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y> enfemble , fans coloris ; les grands traits feront
» effacés ; les proportions, les contours agréables
» ne frapperont point mes yeux ; j’appercevrai
f* feulement des vertiges & des traces d’une aétion
» dans les pieds , que n’accompagneront ni les
n attitudes du corps , ni les pofitions des bras, ni
j) l’expreflion des tètes ; en un mot, vous ne m’of-
« frirez qu’une toile fur laquelle vous aurez con-
j> fervé quelques traits épars de differens maîtres ».
J'ai appris la chorégraphie, 8e je l’ai oubliée ; A
je la croyQis utile à mes progrès , je l’apprendrois
de nouveau. Les meilleurs danfeurs & les maîtres
de ballets les plus célèbres la dédaignent, parce
qu’elle n’eft pour eux d’aucun fecours réel. Elle
pourroit cependant acquérir un degré d milité , &
je me propofe d’en entretenir le public, apres lui
avoir fait part d’un projet né de quelques reftexions
fur l’académie de danfe , dont l’établiffement na
eu vraifemblablement d’autre'objet que celui de
parer à la décadence de notre art 8c d’en hâter les
progrès.
La danfe & les ballets prendroient fans doute
une nouvelle vie , fi des ulages établis par un ef-
prit de crainte & de jaloûfie-, ne fermoient en
quelque forte le chemin de la gloire à touts ceux
qui pourroient fe montrer avec quoique avantage
furie théâtre de la capitale, 8c convaincre par la
nouveauté de leur genre, que le génie eft de teuts
les pays , & qu’il croît & s’élève en province avec
autant de facilité que par-tout ailleurs.
Je ne veux point déprimer les danfeurs que la
faveur, ou A vous le voulez, une étoile favorable
a conduits à une place à laquelle de vrais talens les
appeloient: l'amour de mon art, & non l’amour de
moi-même, eft le feul qui m’ anime; & je me per-
luade unefans b le lier quelqu’un , il m’eft permis
de foulvaiter. à la danfe les prérogatives dont jouit
la Comédie. Or les comédiens de province n’ont-
ils pas la liberté de débuter à Paris & d'y jouer, trois,
rôles différens 8c à leur choix ? O u i , fans doute ,
me dira-t on ; mais ils ne font pas toujours^ reçus.
Eli 1 qu’importe à celui qui reufîit 8c qui plaît généralement,
d’être reçu ou de ne le pas être ? Tout
auteur qui triomphe par fes talents de la cabale
comique, & qui s’attire fans bafielfe les fuitrsges
unanimes d’ un public éclairé, doi.t être plus que
dédommagé de la privation d’une place qu’il doit
moins regretter lorfqu’il fait qu’il la mérite légitimement.
La peinture n’auroit certainement pas produit
tant d’hommes illuftres dans touts les genres qu’elle
em b rafle , fans cette émulation qui règne dans fon
académie. G’eft-là que le vrai mérite peut fe montrer.
fans crainte ; il place chacun dans le rang qui
lui convient; & la faveur fut toujours plus foibic
à la galerie du loùvre , qu’un beçu pinceau qui la
force an Alence.
Si les ballets font .des tableaux vivans, s’ils doivent
réurf»* touts les charmes de la peinture, pourquoi
n’eft-il pas permis à nos maîtres d’exposer fur
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le théâtre de l’opéra trois morceaux de ce genre,'
l’un tiré de l’hiftoire , l’autre delà fable, 8c le dernier
de leur propre imagination ? Si ces maitres
réuffiflôient, on les recevroit membres de 1 académie
, ou on les agrégeroit à cette fociété, De cette
marque de diftinCtion & .d e cet arrangement , naî-
troit , à coup fur , l’émulation ( aliment précieux
des arts ) ; 8c la danfe encouragée par çette récom-
penfe, quelque chimérique qu’elle puifle. être , fe
plac.eroit d’un vol rapide à côte des autres. Cette
académie devenant d’ailleurs plus nombreufe , fe
diftingueroit peut-être davantage ; les efforts, des
provinciaux exciteroient les liens ; les danfeurs
qui y feroient agrégés , ferviroient d’aiguillon à fes
principaux membres; la vie tranquUle de la province
faciliteroit à ceux qui y font répandus , les
moyens de penfer, de réfléchir Sc d écrire fur leur
art ; ils adrefferoient à la foçiété des mémoires fou-
vent inftruttifs ; l'académie, à Ion tour, feroit forcée
d’y répondre ; 8c ce commerce littéraire , en
réoandant fur nous un jour nouveau, nops tirerait
peu-à-peu de notre langueur & de notre obfcurité.
Les jeunes gens qui fe livrent à la danfe machinalement
& fans principes, s’inftruiroient encore infailliblement
; ils apprendroient à connoître les
difficultés, ils s’efforceroient de les furtnonter, 8c
la vue des routes fures les çmpêcheroit de fe perdre
8c de s’égarer, ( .
On a prétendu que notre académie eft le téjour
du Alence, 8c le tombeau des talents de ceux "qui
la compofent. On soft plaint de n’èn voir fortir
au cm) écrit ni bon, ni mauvais , ni médiocre, ni
fatisfaifant, ni ennuyeux ; on lui reproché de s’être
entièrement écartée de fa première inftitutiori, de
ne s’affembler que rarement ou par hafard , de ne
s’occuper en aucune manière des progfès de larr
qui en eft l’objet, ni du foin d’inÛru.re les danfeurs
8c de former des élèves. Le moyen que je
propofe feroit inévitablement taire la calomnie ou
la méc'iiance, 8c rendroità cette fociéjté la confidé-
ration 8c le nom que plufieurs perfonnes lui refu-
fent peut-être iniuftement. J’ajouterai que fes fuc-
cès , A elle fe determinoit à prendre des difciples ,
feroient infiniment plps affurés ; elle ôterôit du
moins à une multitude de maîtres avides d une réputation
qu’ils n’ont pas méritée, la reffource de
s’attribuer les progrès des élèves , 8c la liberté d’en
rejetter les défauts fur ceux dont ils ont reçu les
premières leçons. C e d a n f e u r , difent-ils1, a r eçu p r i m
itiv em en t d e m a u v a is p r in c ip e s ■ ), s’ i l a d e s d é fa u t s ,
c e n’ e jl p a s m a f a u t e ; j a i te n té HimpoJJible. L e s p a r t
i e s dans, le s q u e lle s i l f e d iflin g u c m’ a p p a r t ie n n e n t ,
elles P ni on ouyrage. C’eft ainfi qu’on fe* ménage
adroitement, en fe refufant aux peines de l’état ,
une réponfe courte en cas de critique , 8c une forte
de crédit $c de confiance en cas d’applaudiffement.
Vpu$ conviendrez cependant que la perfection de
l’ouvrage dépend en partie de la beauté de F éb a u ch
e ; niais un écolier ® l w préfente au public eft
comme un tableau qu’un peintre expofe au f a lio n ; touî
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tout le monde le voit ; tout le monde l’admire &
l'applaudit, ou tout le monde le blâme 8c le cen-
fure, Figurez-vous donc l’avantage que l’on a d être
confia mm eut à l’affût des fujets agréables formés
dans la province, dès qu’on peut le faire honneur
des talents qu’on ne leur a pas donnés. Il ne s’agit
que de débiter d’abord que l’élève a été indignement
enfeigné , que le maître l’a totalement perdu,
que l’on a eu une peine inconcevable à détruire
cette mauvaife danfe de campagne , 8c à çemedier a
des défauts étonnans. Il faut enfuit? ajouter que
l’élève a du z è le , qu’il répond aux foins qu’on fe
donne, qu’il travaille nuit 8c jour, & le faire débuter
un mois après. Allons voir | dit-on ) , danfei
ce jeune homme ; c’ejl Téçolier d’un tel ; il étoit dèiej- ^
table il y a un mois. Oui, répond celui-ci , il etoit
infoutenable & du dernier mauvais. L’élève fe préfente,
on l’applaudit avant qu’il danfe. Cependant
il fe déploie avec grâce, il fe defiine avec élégance ;
fes attitudes font belles, fes pas bien écrits, il eft
brillant en l’a ir , il eft v if 8c précis terre-à-terre.
Quelle furprife l on crie miracle. Le maure ejl étonnant
! avoir formé un danfeur en vingt leçons \ cela
ne s'eft jamais fait, En honneur, les talents de notre
fiecle font furprenans.
Le maître reçoit ces louanges avec une raodefti#'!
qui féduit, tandis que l’écolier, ébloui du fuccès
& étourdi des applaudiffemens , fe voue à l’ingratitude
la plus noire ; il oublie jufqu’au nom de ,
celui à qui il doit tout ; tout fentiment de reconnoif-
fance eft pouj* jamais effacé de fon ame ; il avoue , !
il protefte effrontément qu’ il ne favoit rien , comme
s’il étoit en état de fe juger lui-même; & il encenfe ,
le charlatanifme par lequel il imagine que les élo-
ges lui, ont été prodigués.
Ce ffeft pas tout: ce même élève fait un nouveau
plaifir toutes les fois qu’il paroît ; bientôt il
donne de la'jaloûfie 8c d? l’ombrage à fon maître ;
celui-ci lui refufe alors des leçons , parce que fon ,
genre eft le même , 8c qir’ii craint que fon écolier
ne le furpaffe & ne 1? fafî'e oublier. Quelle peti-
teffel peut-on fe perfuader qu’il n’y ait point de
gloire à un habile homme d’en faire un plus habile
que lui ? Eft-ce avilir fon mérite 8c flétrir fa réputation
, que de faire revivre fes talents dans ceux d’un
écolier ? Eh ! le public pourroit il fçavoir mauvais
gré à Jéliote, s’il eût formé lin homme qui l’éga- ï
lât ? en feroit-il moins Jéliote ? Non fans doute ; de
pareilles craintes ne troublent point le vrai mérite
& n’alarment que les demi-talents.
Mais revenons à l’académie de danfe : que de
mémoires excellens , qu,e d’obfervations neuves ,
& combien de traités inftruélifs fortiroient de la
fociété, A l’émulation des membres étoit aiguillonnée
8c réveillée par les travaux qui leur feroient
offerts !
Il eût été à fouhaiter que les académiciens 8c le
corps même de l’académie euffent fourni à l’encyclopédie
touts les articles qui concernent l’art de
la d.anfe. Cet objet eût été mieux rempli par des
Equitation, Efcrime & Danfe.
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artiftes éclairés que par M. de C a h u fa c , La partie
hiftoriqjue appartenoit à ce dernier ; mais la partie
méchanique devroit, ce me femble , appartenir de
droit aux danfeurs. Ils auroient éclairé le public &
leurs confrères ; 8c en illuftrant l’art, ils fe feroient
illuftrés eux-mêmes. Les produirions ingénieufes
que la danfe enfante fi fouvenf à Paris, 8c dont ils
auroient pu donper au moins quelques exemples ,
auroient été confacfées dans des planches différentes
de ces tables chorégraphiques , qui > comme je
l’ai dit, n’apprennent rien, ou n’apprennent que
très-peu de chofe. Je fuppofe en effet que l’académie
eût affocié à fes travaux deux grands hommes ,
B o u c h e r $c M. C o c h in ; qu’uu académicien chorégra
p he eût été chargé du foin de tracer les chemins
8c de deffiner les pas ; que celui qui étoit en état
d’écrire avec plus de netteté, eût expliqué tout ce
que le plan géométral n’auroit pu préfenter diftinc-
tement; qu’il eût rendu compte des effets que chaque
tableau mouvant auroit produits , $ c de celui
qui réfultoit de telle ou tçlle Atuation ; qu’enfin il
eut analyfé les pas, leurs enchajinemens fuçceffifs ;
qu’il eût parlé des pofitions du corps , des attitudes ,
8c qu’il n’eût rien omis de ce qui peut explique^8c
faire.entendre le jeu muet, l’expreflion pantomime
8c les Jentimens variés de l’ame par les caractères
variés de la phyAonomie ; alors B o u c h e r , d’une
main habile, eût defliné touts les g ro u p e s § c toutes
les Atuations vraiment intéreffantes ; & M. C o c h in ,
d’un burin hardi, auroit multiplié les efquiffes de
B o u c h e r . Avec le fecours de ces deux hommes célèbres
, nos académiciens auroient fait paffer à la
poftériré le mérite des maîtres de ballets & des
danfeurs habiles dont le nom eft à peine confervé
parmi nous, 8c qui ne nous lajffeht, après qu’ils
j ont abandonné le théâtre, qu’un fouvenir confus
des talents qui uçus forçoien.t à les admirer. La
cho rég ra p h ie deviendrpit alors intéreffante. Plan
géométral, plan d’élévation, defeription fidelle de
ces plans , tout fe préfenteroit à l’oeil, tout inftrui-
roit des attitudes du corps, de l’expreflîon des têtes
, de$ contours des bras, de la pofition des jambes
, de l’élégance du vêtement, de la vérité du
coflumtr;:en un mot , un tel ouvrage' foutenu du
crayon & du burin de ces deux illuftres artiftes , ferait
une fource ail l’on pourroit p.uifer, 8g je le
regarderais comme les archives de tout ce qpe notre
art peut offrir de lumineux , d’intéreffant 8c de
beap. I M i
Quel projet, me direz-vops ! quelle dépenfe im-
menfe 1 quel livre volumineux ! Il me fera facile de
vous répondre. i°. Je ne propofe pas deux mercé-
naires, mais deux artiftes qui traiteront 1’académiç
avec ce défintéreffement qui eft la marque & la
preuve des vrais talents. a°. Je ne leur deftine que
des chofes abfolument dignes d’eux 8c de leurs
foins, c’eft-à-dire , des chofes excellentes , pleines
de feu 8c de génie, de ces morceaux rares exafîe-
ment neufs 8c1 qui infpirent par eux-mêmes. Ainfi
voilà des dépenfes épargnées 8c fûrement des plan