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s’efhelle abbatue qu'elle revient fur le champ
en 'courant ie long des filions, & s'approche
de fes petits qui font blottis, chacun de Ion
côte, dans les herbes & dansles feuilles. Elle
les raffemble promptement, & avant que le
chien qui s’eft emporté après ie mâle, ait eu le
temps de revenir, elieles a déjà emmenés fort
loin ,fans que ie chaffeur ait entendu le moindre
bruit, C’eft une remarque a fiez généralement
vraie parmi les animaux , dit M. de
BufFon, que l’ardeur qu’ils éprouvent pour
Bade de la génération, eft la mefure des foins
qu’ils prennent pour le produit de cet afle.
Tout efl conféquent dans la nature, & la
perdrix en efl un exemple; car il y a peu
d’oiféaux auffï Iafcifs, comme il y en a peu
qui foignent leurs petits avec Une vigilance
plus aflidue & plus courageufe. Cet amour
efl même fi violent que fouvent il dégénère
en fureur contre les couvées étrangères. Dans
les lieux où l’abondance du gibier rend la
nourriture rare , la perdrix, pourfuit 6c tue
impitoyablement tous ceux qui ne lui appartiennent
pas. La poule - faifanne au contraire
, a beaucoup moins d’empreffement
■ pour fa progéniture : elle abandonne, fans
beaucoup d’inquiétude, ceux qui s’égarent
6c qui la quittent, mais en même-temps elle
a une fenfibilîté plus générale pour tous les
petits de fon efpéce. Il fuffit de la fuivre pour ,
avoir droit à fes foins; elle devient la mère
commune de tous ceux qui ont befoin d’elle.
La poule de nos baffes-cours dont nous parlons
fi fouvent parce que ces moeurs nous
font plus connues, eft douée d’un fentiment
non moins affeflueux & plus général. Si on
lui donne à couver des oeufs de canne ou de
tout autre oifeau de rivièrefon attachement
n’eft pas moindre pour ces étrangers qu’il le
feroit pour fes propres poujjins ; elle ne voit pas
qu’elle n’eft que leur nourrice ou leur bonne,
& non pas leur mère ; 6c Iorfqu’ils vont
guidés par la nature, s’ébattre ou fe plonger
dans la rivière voifinc , c’eft un fpeflacle
attendrilfant de voir la furprife, les inquiétudes
j les tranfes de cette pauvre nourrice,
qui preflee de les fuivre au milieu des eaux,
mais retenue par une répugnance invincible
pour cet élément, s’agite incertaine fur le
rivage, tremble 6c fe défoie, voyant toute
fa couvée dans un péril évident , fans
ofer lui donner de fecours.Parmi nous, on
ne doit pas s’attendre a trouver des fen-
îimens auffi afFeflueux f de foins au fil conftans,
des détails de tendrefie anfii intérefiànsB
de la part de ces âmes cofmopolites, dont!
la vafie fenfibilité embraffe l’univers. La paternité,
la parenté , l’amitié, l’amour même,
tous ces liens fi forts pour les hommes plus!
concentrés, fe relâchent à mefure que les!
affeflions prennent plus d’étendue. Le partij-V
% u’il y a à prendre 6c que la philofophie nous!
infpire , c’eft de vivre en fociété avec les!
amis du genre humain Sc en intimité avec!
ceux pour qui le genre humain eft un peu
moins que leurs amis.
Nourriture. La nature a livré aux oifeauxl
pour nourriture , tous les infefles que les!
quadrupèdes dédaignent :Ja chair, le poif-l
fon , les amphibies, les reptiles, les fruits , 1
les grains, les femences , les racines, les |
herbes, tout ce qui vit ou végète, devient
leur pâture ; Sc ils font fi indifférens pour lel
choix , que fouvent ils fuppléent à l’une del
ces nourritures par une autre : ainfi l’on voit!
les poules, les dindons Sc les autres oifeauxl
qu’on appelle granivores, rechercher les vers,!
les infefles, les parcelles de viande encorel
plus foigneufement qu’ils ne cherchent lesl
graines. On nourrit de la chair hachée lel
rojjîcinôï qui ne vit que d’infefles : les chouetteM
qui font naturellement carnaffières , mais qui
ne peuvent attraper la nuit que des chauves-
fou ris , fe rabattent fur les papillons phalènes,!
qui volent auflî dans l'obfcurité. Le bec crochu
n’eft pas non plus un ligne certain d’uni
appétit décidé pour la chair, ni un infiniment!
fait exprès pour la déchirer , puifque lesl
perroquets 8c plufieurs autres oifeaux dont lel
bec eft crochu, femblent préférer les fruitsl
& les graines à la chair : ceux qui font lesl
plus voraces, les plus carnafïiers , mangentl
du poiffon , des crapauds 6c des reptiles!
lorfque la chair leur manque. Prefque tousl
les oifeaux qui paroiffent ne vivre que del
graines, ont néanmoins été nourris dans lel
premier âge, parleurs pères & mères, avec des!
infefles (i). Cette indifférence que manifeflenil
( i) Les petits de quelques oifcaux, dégagés de l’oeuf,■
ont befoin d’une liqueur blanchâtre analogue au la ll
pour fe nourrir ; cette liqueur leur eft abondamment!
fournie par la femelle & même par & mâle. M. Jean!
Hunteren a découvert la four ce dans l ’cefophage düpi’l
geon. Les membranes de la poche d’où l’ofi voit fortir ce,
fluide, s’ épaiffiffeiit à l’époque ou les petits doivent
éclore *, & il s en échappe un fuc grifâtre qu’ils rcçoi-l
vent avec avidité. Cette cfpèce d'alaitément fe continuel
même plus long-temps de la parc du mâle que de ceil«b;
de la femelle, qui çeffe de fe livrer à Ce foin tlorfqu’ elwl
fe prépare à pondre tfe nouveau.
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certains oifeaux pour leur genre de nourriture
; cette inclination pour diverfes fortes
d’alimens que nous appercevons dans la plupart
des efpèces, font un moyen tres-fage-
- ment ordonné pour fuftenter fiiffifamment
tous les individus de cet ordre : car fi tous
les oifeaux fe portoient vers la même efpèce
de nourriture 6c ne pouvoient vivre fans
 elle , il ne s’en trouvèroit pas allez 8c bien-
' tôt la tribu entière mourroit d’rnaniiion ; il
L falloit donc pour la confervation du genre
volatile , que chaque famille eût fa nourri-
' ture particulière & des organes analogues à
fes appétits : en effet , Vaigle a reçu une
| | conformation différente de celle du pingouin
’M 6c le pigeon , de la poule - d'eau, parce que
l’un eft obligé de fe nourrir de chair & l’au-
, tre de poiffon ; parce que celui-ci doit vivre
fur la terre 6c l’autre dans l’eau. Cette manière !
f d’envifager les oifeaux relativement au dr-
$ verfes circonftances de leur nourriture & de
m leur confervation , fournit une multitude
d’obfervations curieufes Sc intéreffantes.Ceux
9 qui trouvent facilement Sc proche d’eux leurs
| alimens, 8c qui par conféquent n’ont pas be- j
. foin de beaucoup d’induftrie pour Les décou- ;
8 vrir, n’excellent point par la fineffe des
. fens , du goût & de l’odorai, ni par un degré
f fupérieur d’intelligence; ceux au contraire
i dont la nourriture eft plus cachée & plus
difficile à trouver, font doues d’un inflinfl
B merveilleux, Sc qui fe diverfifie en mille
w manières. Avec quelle fa g a ci te quelques oi-
;f féaux ne vont-ils pas à la pourfuice de leurs
| proie! Çeux-çi la guettent en lui tendant des
embûches; ceux-là vont la chercher au fond ;
§ des eaux 6c dans les marécages ; les uns re-
M muent la terre pour la trouver; les autres
I grimpent fur le tronc des arbres, Sc s’élèvent
W jufqu’à l’extrémité des branches. Quelle ad-;
m mirable faculté que celle d’un grand nom- |
| ‘ bre d’oifeaux, qui découvent leur proie à de
'!M grandes diftances! Les corbeaux Sc les vautours, 1
B par la fineffe de l’odorat, la fentent à la drf-
| tance de plufieurs milles ; les aigles , par la
fubtilité de la vue , l’apperçoivent dans l’air
» ou ailleurs, quoique encore très-élorgnés :
& s’il eft vrai j comme quelques perfonnes '
■M fuperflitieufes en font convaincues, que les
« corbeaux, en rodant au tour des raaifon , pré-
M fagent la mort de quelqu’un, ce fera fans
doute par une odeur cadaverenfe qui s’ex-
| I haie du corps des malades , Sc que ces oi-
É féaux fentent dans l’a ir, par la fineffe de
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leur orgarre olfaflif. Les milans 8c lesfaucons*
qui cherchent leur proie fur la terre; les
mouettes Sc les autres oifeaux qui La découvrent
dans l’eau, apperçoivent à une très-
grande diftance, Sc pendant qu’ils .volent ,
les fouris, les infefles Sc les poifîons qu’ils
attrapent avec une rapidité étonnante. Il eft
encore à préfumer que les oifeaux de proie
nofturnes, dont la ftruflure des yeux eft analogue
à leur genre de vie ont auffi l’odorat
plus fubtil que les autres efpèces, afin qu’ils
foient en état de difeerner leur nourriture
dans robfcurqé.
Digestion. Comme la maftication manque aux
oifeaux (i); que ie bec ne repréfente qu’à
certains égards la mâchoire des quadrupède:';
que même il ne peut fuppléer que ires-imparfaitement
à l’office des dents; qu’ils font
forcés d’avaler les graines entières ou à demr-
concaftees Sc qu’ils ne peuvent les broyer
avec le bec, ils n’auroient pu les digérer ni
par conféquent fe nourir , fi leur eftomac eût
été con formé comme celui des quadrupèdes(2).
Les oifeaux granivores ont de, gefiers, c’eft à-
dire, des eftomacs d’une fubflance a fiez ferme
Sc affez folide pour broyer les alimens, à
l’aide de quelques petits cailloux qu’ils avalent
; c’eft comme s’ils portoient Sc plaçoîent
à chaque fois des dents dans leur eftomac ,
ou l’aflion du broyement 8c de la trituration
par le frottement, eft bien plus grande que
dans les quadrupèdes (3). Les grains font d’abord
macérés Sc commencent à fe ramollir
dans le jabot, qui eft la partie inférieure de
l’oefophage ; enfuite ils font pénétrés d’un fuc
( 1 ) M. de Buff. di (cours fur la nac. des oif. p. 57.
(2) Nous diftir.guons avec M. Vicq d’Azir , trois dî-
verfes fortes d’cftomacs dans les oifeaux : voyez ce que
nous dirons à ce fujet dans le précis anatomique de ce traité.’
(3) De tous les animaux , il n’y en a point dont la
digeftion foit plus favorable au f/ftême de la trituration
que celle des oifeaux : leur géfier a toute la force & la
d redion des fibres néeeffaires ; & les oifeaux voraces,
qui ik fe donnent pas le loiûr de fépa'er l’écorce dure
des graines qu'ils prennent pour nourriture, avalent en
meme-temps de petites pierres, par le moyen defquelles
leur gefier , en feeontradant fortement, cafte ces écorces.
C eft là une vraie trituration ; mais ce n’eft que
celle qui dans les autres animaux appartient aux dents :
feulement elle eft tranfpofée dans ceux c i& remifeàleur
eftomac, ce quin’empêehe pas fes liqueurs de diffoudre les
grames depoui iees de leur écorce par le broiement ou
frottement des petites pierres. Avant cet eftomac, il y a
encore uneefpece de poche, qui doit y verfer une grande
quantité de fuc blanchâtre , pu'fque même après la mort
de 1 animal , o» peut l ’en exprimer en la prefîànt légèrement.
Hift. de l ’acàd. des feiences, ann. 17 .19 , p. 37*