L angage. Nous ne remarquons dans les oifeaux
& dans les bêtes en général que des cris qui
nous paroiflent inarticulés : nous n’entendons
que la répétition allez confiante des mêmes
fons ; & nous avons quelque peine à nous
représenter une converfation fuivie entre
des êtres qui ont un bec & une conformation
fi différente de la nôtre : de ces préjugés
on conclut allez généralement que les oifeaux
8c les bêtes n’ont point de langage
proprement dit; que la parole elt un avantage
qui nous eft particulier ; & que c’eft
l’expreflion privilégiée de là raifon humaine.
Nous fommes certainement trop fupérieurs
aux animaux, pour chercher à méconnoître
ou à nous déguifer lesfacultés dont ils jouilfentî
ainfi l’apparente uniformité des fons qui nous
frappent, ne doit pas nous en impofer. Quand
on parle en notre préfence une langue qui nous
eft étrangère; nous croyons n’entendre que la
répétition des mêmes fons: l’habitude 8c même
l’intelligence du langage nous apprennent
feules à juger des différences ; celle que l'or-
ganifation des oifeaux met entr’eux & nous,
doit nous rendre encore bien plus étrangers
aux individus qui compofent cet ordre d’animaux,
& nous mettre dans l’impoflibilité de
reconnoîire 8c de distinguer les accens, les
expreflions., les inflexions de leur langage;
mais enfin j quelle que fort la difproportion
quiexifteenrre les oifeaux & nous, réduifons
la proportion à fon véritable point de vue :
les oifeaux ont-ils un véritable langage? Pour
réfoudre cette queftion curieufe 8c importante,
il faut examiner premièrement fi ces animaux
ont tout ce.qui eft néceffaire pour parler, &
en fécond lieu s’ils peuvent fans parler exécuter
ce qu’ils exécutent.
Quant au premier point, il eft certain que
les oifeaux poffedent tout ce qui eft néceffaire
pour parier; car le langage ne fuppofe
qu’une fuite d’idées, & la faculté d’articuler:
or ces animaux fentent, comparent, jugent,
réfléchi fient , concluent ; ils ont donc des
idées fui vies. A l’égard de la faculté d’articuler,
la plupart n’ont rien dans leur orga-
nifation qui paroiffe devoir les en priver.
Nous voyons même des oifeaux, d’ailleurs
fi différens de nous , parvenir à former des
fons articulés, entièrement fembiables aux
nôtres; tels fontlespier, les geais} le commandeur
y le mainate: le bouvreuil apprend facilement
à parler, 8c à donnera fes petites, phra-
fes un accent pénétrant, une expreflion intéreffante,
qui feroit prefqne foupçonner en
luiuneame fenfible; ['étourneau peut apprendre
à parler indifféremment français, allemand,
latin , grec, 8c à prononcer de fuite
des phrafes un peu longues: fon gofier fou-
pie fe prête à toutes les inflexions & à tous
les accens : il articule franchement la lettre
R , &foutient très-bien, ajoute M. deBuffon,
fon nom defanfonnet ou plutôt de chanfonner,
par la douceur de fon ramage acquis, beaucoup
plus agréable que fon ramage naturel,
Le perroquet a non - feulement la facilité
d’imiter la voix de l'homme; il femble encore
en avoir Iedefîrûl le manifefte par fon attention
à écouter, par l’effort qu’il fait pour répéter;
8c cet effort fe réitère à chaque inflant ; car
ilgafouilie fans ceffe quelques-unes des fylla-
bes qu’il vient d’entendre: &.il cherche à
prendre le defliis de toutes les voix qui frappent
fôn oreille, en faifant éclater la fienne.
Souvent on eft étonné de lui entendre répéter
des mots ou des fons que l’on n’avoit pas pris
la peine de lui apprendre, 8c qu’on ne le foup-
çonnoit pas même d’avoir écoutés ; témoin
ce perroquet de Henri VIH, dont Aldrovande
fait l’hifloirê, qui, tombé dans la Tarnile,'
appela les batteliers a fon fecours, comme il
avoit entendu les pafiagers les appeller du
rivage (i) ; & cet autre dont parieKnorr (z),
qui entendant tomber une taffe de porcelaine,
s’écria à haute voix, en préfence d’une affem-
blée nombreufe qui prenoit le café, feigneur
Jéfus queft cela ! mot que perfonne ne^ lui
avoir appris, mais qu’il avoit retenu en i entendant
prononcer à fa maîtreffe toutes les
fois qu’elle éprouvoit un fentiment inopiné de
frayeur. Cet oifeau a un fi ardent défir d’apprendre,
qu’il paroît fe faire des tâches 8c
chercher à retenir fa leçon chaque jour; il
en eft occupé jufqu.es dans le fommeil, puif-
que Marcgrave dit qu’il jafe encore en rêvant.
C’eft fur-tout dans lès premières années, qu il
montreceue facilité; qu’il a plus de mémoire, (i)
( i ) Willughby , qui raconte encore cette hiftoire'en
latin & enanglois, y ajoute d’autres d é ta ilsvo ic i comme
il s’exprime : a boat a boat fo r twenty pound, quod
eft, cymbam , cymbatn_» pro vigind lib iis, quam Cx-
pilfime audiverat, 8c tum comtnodiffimè meminerat ,
exclamafte dicitur, excercitatum portitorem quendain
properè adnavigaffe , & fuftulifle avem & régi ( ad quem
pertinere agnofeebat ) reddidilfe, tantum mercedis fpe-
rantem quantum avis promiferat. Rex paftus eft ut quam
avis interrogata denuô dixiffet, acciperet; placuit conditio;
rcfpondit avis , Give thè Knave a g roat, id eft da
nebuloni folidum. Ornith. lib» 2 , pag. 71 y 3*
(i) Knorr. del nat. feleû. tom, z» p. 79.
& qu’on le trouve plus intelligent & plus docile.
Quelquefois cette faculté de mémoire,
cultivée de bonne heure, devient étonnante,
comme dans ce perroquet dont parle Rho
diginus , qu’un cardinal acheta cent ecus
d’or, parce qu’il récitoit correaement le lym-
bôle des apôtres ■ M. de Laborde afft.re en
avoir vu un qui fervoit d’aumomer dans un
-vailfeau; il récitoit la prière aux matelots ,
enfuite le refaire. Nous ne finirions pas ii
nous voulions rapporter ici' tous les traits
qui prouvent jttfqu’à quel point peut etre
pouffée l'imitation de la parole dans un perroquet
bien inflruir. Ses petits mots tombes
au hafard égaient parles difparates & quelquefois
furprennent par la juflefie. Willughby
parle d'après CluGus, d’un perroquet, qui,
îorfqtt’on lui difûit , rie^, perroquet, rieq_,
rioit effeâiveæent; & Titillant d’après s’écrioit
avec Un grand éclat ; o le .grand f it qui me
faitrire \ M. de Buffon en a vu un autre, qui,
ayant vieilli avec fon maître, partageant avec
lui les infirmités du grand âge, & accoutumé:
à ne plus entendre que ces mots ijefuis malade,
lorfqu’on lui demandortgïîiiriJ-ra , perroquet,
qu'as tu ? Je Juis malade , répondoit - il d’uo
ton douloureux & en s’étendant fur le foyer,
je fuis malade.
L’aptitude à rendre les accens de la voix
articulée, portée dans le perroquet au plus
haut degré, fuppofe dans l’organe une ftruc-
ture particulière & plus parfaite j auflî les na->
turalilles ont tous remarqué la forme particulière
du bec, de la langue & de la tète du
perroquet• Son bec arrondi en dehors, creufe
& concave en dedans , offre en quelque
manière la capacité d’une bouche dans laquelle
la langue fe meut librement. Le fon ,
venant à frapper contre le bord circulaire de
k mandibuleinférietlre , s’y modifie comme jl
ferait contre une file de dents; tandis que de
ia concavité du bec fupérieur, il fe réfléchit
comme d’un palais; ainfi le fon ne s’échappe
ni ne fuit pas en fifflernent, mais fe remplit
& s’arrondit en voix. Du refie, c’efl la langue
qui plie en tons articulés les fons vagues qui
ne feroîent que de chants ou de cris. Cette
langue efl: ronde, épailfe, plus greffe même
dans le perroquet, à proportion que dans
(1) J ’ai vu à Paris , dans la rue faint-André-dcs-srcs ,
un perroquet qui favoit pvcfque tout le credo, & qui le
chautoit autïitot qu’ il voyoit pafier une proceffion ; mais
.fa voix avoit befoin d’etre foutenue ; ii paioitloit avoir
plus de mémoire pour la parole que pour le chant.
l’homme ; elle feroit encore plus libre pour le
mouvement fi elle n’étoit d une fubflance plus
dure que la chair, & recouverted’une membra-
ne forte & comme cornée. Il faut voir dans
Aldrovande, le nombre des os & desmufcles
dellinés à l’ufage de la langue, & de pins
l’artifice & l’alfortiment de cette mécanique
admirable. Les oifeaux ont donc toutes les
conditions qui fout néceflaires au langage,
des idées & la faculté de les articuler. _
En fécond lieu, fi nous fuivons de près
le détail de leurs aftions, nous verrons qu tl
eflrmpoflible qu'ils les exécutent, s’ils n'ont
pas la faculté de fe communiquer une partie
de leurs idées par une efpcce de langage; il
eft certain que les oifeaux ont des tours différens
pour exprimer leurs diverfes affections ;
ils ont le cri d’affemblée, le cri d’effroi, le
cri de colère ; nous fommes affurés qu’ils ne
confondent pas entr’eux le cri de 1 allarme
avec celui de l’amour: ni L’accent de la douleur
avec celui du plaifir. Si une mère effiayee
pour fa famille > n’avoit qu’un cri pour l’avertir
de ce qui la menace , on verroit a ce cri,
la famille faire les mêmes mouvemens; mats
au contraire j ces mouvemens varient fuivant
les circonftances : tantôt c’ett pour fe mettre
en garde ; tantôt pour fe mettre en fuite ;
tantôt pour fe cacher ou bien pour fe pre-
fenter au combat. Puifqu’en conféquence
de l’ordre donné par la mère, les adrons
font différentes , il eft vraifemblable que le
langage a été pareillement varié r Peut-on
dire que les ’expre[fions ne foient pas fort
diverfifiées entre un mâle 8c une femelle,
pendant la durée de leurs amours, puifqu’on
remarque clairement entr’eux une multitude
de mouvemens & de jeux de différentes natures
, empreffement plus ou moins marque
de la part du mâle, referve mêlée d agaceries
de la'part de fa femelle, refus fimules,
emportemens, ja! ou fies., brouilleries, îac-
commodemens. Pourroit on croire que es
accens qui accompagnent toutes ces adions ,
ne font pas variés comme les fituatronsqu 1 s
expriment ? On ne peut difeonvenir que le
langage d’adion ne fort d’un très grand ulage
parmi les bêtes, 8c qu’il ne foit fuffifant pour
qu’elles fe communiquent ia plus grande
partie de leurs émotions. Cette forte de langage
, familier à ceux qui fentent plus qu ils
nepenfent, fait une imprefilon très- prompte
8c produit prefque dans l’in fiant, la commu- I nication des fentimens qu’il exprime 5 mais
Tl