
xlviij I N T R O D
tierce mineure. Les raifons fuivantes me portent
à croire que c’eft dans, ce dernier. De
tous les tons de mu fi que qu’on peut diftin-
guer dans les oifeaux , ceux du coucou qui
forment la tierce mineure, font les plus faciles
à difcerner ; Lucrèce & le P. Kircher
l’avoient très-bien obfervé. Je n’ignore pas
que de grands compofiteurs ont rendu les
notes du coucou par une tierce majeure; mais
je fais aulïi qu’ils ne les imitent pas parfaitement
, 8c qu’ils fe contentent d’en approcher.
Quoi qu’il en fort de cettegrande perfedion
à la quelle nos plus habiles muiiciens n’ont
pas encore pu atteindre , j’obferverai que de
tout temps , le rojjignol a été regardé comme
le premier des oifeaux par la ftipériorité du
chant. A la vérité, il y a quelques efpèces
qui ont d’aufli beaux fons ; d’autres ont le
timbre aufii pur & plus doux; d’autres enfin
ont des tours de gofier aufii flatteurs ; mais il
. n’en eft pas un feul que le rojjignol n’efface
par la réunion compietie de fes talens divers
& par la prodigieufe variété de fon ramage :
U C T I O N.
de l’afliirance , il s’anime par degrés; il s’échauffe
enforte que îa chanfon de chacun, prife dans
tome fon étendue, n’efi qu’un coupletde celle
du rojjignol (1 ). Ce chantre inimitable, charme
toujours 8c ne fe répété jamais, du moins
jamais ferviiement. S’il redit quelque paffage.,
ce paffage eft animé d’un accent nouveau.,
& embelli par de nouveaux agrémens ; il
réuflit dans tous les genres; il rend toutes
ies exprefiïons ; il faifit tous les caradères ;
8c de plus j il fait en augmenter l’effet par
les contrajftes. Ce coryphée du printemps
fe prépare-1 -il à chanter l’hymne de la nature?
îl commence par un prélude timide, par des
tons foibles , prefque indécis., .comme s’il
vouloit effaier fon infiniment & intéreffer
ceux qui l’écoutent (a) ; mais enfuite prenant
8c bientôt il déplore dans leur plénitude
, toutes les reflources de fon incomparable
organe ; coups de goliers éclatans ;
batteries vives 8c légères ; fufées de chant,
où 1& netteté eft égaie à la volubilité, murmure
intérieur . & fourd qui n’efi: point appréciable
à l’oreille, mais très-propre à augmenter
l’éclat des tons appréciables, roulades
précipitéesbrillantes & rapides , articulés
avec force & même avec une dureté de bon
goût ; accens piaintinfs, cadencés avec molelfe;
fons filés fans art , mais enflés avec ame ;
fons enchanteurs 8c pénétrans; vrais foupirs
d’amour 8c de volupté qui femblent fortir
du coeur 8c font palpiter tous les coeurs , qui
caufent à tout ce qui eft fenfible une émotion
fi douce, une langueur li touchante.
C’eft dans ces tons paflionés, que l’on re-
connoic le langage du fentiment qu’un époux
heureux adrefl'e à une compagne chérie, &
qu’eile feule peut lui infpirer, tandis que
dans.d’autres phrafes plus étonnantes , peut-
être , mais moins expreflives, on reconnoît
le fimple projet- de l’a mu fer ou de lui plaire ,
ou bien dedifputer devant elle le prix du chant
à des rivaux jaloux de fa gloire & de fon
bonheur. Ces différentes phrafes font entremêlées
de filence , de ces filences qui , dans
tous genres de mélodies, concourent fi puif-
famment aux grands effets ; on jouit des beaux
fons'que l’on vient d’entendre 8c qui retentif-
fent encore dans i’oreille ; on en jouit mieux ,
parce que la jouiftance eft plus intime , plus
recueillie , 8c n’eft point troublée par des
fenfations nouvelles : bientôt on attend, on
defire uue autre reprrfe ; on efpère que .ce
fera celie qui plaît ; fi l’on eft trompé, la
beauté du morceau que l’on entend ne permet
pas de regretter celui qui n’eft que différé ,
8c l’on conferve l’intérêt de i’efpérance par
( 1 ) M. de Buffoo , hift. des oifeaux, vol. 9 , p. 1 10 .
(2 ) Le roffignol fe méfie du voifinage de l’homme ,
& cependant il fe place toujours à la vue de fon habita- !
tion & à la. portée de fon ouie. Il choifit pour cet effet les ;
lieux les plus retentilfans, afin que leurs échos donnent- ;
plus d’a&ion à fa voix. Quand il s’eft établi dans fon .
orcheftre , il çhante $!ors un drame inconnu qui a fon
exord?, fon expofition , fes récits, fes évenemens,
entremêlés tantôt des fons de la joie la plus éclatante ,
tantôt de refTouveniis amers & lamentables qu’il exprime
par de longs foupirs. Il fe fait entendre au commencement
de la faifon où la nature fe renouvelle & femble
présenter à l’homme un tableau de la carrière inquiète
qu’il doit parcourir. Etudes âe la nature\ par M , Bernardin
Henri, de Saint- Pierre , 3 vol. p. 73.
Pline a fait aftfij une peinture cha^ni?flnte 4u chant du
rolfignol. Voici comme il s’exprime: luciniis diebus ac
noctibüs conti nuis, quindecim garrulus fine intermififiucantut,
denfantc fie frondiumgenuine, non in novifjimum dignâ. mirât
u ave. Primà-n tanta v o x , tam parvo in corpuficulo ,
tam pe.rtin.iix fipiritus deinde in unâ per fit ââ mufic & ficien-
tiâ moduiatus editur fionus : 'nutte continuo fipiritu trahitur
in longurn ; nunc varhtur infiexo j nunc diftinguitur
concifio ; copula',ut intorto ; promittitur revocato ; ihfiufi-
catur ex inopinaio : inter du m fiecum ipfie murmurâtj
plenus y g r a v i s acutus , exeber , extentus ; ubi vifium
efl vibrons , fujnmus médius , imus. Brev'terque onitiïd
tim parvulis in fiaucibus qu&tot exquifitis tibiarwn torment
s ars hominum excogitavit ; ut nonfilt dubium hançjuxvi-
tatetn premonftratum efficaci aufiricio cum in ore fiefichon
Cueillieinfiantis, flin , hifi. nat. lib. 10, cap. 29,'
les
les reprîtes qui finvront. Au relie, une des
raifons pourquoi le chant du rojjignol eft plus
remarqué 8c produit plus d’effet, c’eft , comme
dit très-bien M . Barrington , parce que chantant
la nuit, qui eft le temps le plus favorable,
8c chantant feul-, fa voix a tout fon
éclat 8c n’eft offufquée par aucune autre voix ;
il efface tons les autres oifeaux, fuivant le
même M. Barrington, par fes fons moelleux
8c flutés & par la durée non interrompue de
fon ramage qu’il foutient quelquefois pendant
vingt fécondés. L e m êm e obfervateur a compté
dans ce ramage, feize reprifes différentes ,
bien déterminées par leurs premières 8c dernières
notes, & dont l’oifeau fait varier avec
goût ies notes intermédiaires; enfin, il s’eft
affiné que la fphère que remplit là voix du
rojjignol, n’a pas moins, d’un mille de diamètre
, fur tout lorfque l’air eft calme , ce
qui égale au moins la portée de la voix humaine.
II y a un grand nombre d’oifeaux etrangers
, dont la voix approche plus ou moins
de celle du rojjignol ; tels font Varadn , le
KuilL Vorganijle, le fcarlatc, la vengoline , le
bànanijle , le cou-jaune, le mocqueur à'Ame-
rique ,1e jepticolor, &c. M. Barrington a fait
des obfervatrons fur quelques efpèces qui habitent
nos climats, & a cbnftruit un tableau
comparé du mérite de leur chant. Il a pris
le numéro 20 pour le point de perfection ab-
folue.
1m élodi e .
du ton.
ÉLÉVATION
des notes.
NOTES
plaintives..
PÉRIODE
ou longueur
du ramage.
EXÉCUTION.
1 9. . . .........119 ................ l9
Alloueite des champs.
Allouette des Bois...
AUouette mefange...
«1« .............
I ? ............... 18 4 ............... 1 7 ............... 4 ............... { 1 2 ............ .. . § 12
1 1 ............... M . . . . ___ 1 2 ............... I16............... 18
Chardonneret............. 4 ............... >9...............
4 ............... 1 8 ............... 6 4 ...............
4 ............... 4 ............... 6
Grive....................... ..
4 ...............
4 ............. 4 ............... 2 ............... 2
O............. 1 4 ............... 4
Rouge-gorge............. 6 ............... T
Moineau des marais...
Tête noire ou Roffi-
gnol mocqueur.. ..
O . . . . . . . 1 2. . . ........... 2
4 ...............
1 2 ............. ■ ...............
1
1 14
Il feroit certainement curieux de favoir
quelles ont été les eau fes de la diverfité du
ramage des-oifeaux ; mais cette queftion n’eft
pas facile à réfoudre , & préfente les mêmes
difficultés que celle de terminer l’origine des
différentes langues parmi les hommes. On
peut cependant hafarder quelques conjectures
d’après les obfervations que nous avons ex-
pofées. La perte du père de l’oifeau, dans le
temps de fa première éducation , pourroit
bien avoir produit ces variations. Dans ces
circonflanees, le nouveau né aura prêté fon
attention au chant de quelqu’autre oifeau ; ou
bien il aura inventé lui - même de nouveaux
fons qui fe feront perpétués ainfi de génération
en génération, & jufqu’au moment
QÙ de femblables accidens auront produit de
nouvelles altérations ( 1 ). II peut arriver encore
que les organes de certains oifeaux naturellement
ou accidentellement défeâueux,
ne leur permettent pas de rendre les mêmes
fons qu’ils entendent; ils reffemblent en cela
à des hommes qui n’articulent jamais certains
mots : or, de ce défaut de conformation
, il peut réfulter une infinité de modifications
dans le ramage dont on ne s’apper-
çoit point, & qui fe tranfinettent de race
en race. 1
( 1 ) Il eft certain qu’il règne tant de diverfité dans le
chant des oifeaux de la même efpèce , qu’ il eft très-difficile
d’en [trouver deux qni chantent exaélemenr l’un
comme l’autre ; voilà pourquoi à Londres on préfère les
chardonnerets de Kenlish ; ies pinfions d’Effex & les rojfi-
gnols de Surry.
g