres s’aftemblent
d’abord pour l’admirer ; & bientôt ils le maltraitent
& le pourfuivent comme s’il étoit
d’une efpèce ennemie. On l’a vu dans l’hif-
toire de la bufe que nous avons citée ; 8c pn
peut s’en convaincre en donnant la liberté à
un geai prifonnier ou à une pie ; auflî-tôt les
fauvages de leur efpèce fe réunifient pour
ïes affaillir 8c les chaffer : ils ne les admettent
dans. leur compagnie que quand
ces oifeaux privés ont perdu tous les lignes
de leur affedîon pour nous, & tous les caractères
qui les rendorent différens de leurs
frères fauvages, comme fl ces caradères rap
peüoient à ceux-ci, le fentimenf de la crainte
qu’ils ont de l’homme leur tyran , & la haine
que méritent fes fuppôts ou fes efclaves.
C hant , fupérieurs aux quadrupèdes par la puif-
fnnce du vol & la rapidité du mouvement ,
les oifeaux les fnrpaffent encore par la prérogative
du chant. C’eft fans contredit le plus
bel attribut qu’ils aient reçu de la nature :
il a fervi autrefois de modèle à. cet art divin
qui flatte fl agréablement l’oreille de
l’homme & qui a tant d’influence fur fes actions,
(2) ; & il fait tous les ans l’ornement
( 1) Cet attachement inviolable du Bouvreuil pour fon
maître, me rappelle un trait bien extraordinaire qu’on
trouve cité dans Pline & dans les ouviages de plufieurs
autres naturalises. Une jeune fille avoit nourri & élevé
un -aigle, qui étanr devenu grand, témoigna fa reçonnoif-
fance a fa bienfaitrice eo lui apportant d’abord des o;féaux
qu’il prenoit à la chafle & enfuite beaucoup de. g bier.
Enfin la jeune fille mourut , & comme on bruloit
‘ fon corps fur un bûcher,, Y aigle fur vint, fe jttta dans le
feu & fe br.ûlà avec elle. En mémoire de cet éyenemenr,
les habitans de Seftos élevèrent en cet endroit un temple
qui fuc appellé le temp'e de Jupiter & de la vierge ,
attendu que Vaigle efl l ’attribut de Jupiter. Pli». Ivfl.
nat. lib. X , cap. 5. Pbilarque chezTzetz.es, chiliad. 4 ,
hift. nat. 1 34, v. 288. Elle» , bift. anira. lib. 2 , cap.
40 & lib. 6,cap. ? . Aliro v . ornith. lib. 1 ,p. 483: fequent.j
( 2 ) ... ,jAd liquidas avium voce s imitarier ore
Antè fuit miilto quamlcevia carmina çantu
Conçelebrare hommes pojfent, cantuque juvare,
LucretiüS,. i
de la plus belle & la plus aimable des fàf.
fons. Difperfés fur toute la furface du globe
& jufques dans les folitudes les plus profondes
, les oifeaux répandent par-tout le plaifir
l’agrément & la vie : leurs mouvemens ont
l’air du femiment; leurs accens, le ton de
la joie ; leurs ;eux font I’expreffion du bonheur
; & leur préfence eft fi nécelTaire à l’harmonie
de l’univers, que les feuillages renarf-
fans , les bocages revêtus d’une nouvelle
parure, nous paraîtraient moinsfrais & moins
touchans*, fi les orfeaux ne venoient les animer
& y chanter l’amour. Tous les individus
de cet ordre n’ont point cependant la voix
également douce & mélodieufe ; les femelles
en général , font plus lilencieufes que les
mâles; elles jettent , comme eux, des ciis
de douleur ou de crainte; elles ont desex-
prelfions & des murmures d’inquiétude ou
de follicitude, fur-tout pour leurs petits; mais
le chant paroit interdit à la plupart d’entr’elles,
tandis que dans le mâle, c’eft une des qualités
qui fait le plus de fenfittiou. II y a auffi
des oifeaux dont le chant paraît infuppor-
table, fur-tout en le comparant à celui des
autres : néanmoins ces efpèces font peu nom-
breufes; ce font les oifeaux qui habitent la
mer ou les rivages, & dont les charmes de
la voi^ feraient perdus pour l’homme ; ou
bien les plus gros oifeaux terreftres que la
nature femble avoir traités comme les quadrupèdes,
en ne leur donnant pour voix
qu’un feul ou plufieurs cris, qui font d’autant
plus rauques, plus perçans & plus forts
qu’ils ont moins de proportion avec la grandeur
de Panimal. -Un paon qui n’a pas la
centième partie du volume d’un boeuf, fe fait
entendre de plus loin ; & un roifignol peut
remplir de fes fons , tout amant d’eipace
qu’une voix humaine. Cette prodigieufe étendue
de voix dépend de plufieurs caufes réunies
, de la grandeur de la trachée artère, de
la force des mufcles du larynx, de la capacité
des poumons & de l’abondance des vivres.
Cette dernière condition paroit tellement ef-
fentielle que les oifeaux qu’on tient en cage,
chantent pendant plus des deux tiers de
l’année, tandis que ceux qui jouilfent de
la liberté, ne chantentordinairementquepen-
dant deux mois Si demi.
Le chant des oifeaux , comme l’on fait ;
n'eft pas également parfait dans tous les âges
de leur vie : c’eil une qualité en partie naturelle
& en partie acquife, un talent qui fe
développe & fe perfectionne fuccetfivement.
La grande facilité qu’ont ces animaux a retenir
8c à répéter les fons , fait que non-feulement,
ils en empruntent les uns des autres
, mais que fou..vent ils copient les inflexions,
les tons de la. voix humaine 8c
de nos inftrumens. On a obfervé que dans
tous les pays peuplés 8c policés, la plupart
des oifeaux ont la voix charmante , 8c le chant
mélodieux ; tandis que dans l’immenfe étendue
des déferts de l’Afrique & de l’Amérique,
où Ton n’a trouvé que des hommes fauvages,
il n’exifte que des oifeaux criards , parmi
lefquels on peut à peine citer quelques efpèces
dont la voix foit douce & agréable.
11 eft donc certain que le chant des oifeaux,
n’eft pas plus inné que le langage dans l’homme
8c qu’on peut diftinguer les fons que ces
animaux ont acquis, de ceux qui leur font
naturels. Ces expériences curieufes qu’a faites
M. Barrington, vice préfîdentde la foçiétéde
Londres , ne laiflent plus aucun doute fur
cet objet ( l). Ce célèbre phyfîcien, ayant pris
trois linots (2) mâles en état de voler, les
enferma tous les trois féparémenc, avec trois
allouâtes de différente efpèce, dont le ramage
étoit fort agréable. L’une étoit Valouette des
champs ; l’autre -, Valouette des bois, 8c l’autre
l'alouette méfange. Ces jeunes linges ne tardèrent
pas à imiter la voix de leur maître.
Lorfque le chant du linot-méfange (3) fut. entièrement
fixé , il le mit dans un autre cage ,
avec trois linots ordinaires qui ne cefibient
piefque jamais de chanter. Le linot-mefange
ne prit aucun paftage du chant des linots , ;
8c confier va conftamment celui de Valouette-
méfange.
Je voulus favoir, dit encore le même ob-
fervateur, fl un jeune oifeau d’Europe pour-
rôit apprendre les notes d’un oifeau africain.
Dans cette vue , j’entrepris d’éiever un jeune
linot avec un vengolina ^ 8c il parvint à imiter
l’africain avec une fl grande perfection que,
dans leur chant, il étoit impoflible de les diftinguer
l’un de l’autre.
; Un chardonneret qu’on tira du nid le Ien-
. demain de fa nalliance, & qu’on avoit placé
fur une fenêtre qui donnoit fur un jardin,
. où venoit fréquemment un roitelet, apprit
r ( 1) Voyez le mém. de M. Daniel Barrington furie
ch ant des oifeaux, inféré dans lés tranf. pbilof. vol. 6 3 ,
part, 1 1 & dans le journal de phif. juin 1774.
( 1 ) FringiUa flamme a. L in n .f. n.
. ( f) M. Barrington appelle ainfï le linot qui aYoit appris
avec tant de perfeétion le ramage de ce
petit oifeau, qu’on les confondoit l’un avec
l’autre.
Ce talent qu’ont les oifeaux, d’imiter le
chant & le ramage des autres , produit fou-
vent dans fes effets., des modifications très-
remarquables. Au rapport de M. Barrington *
un moineau élevé avec un linot , mais qui
avoit été dans le cas d’entendre fouvent la
voix du chardonneret , avoit acquis un chant
mixte j qui tenoit également de l’un ôc de
l’autre.
Un jeune rouge-gorge qui avoit été tenu
enfermé pendant quelque temps auprès d’un
rojjignol qui fîniflbit de chanter, 8c qui effectivement
ne chanta plus, après quinze jours,
fe forma un ramage compofé, qui i mit oit aux
trois quarts celui du rojjignol jlerefte du chanc
étoit ce que les oifëleurs appellent le roulis
du rouge-gorge..
L’exemple de cet oifeau pourroit faire foup-
çonner que l’éLève ne retient que. les notes
qu’il a entendues lorfqu’on l’a retiré du nid ,
ou le chanc de l’oifeau qui l’approche de plus
près , mais de nombrenfes expériences ont
prouvé qu’il eft très-difficile de décider à
quel maître il donnera la préférence, & quelles
notes fixeront déformais fon attention. Un
rouge-gorge qui avoit refté pendant un mois
auprès d’un linot alouette des bois, fut tranfporté
dans la cage d’un linot alouette des champs ;
cette tranfmutation produifit un changement
dans le chant du rouge-gorge , qui adopta
le ramage du linot alouette des champs 8c qui
le conferva même après qu’on l’eut mis une
fécondé fois avec le premier linot.
Tous ces faits & bien d’autres que j’aurors
pu y ajouter , femblent prouver d'une manière
déçifive, que les oifeaux n’ont point
de chant inné; que leurs modulations & leurs
ramages dépendent du maître qui les élève ;
qu’il faut que leurs organes les rendent ca-
. pables d’imiter les fons qu’ils entendent &
qu’il eft néceffaire que les circonftances leur
permettent de les entendre fouvent. Mais,
dira-t-on, pourquoi dans l’état de liberté 8c
de vie fauvage, les oifeaux apprennent - ils
8c gardent-ils conftamment le même chant 2
- Cela provient de ce que les petits ne donnent
leur attention qu'au chant du père, qui néglige
lui- même les notes de tous les autres
oifeaux qui chantent dans les environs, Ain fl
de jeunes ferins qu’on renferme dans une
volière avec d’autres oifeaux ; n’apprennent