360 B A L
fades & atifli ridicules : ils veulent faifir la préci-
fion , la gaieté & la belle formation des enchaînements
de M. L an y , 8c ils font déteftables. Toutes
les femmes veulent dan fer comme mademoifelle
Lany , 8c toutes les femmes en ce cas ont des prétentions
très-ridicules. Enfin l’opéra eft, fi j’ofe m'exprimer
ainfi, le fpeftacie des finges. L’homme s’évite
; il craint de lé montrer avec fes propres traits ;
il en emprunte toujours d’étrangers, 8c il rougi-
roit d’être lui : aufîi faut-il acheter le plaiftr d’admirer
quelques bons originaux, par l’ennui de voir
une multitude de mauvaifes copies qui les précèdent.
Que veulent dire d’ailleurs cette quantité
d’entrées feules , qui ne tiennent 8c ne rëffemblerit
à rien ? Que fignifient touts ces corps fans ame,
avec la gui^nde dont elle l’avoit orné ; elle lé
voit terrailé aux pieds de Tircis ; quel défordre !
quelle crainte ! elle frémit du danger de perdre ce
qu’elle aime ; tout annonce fa frayeur , tout carac-
t.érife fa paflion. Fait-elle des eftorts pour dégager
fon amant, c’eft .l’amour en courroux qui les lui
fait faire. Fürieufe , elle fe faifit d’un dard égaré à
la chaffe ; elle s’élance fur Tircis 8c l’en frappe de
plufieurs coups. A ce tableau touchant l’aâion devient
générale ; des bergers 8c des bergères accourent
cie toutes parts. Thémire défefpérée d’avoir
commis une aélion fi noire, veut s’en punir 8c fe
percer le coeur ; les bergères s’oppofent à un def-
iein fi cruel ; Ariftée partagé entre l’amour 8c l’amitié
, vole vers Thémire , la prie ) la preflè 8c la
qui fe promènent fans grâces, qui fe déploi^ÿn^conjure de conferver fes jours ; il court à Tircis
fans goût, qui pirouettent fans aplomb , fans f e ^ 1 m MÈ J" :/v> A ‘j 1 -
meté , 8c qui te fuccèdent d’aéle en a£te avec le
même froid ? Pourrons - nous donner le titre de
monologue à ces fortes d’entrées dépourvues d’intérêt
8c dexpreflion ? Non fans doute , car le monologue
tient à l’aélion ; il marche de concert avec
la fcéne, il peint, il retrace, ilinftruit. Mais comment
faire parler une entrée feule, me direz-vous ?
Rien de fi facile, 8c je vais le prouver clairement.
Deux bergers, par exemple, épris d’une bergère
, la prefiem de fe décider 8c de faire mi choix :
Thémire, c'eft le nom de la bergère, héfite, balance,
elle n’ofe nommer fon vainqueur : follicirée vivement
, elle cède enfin à l’amour 8c dorme la préférence
à Ariftée : elle fuit dans le bois pour cacher
fa défaite ; mais fon vainqueur la fuit pour jouir
de fon triomphe. Tircis abandonné, Tircis mépri-
f é , peint fon trouble 8c fa douleur : bientôt la ja-
loufie 8c la fureur s'emparent de fon coeur ; il s’y livre
tout entier, 8c il m’avertit par fa retraité qu il
court à la vengeance 8c qu’il veut immoler fon rival.
Celui-ci paroît un inftant après*: touts fes mouvements
me tracent l’image du bonheur ; fes geftes,
fes attitudes , fa phyftonomie , fes regards , tout
me prcfente le tableau du fentiment 8c de la volupté.
Tircis au défefpoir , cherche fon rival, 8c il
ï ’apperçoit dans le moment où il exprime la joie
la plus déliçieufe 8c la plus pure. Voilà des contractes
fimples , mais naturels : le bonheur de l’un augmente
ia.peine de l’autre. Tircis défefpéré n’a d’autre
reffource que la vengeance ; il attaque Ariftée
avec cette fureur 8c cette impétuofité qu’enfantent la
jaloufie 8c le dépit de fe voir méprifé : celui - ci fe
défend ; mais foit que l’excès du bonheur énerve
le courage , foit que l’amour fatisfait foit enfant
de la paix, il eft prêta fuccomber fous les eftorts
de Tircis ; ils fe fervent pour combattre de leurs
houlettes ; les fleurs 8c les guirlandes çompofées.
par l’amour 8c deftinées pour la volupté , deviennent
les trophées de leur vengeance ; tout eft fa-
crifié dans cet infiant de fureur ;|e bouquet même
dont Thémire 5 décoré l’heureux Artiftée ,n e fauroit
échapper à la rage de l’amant oikragé, Cependant
Thémire paroît ; elle apperçoit fo« amant enchaîné
8c s’empreffe à lui donner du fecourS : il invite les
bergers Y en prendre foin. Thémire défanriée,
mais accablée de douleur , fait un effort pour s’approcher
de Tircis ; elle embraffe fes genoux 8c lui
donne toutes les marques d’un- repentir fincère ;
celui-ci , toujours tendre , toujours amant paf-
fionné , femble chérir le coup qui va le priver de
\i lumière. Les bergères attendries,arrachent Thémire
de ce lieu , théâtre de la douleur 8c de la
plainte ; çlle tombe évanouie dans leurs bras. Les
Lergers , de leur côté, entraînent Tircis ; il eft
près d’expirer, '8c il peint encore la douleur qu’il
reffent d’être féparé de Thémire , 8c de ne pouvoir
mourir dans fes bras. Ariflée, ami tendre,
mais amant fidèle, exprime fon trouble 8c fa Atua-
tion de cent manières différentes ; il éprouve mille
combats ; il veut fuivre Thémire , mais il ne peut
pas quitter Tircis ; il veut confoler l’amante ; mais
il veut fecourir l ’ami. Cette agitation eft fufpendue;
cette indécifion cruelle ceffe enfin : un inftant de
réflexion fait triompher l’amitié dans fon coeur ; il
s’arrache enfin de Thémiré pour voler à Tircis.
Ce plan peut paroître mauvais à la leéîure, mais
il fera le plus grand effet fur là fcène; il n’offre pas
un inftant que le peintre ne puiffe faifir ; les fttuà-
tions 8c les tableaux multipliés qu’il préfénte ont
un coloris, une aétion 8ç un intérêt toujours nouveau;
Ventrée feule de Tircis 8c celle d’Ariftée foin
pleines de paflion ; elles peignent, elles expriment,
elles font de vrais monologues. Les deux pas de
trois font l’image de la fcène dialoguée dans deux
genres oppofés ; 8c le ballet en aétion qui termine
ce petit roman , intéreffera toujours très-vivement
touts ceux qui auront un coeur 8c des yeux ; »
toutefois ceux qui l’exécutent ont une ame 8ç une
exprefîion de fentiment aufli vive qu’animée.
Il eft facile de concevoir que pour peindre une
aéiion où les paflions font variées , 8c où les traii-'
fltions de ces mêmes paflions font aufli fubites que
clans, le programme que je viens de vous tracer, il
' faut de toute néceffité que la muflque abandonne
les mouvements 8c les modulations pauvres qu’elle
emploie dans les airs deftinés à la danfe. Des fons
arrangés machinalemçnt 8ç fins efpr.it ne peuvent
ni fervir le danfeur, ni convenir à une a&ion vive.
11 ne s’agit donc point d’affembler Amplement des
notes fuivant les régies de l’école : la fucceflion
harmonique des tons doit, dans cette circonftance,
imiter ceux de la nature , & l’inflexion jufte des
fons préfenter l’image du dialogue.
Je ne blâme point généralement les entrées feules
de l’opéra ; j’en admire les beautés fouvent dif-
perfées, mais j’en voudrois moins. Le trop en
tout genre devient ennuyeux ; je défirerois encore
plus de variété dans l’exécution : car rien n’eft A
ridicule que de voir danfer les bergers de Tempé,
comme les divinités de l’Olympe. Les habits 8c les
caraâères étant fans nombre à ce fpeélacle , jefou-
haiterois que la danfe ne fût pas toujours la même;
cette uniformité choquante difparoîtroit fansdoutey1-
fi les danfeurs étudioient le cara&ère de l’homme
çu’ils doivent repréfenter , s’ils faiflffoient fes
moeurs, fes ufoges 8c fes coutumes. Ce n’eft qu en
fe fubftituant à la place-du héros 8c du perfonnage
qu’on joue, que l’on peut parvenir à le rendre 8c
à l’imiter parfaitement. Perfonne ne rend plus de
juftice que moi aux entrées feules danfées par les
premiers fujets ; ils y déploient toutes les beautés
méchaniques des mouvements harmonieux du
corps ; mais defirer 8c faire des voeux pour que ces
mêmes fujets faits pour s’illuftrer , mêlent quelquefois
aux grâces du corps les mouvements de rame ;
ambitionner de les admirer fous une forme plus
fédilifante , 8c de n’ être pas borné enfin àjps contempler
uniquement comme de belles machines
bien combinées 8c bien proportionnées , ce n’eft
pas , je crois , méprifer leur exécution , avilir leur
talent 8c décrfèr^eur genre ; c’eft exactement les
engager àTembellir 8c à l’annoblir.
Paffons au vêtement. La variété 8c la vérité dans
le coftume y font aufli rares que dans la mufique ,
dans les ballets 8c dans la danfe Ample. L’entêtement
eft égal dans toutes les parties de l’opéra: il
préfide en fouverain à ce fpeétacle. G rec, Romain,
Berger , Chaffeur , Guerrier , Faune , Sylvain ,
Jeux , Pîaiftrs , Ris , Tritons, Vents, Feux , Songes
, Grand-Prêtre 8c Sacriftcateurs , touts les habits
de ces perfonnages font coupés fur le même
patron, 8c ne diffèrent que par la couleur 8c les
embelliffements que la profuAon , bien plus que le
goût, jette aühalard. L’oripeau brille par-tout : le
Payfan , le Matelot 8c le Héros en font également
chargés. Plus un habit eft garni de coliflchets , de
paillettes, de gaze 8c de réfeau , 8c plus il a de mérite
aux yeux de l’aâeur 8c du fpeélateur fans goût.
Rien* n’eft A Angulier que de voir à l’opéra une
troupe de guerriers qui viennent de combattre , de
difputer 8c de remporter la viâoire. Traînent-ils
après eux l’horreur du carnage? leur phyAonomie
paroît-elle animée ? leurs regards font ils encore
terribles ? leurs cheveux font-ils épars 8c dérangés?
Non , rien de tout cela ; ils font parés avec le dernier
fcrupule , 8c ils reffemblent plutôt à des hommes
efféminés , fortant. des mains du baigneur,
Equitation, Ejcrime & Danfey
qu’à des guerriers échappés à celles de l’ennemi.
Que devient la vérité? où eft la vraifemblance ?
d’où naîtra l’illuAon ? 8c comment n’être pas choqué
d’une aélion A fauffe 8c A mal rendue ? Il faut
de la décence au théâtre, j’ en conviens ; mais il
faut, avant tout, de la vérité 8c du naturel dans
l’a&ion, du nerf 8c de la vigueur dans les tableaux,
8c un défordre bien entendu dans tout ce qui en
exige. Je ne voudrois plus de ces tonnelets roides
q u i, dans certaines pofxtions de la danfe , placent ,
pour ainA dire, la hanche à l’épaule, 8c qui en
éclipfent touts les contours. Je bannirois tout arrangement
fymmétriquè dans les habits , arrangement
froid qui défigne l’art fans goût 8c qui n’a
nulle grâce. J’aimerois mieux des draperies Amples
8c légères, contraftées par les couleurs , 8c diftri-
buées de façon à me laifler voir la taille du danfeur.
Je les voudrois légères , fans cependant que
l’étoffe fut ménagée ; de beaux plis , de belles maf-
fes , voilà ce que je demande ; 8c l’extrémité de
ces draperies voltigeant 8c prenant de nouvelles
formes, à mefure que l’exécution deviendroit, plus
vive 8c plus animée, tout auroit l’air fvelte. Un
élan , un pas v if , une fuite, agiteroient la draperie
dans des lens différents ; voilà ce qui prêteroit de
l’agrément aux attitudes 8c de lelégance aux poA-<
tions ; voilà enfin ce q^ii donneroit au danfeur cet
air lefte qu’il'ne peut avoir fous, le harnois gothique
de,l’opéra. Je diminuerois des trois quarts les
paniers ridicules de nos danfeufes ; ils s’oppofent
également à la . liberté , à la vîteffe 8c à l ’aéfion
prompte 8c animée de la danfe ; ils privent encore
la raille de fon élégance 8c des juftes, proportions
quelle doit avoir ; ils diminuent l’agrément des
bras, ils enterrent, pour ainA dire , les grâces-; ils
contraignent 8c gênent la danfeufe à un tel point,
que le mouvement de fon panier l’occupe quelquefois
plus férieufement que celui de fes bras 8c de
fes jambes. Tout aéfeur au théâtre doit être libre ;
il ne doit pas même recevoir des entraves du rôle
8c du perfonnage qu’il a à repréfenter. fon imagination
eft partagée , A la mode d'un coflume ridicule
le gêne au point d’être accablé par fon habit,
d’en fentir le poids 8c d’oublier fon rôle, de gémir
enAn fous le faix qui l’affomme , peut-il avoir de
l’aifence 8c de la chaleur ? Il doit dès-lors fe délivrer
d’une mode qui appauvrit l’art 8c qui empêche
le talent de fe montrer. Mademoifelle Clairon,
aàrice inimitable, faite pour fecouer les ufages
adoptés par l’habitude, fupprima les-paniers, 8c
; les fupprima fans préparation 8c fans ménagement.
Le vrai talent fait s’affranchir des lois de la routine.
Le même goût quî porta l’art de cette grande aélrice
à un A haut degré de perfeélion, lui fît fentir le ridicule
de ces anciens coftumes du théâtre ; 8c cherchant
à rendre, à imiter la nature dans fon jeu ,
elle penfa , avec raifon , qu’il falloir la fuivre dans
les habillements. Le caprice ne conduifit point Mademoifelle
Clairon,lorfqu’elle fe dépouilla d’un ornement
aufli ridicule qu’embarraffant ; c’eft qu’elle
Z z