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cullèreaient néceflaire ; cependant, dans toi nts nos
haras , il n'en fait point, car on ne peut donner ce
nom à quelques tours qu’on lui fait faire une fois
ou deux par femaine au bout d’une longe & fans
être monté ; le cheval ainfi gouverné peut à jufte
titre perdre le nom de cheval, car il n’en a plus les
qualités, pour prendre celui d’étalon ; aufli le degré
de leur valeur eft-il toujours mefuré par la quantité
de juments qu’ils font en état de faillir chaque
faifon , 8c par la promptitude avec laquelle ils fervent
les juments qu'on leur préfente. Echauffé par
les aliments , provoqué par les juments qu’on met
auprès d’eux , iis femblent acquérir touts les jours
plus de qualités pour la génération , mais l’art eft
ici en défaut, la nature eft toujours la même , elle
perd indubitablement en qualité ce qu’elle paroît
gagner en quantité.
Les anglois, plus amateurs 8c plus vrais connoif-
feurs que nous en chevaux, nous donnent à cet
égard un exemple qui devroit pourtant nous frapper
, ils recherchent avec grand foin les étalons
qui fe font diftingués dans les courfes , ils achet- j
te'nt à des prix extraordinaires la permiffion de
faire faillir de bonnes juments par ces chevaux ;
aufli rarement l’effet trompe-t-il leur attente ; fi le
poulain arrive à l’âge de cinq ans fans accident, il
leur regagne ordinairement bien au-delà de ce qu’il
coûte. Il eft indubitable que les qualités fe perpétuent
, elles devroient donc déterminer dans le
choix des pères.
On eft encore moins délicat fur les mères ;
pourvu quelles aient un bon coffre, c'eft à-peu-
près la feule qualité qu’on recherche, foient-elles
vicieufes, tarées, lâches 8c molles , eftropiées
même ; c’eft au haras qu'on les relègue ; il eft rare
d’y voir des juments qui n’y aient pas été envoyées
pour quelqu’une de cescaufes : on les. fait fervir
par un étalon frais , ou fatigué, pourvu qu’elles
retiennent, c’eft tout ce qu’on demande. Pendant
le temps de la portée, il n’eft point queftion de
l’exercice de la jument, enchaînée dans une écurie
quelquefois trois mois de fuire , d’autres fois tour-
menrée par un travail qui l’échauffe , fouvent mal
nourrie; enfin elle met bas , 8c donne prefque
toujours un poulain qui n’a pas même la figure de
ion père. Ces animaux ne font pas plutôt nés ,
qu’on leur circonfcrit un terrain, dont les bornes
étroites ne permettent pas à leurs corps 8c à leurs
membres de faire de l’exercice 8c de fe développer
; c’eft ordinairement le cercle jufte qui eft absolument
rréceffaire à la nourriture delà mère, nourriture
mal faine , par cela même qu’elle eft renfermée
dans un trop petit efpace, qui ne lui permet
pas de la choifir.
C ’eft dans ce régime de vie qu’on entretient le
poulain, jufqu’â ce que, quittant la mamelle, on
le fépare , ©n l’enchaîne à Fécnrie ; ou , s’il refte
dehors, des cordes , des chaînes même, lui lient
les jambes, de peur qu’il ne les exerce : c’eft peu
encore de s’oppofer au développement de la na-
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ture , il faut que la plus cruelle de$ opérations
vienne l’étouffer : à dix-huit mois on coupe le poulain
, c’eft le détruire avant qu’il foit né r aufli,
dès cet inftant, porte-t-il touts les fignes de la
foibleiTe qu’il confervera pendant fa vie , l ’encolure
ceffe de groffir , les mufcles ne prennent
point ces formés qaarrées 8c deffinées qui annoncent
la vigueur du mâle, les poils font longs , il
en refte beaucoup aux jambes, les crins , au Heu
de devenir liftes , brillants 8c ondulés , reffem-
blentà des étoupes : enfin , lage de le rendre arrive
, 8c on nous amène ces brigues défigurées pour
nous remonter. Ne reviendrons - nous jamais de
cette ancienne 8c bizarre méthode européenne, de
hongrer les chevaux, 8c de détruire ainfi la moitié
de leur force 8c de leur courage ? L’expérience a
beau nous démontrer tous les jours qu’il n’y a que
les chevaux entiers capables de faire ces travaux
exceflifs du roulage des poftes, des rivières, &c. ;
pour le métier de la guerre, qui ne demande pas
moins de force 8c de réfiftance , nous ne nous fer-
vons que de chevaux hongres , parce que d’anciens
préjugés nous font fuivre une ancienne routine
: que d’accidents , dit-on , il arriveroit ? mais
en Perfe, mais en Arabie , où ce barbare ufage eft
inconnu 8c plus près dé nous encore , la cavalerie
Efpagnole, comment fait- elle ? fes chevaux font-ils
d’un autre acabit que les nôtres, font-ils moins propres
à la génération ? cependant on les contient y
on les maîtrife , 8c il n’y a pas plus d’accidents r
pas plus de jambes caffées en Efpagne qu’en France*
Mais, pour prouver qu’il y a fur cet objet autant
de préjugés que de raifon , il y a vingt ans qu'on
n’auroit pas o fé , dans Paris, atteler fon carrofle de
chevaux entiers , on difoit auffi, que de rifques
courir fi on rencontre des juments ? aujourd’hui il
n’y a point de femme qui ne monte avec fécurité
dans un carroffe attelé de chevaux entiers;8c point
de cocher qui ne fe range dans une cour d’hôtel
ou de fpe&acle avec confiance , à fon tou r , &
fans s’embarraffer fi la voiture qui Tavoifine eft
attelée de juments. Ne voit on pas chez le roi, &
dans toutes les académies, ces chevaux les uns à
côté des autres / tranquilles dans les rangs on
files des reprifes de manège, quoiqu’ils foient les
trois quarts du temps montés par des enfans oi»
des jeunes gens , qui n’ont nulle habitude des
chevaux. Quelle objeâion reftera-t-il doncà faire ?
Les troupes voyagent 8c rencontrent des juments*
Je répons. En vous fervant de chevaux entiers,
vous multiplierez bientôt l’efpèce , 8c la confom-
mation deviendroit moindre, parce qu’ils réfifte-
roient davantage à la fatigue. Les juments feroient
prefque toutes réléguées chez le cultivateur ou
dans les haras. D ’ailleurs, les Efpagnols ne voyagent
ils pas ? les rouliers ne paffent-ils pas leur
vie fur les grands chemins 8c dans les auberges ,
8c ne rencontrent-ils jamais de juments?
Tel eft l’empire de l’habitude, que les réformes
ou les projets les plus fimples & les plus utiles font
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dédaignés ou tournés en ridicule. Avant le maré* I
Chai de Saxe, on croyoit impoffible de taire marcher
l’infanterie enfembie 8c alignée ^ on faifoit
battre des marches qui ne fervoient qua faire du
bruit & à s’étourdir. Il fut le premier qui dit qu il
falloir la faire marcher en cadence ; cela etoit li
neuf, qu’il prévint qu’il paroîtroit extravagant en
faifant une pareille propofition : il en eft de meme,
je paroîtrai peut-être extravagant, mais j opinerai
pour que la cavalerie foit montée fur des chevaux
entiers , qu'elle foit exercée touts les jours, qu elle
entreprenne des marches qu’on appelle aujourd hui
forcées; 8c qu’on l’habitue à paffer les plus mauvais
pas, & même à fauter 8c à franchir des obftacles
qui'l’arrêtent actuellement. . .
Mais revenons aux caufes fécondés de la fo1«
bleffe de notre cavalerie : le cheval , livré a 1 e-
cuyer , ne tombe que trop fouvent entre des
mains barbares, qui achèvent fa deftruClion : rien
de fi dangereux qu’un artifte ignorant. Il fe trompe
avec méthode, 8c s’égare avec entêtement; telle
eft une grande partie des gens qui font le mener
de dreffer des chevaux ; incapables , pour la plupart
, de donner des définitions juftes des opérations
les plus fimples de l’art qu’ils veulent pro-
feffer. Q u’on ouvre nos traités d’équitation , ©c on
verra par-tout la nature forcée 8c contredite ; que
de milliers de chevaux eftropiés 8c ufés , avant d en
trouver un capable d’exécuter les tours de force
que nous ont donnés MM. de Neucaftle , la Gué-
rinière, 8cc. fous les noms baroques de fra ie s .y
terre-à-terre , pefades , menait, ballotade , pas 6* le
faut, f alcades , répolon, 8cc. C e ft de ce jargon minutieux
dont je prétends fur-tout me préferver
dans mon école ; les chevaux ne connoitront point
d’allures artificielles , 8c j’appliquerai toutes les ref-
fources de l’art à perfectionner celles que la nature
leur a données.
Afin que rien ne nous échape , 8c pour fuivre
la même marche dans cette fécondé partie que dans
la première, nous fuppofefons un cheval à dreffer,
8c qui fera cenfé être entre les mains d’un homme
de cheval, duquel nous décrirons la façon de fe
conduire ,pour parvenir finement à fon but.
Vart de dreffer les chevaux»
Nous avons dit qu’on appelle cheval dreffé, ou
mis, celui qui connoît les intentions du cavalier au
moindre mouvement, & y répond auflitot avec
jufteffe , force 8t légèreté.
L’aCtion méchanique des bras 8c des jambes de
l’écuyer, fur un cheval, n’eft pas fuffifanre pour le
drefler 8c lui donner légèreté, fageffe 8c force. Il
faut que plufieurs foins raifonnés concourent à ce
but. Suppofons un cheval entier , fain , fort 8c vigoureux
, tel qu’il en fort encore des haras d'Ef-
pagne, ou des forêt? des Pyrénées. Ce n’eft que
par degrés qu’il faut le faire paffer au nouveau
genre de vie auquel il eft deftiné: accoutumé juf- J
qu’à l’âge de quatre ans 8c demi, cinq ans, à la
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liberté des prairies , c’eft prefque toujours avec
I défefpoir qu’il fe voit enchaîné dans une écurie ;
I l’inaftion ou il fe trouve, le changement fubit de
fes aliments, doivent opérer une révolution dans
fa nature, dans fou humeur & dans fes forces: il
faut donc éviter les inconvénients qui doivent na-
. turellement s’en fuivre. Il reçoit les premières leçons
de fageffe 8c de douceur du palfreuier aux
foins duquel il eft confié : c’eft à 1 écurie où on
doit le préparer aux leçons du manege ; il n eft pas
indifférent qu’il foit confié aux foins d un homme
doux, ou brutai ; tout ce qui peut entretenir la
fanté 8c la vigueur du cheval, tel que le panfage ,
la nourriture réglée, 8tc. doit être pratiqué avec
une exactitude fcrupuleufe ; il ne fumt pas que
ceux qui ont foin des chevaux les aiment, il faut
qu’ils foient forts , adroits, 8c accoutumés à les
manier fans les craindre ; car on les rend vicieux
par timidité 8c par mal-adreffe aufli fouvent que
par brutalité : je m’arrête fur toutes ces recommandations
, quelques minutieufes quelles puiffent pà-
roître , parce que l’expérience m’a appris combien
elles étoient effentielles , 8c que, remontant aux
caufes des vices qu’on rencontre fi communément
dans les chevaux , j’ai trouvé qu’ils provenoient
fouvent de foins mal entendus, & mal donnés ;
c’eft une raifon pour ne jamais donner un cheval
neuf à un recrue.
Autant il y a de principes differents pour etrâ
placé à cheval, autant il y a de méthodes differentes
pour dreffer les chevaux, mais il en eft une
au fit, la meilleure de toutes , ce fera celle qui, par
les principes les plus fimples , s ecartera le moins
de la nature. D ’après ces méthodes , multipliées
prefqu’autant que les maîtres, il n eft pas étonnant
de voir un cheval bien mené par un écuyer, &
fort mal par un autre , qui quelquefois eft plus
favarit. 11 eft certain , par exemple , que fi on accoutume
un cheval à tourner à droite par la rene
gauche, 8c à gauche par la rêne droite , comme le
veut M. Bourgelat, 8c qu’un autre écuyer exige de
ce cheval de tourner à droite par la rêne droite,
8c à gauche par la rêne gauche, ce dernier trouvera
nèceffairement l’animal rétif, 8c il foutiendra
qu’il rie fait rien , quoiqu'il foit fort inftruit à obéir
a un autre figrial. Les chevaux s’habituent à la leçon
qu’on leur donne ; un homme de cheval fait
partir fon cheval avec fes jambes, l’arrête avec
fes mains , 8c un poftillon fait partir fon cheval
avec les mains. ,
Le cheval s’habitue au cavalier qm le monte , il
s’accoutume même à fa fauffe pofture , voilà d’où
vient qu’on voit fouvent un homme mal à cheval.,
bien mener. . . . ,
Un. cheval bien mis doit être mene par tout
homme droit à cheval, 8c qui fait fe fervir de fes
mains 8c de fes jambes.
Nous allons montrer que ta pofition que nous
avons donnée au cavalier, la plus commode pour
lu i, a encore l’aVantage d’être la plus favorable a