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cette liberté, ils fe font trompés , car on ne peut
les donner à un cheval , qu’en mettant dans un
grand mouvement touts les refforts de fa machine ;
par ce rafinement on endort la nature, 6c l’obèif-
fance devient molle, languiffante & tardive, qualités
bien éloignées du vrai brillant qui fait l’ornement
d’un cheval bien drefle.
C ’eft par le trot, qui eft l’allure la plus naturelle, !
qu’on rend un cheval léger à la main fans lui gâter
la bouche, & qu’on lui dégourdit les membres,
fans les offenfer ; parce que dans cette aâion, qui
eft la plus relevée de toutes les allures naturelles ,
le corps du cheval eft également foutenu fur deux
jambes , l’une devant Si l’autre derrière : ce qui
donne aux deux antres , qui font en l’air, la facilité
de fe relever, de fe foutenir, de s’étendre en avant,
& par conféquent un premier degré de foupleffe
dans toutes les parties du corps.
Le trot eft donc fans contredit, la bafe de toutes
lès leçons pour parvenir à rendre un cheval adroit
& obéiflant : mais quoiqu’une chofe foit excellente
dans fon principe , il ne faut pas en abufer,
•n trottant un cheval des années entières, comme
on faifoit autrefois en Italie, & comme on fait encore
actuellement dans quelques pays , ou la cavalerie
eft d’ailleurs en grande réputation. La raifon
en eft bien {impie , la perfeâion du trot provenant
de la force des membres, cette force & cette v igueur
naturelle, qu’il faut abfolument conferver,
dans un cheval, le perd & s’éteint dans l’accablement
& la laflitude , qui font la fuite d’une leçon
trop violente, & trop longtemps continuée. Ce
délordre arrive encore à ceux qui font trotter de
jeunes chevaux dans des lieux raboteux & dans des
terres labourées ; ce qui eft la fource des veffigons,
des courbes, des éparvins , & des autres maladies
des jarrets, accidents qui arrivent à de très-braves
chevaux , en leur foulant les nerfs & les tendons,
par l ’imprudence de ceux qui fe piquent de dompter
un cheval en peu de temps ; c’eft bien plutôt
le ruiner que le dompter.
La longe attachée au caveçon fur le nez du cheval
, & la chambrière, font les premiers & les
feuls inftruments dont on doit fe fervir dans un
terrein uni, pour apprendre à trotter aux jeunes
chevaux, qui n’ont point encore été montés, ou à
ceux qui l’ont déjà é té , & qui pèchent par ignorance
, par malice, ou parroideur.
Lorfqu’on fait trotter un jeune cheval à la longe,
il ne faut point dans les commencements lui mettre
de bride, mais un bridon ; car un mors , quelque
doux qu’il foit, lui offenferoit la bouche,
dans les faux mouvements & les contre-temps que
font ordinairement les jeunes chevaux, avant qu’ils
aient acquis la première obéiflance qu’on leur demande.
*
Je fuppofe donc qu’nn cheval foit en âge d’être
monté, & qu’on l’ait rendu aflez familier & affez
docile pour fouffrir l’approche de l’homme, la felle
& l’embouchure ; il faudra alors lui mettre un ca-
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veçon fur le nez, le placer allez haut pour ne lui
point ôter la refpiration en trottant, & la muferolc
du caveçon affez ferrée pour ne point varier fur
le nez. 11 faut encore que le caveçon foit armé
d’un cuir, afin de conferver la peau du nez qui eft
très-tendre dans les jeunes chevaux.
Deux perfonnes à pied doivent conduire cette
leçon : l’une tiendra la longe , & l’autre la chambrière.
Celui qui tient la longe, doit occuper le
centre autour duquel on fait trotter le cheval ; 8c
celui qui tient la chambrière, fuit le cheval par
derrière & le chaffe en avant avec cet inftrument,
en lui donnant légèrement fur la croupe & plus
fouvent par terre ; car il faut bien ménager ce
châtiment dans les commencements* de peur de
rebuter un cheval qui n’y eft point accoutumé.
Quand il a obéi trois ou quatre.tours à une main,
on l’arrête, & on le flatte ; ce qui fe fait en ac-
courciffant peu-à-peu la longe, jufqu’à ce que le
cheval foit arrivé au centre, où eft placé celui qui
le conduit ; & alors celui qui tient la chambrière
la cache derrière lui pour l’ôter de la vue du cheval,
& vient le flatter conjointement avec celui qui"
tient la longe.
Après lui avoir laiffé reprendre haleine , fàu-
dra le faire trotter à l’autre main & obferver la
même pratique. Comme il arrive fouvent qu’un
cheval, foit par trop de gaieté, foit par la crainte
de la chambrière, galope au lieu de trotter, ce
qui ne vaut rien, il faudra tâcher de lui rompre le
galop en fecouant légèrement le caveçon fur le
| nez avec la longe, & en lui ôtant en même temps
la crainte de la chambrière : mais fi au contraire,
il s’arrête de lui-même, & refufe d’aller au trot, il
faut lui appliquer de la chambrière fur la croupe
& fur les feffes, jufqu’à ce qu’il aille en avant, fans
pourtant le battre trop ; car les grands coups fou-
vent réitérés défefpèrent un cheval, le rendent
vicieux, ennemi de l’homme & de l’école, lui
ôtent cette gentilleffe, qui ne revient jamais,
, quand une fois elle eft perdue. Il ne faut pas non
plus, pour la même raifon , faire de longues re-
prifes ; elles fatiguent & ennuient un cheval mais
il faut le renvoyer à l’écurie avec la même gaieté
qu’il en eft forti.
Quand le cheval commencera à trotter libre*
ment à chaque main , & qu’on l’aura accoutumé.à
venir finir au centre, il faudra alors lui apprendre
à changer de main : & pour cela, celui qui tient la
longe, dans le temps que le cheval trotte à une
main , doit reculer deux ou trois pas en tirant à lui
la tête du cheval, en même temps celui qui tient la
chambrière, doit gagner l’épaule de dehors du cheval
pour le faire tourner à r autre main en lui montrant
la chambrière, & même l’en frappant, s’il refufe
d’obéir, enfuite le finir au centre, l’arrêter,
le flatter & le renvoyer.
Afin que la leçon du trot à la longe foit plus profitable
, il faudra avoir l’attention de tirer la tete du
cheval en dedans avec la longe, 6c de lui élargir en
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„ême temps la croupe avec la chambrière, c’eft-à-
dire la jetter dehors, en lui faifant faire un cetcle
olusVand que celui des épaules, ce qui donne la
facilité à celui qui tient la longe, d’attirer 1 épaule
de dehors du cheval en dedans, dont le mouvement
circulaire qu’elle eft obligée de faire dans
cette pofture, aflouplit un cheval.
Après avoir accoutumé le cheval à 1 obeiffance
de cette première leçon , ce qu’il exécutera en peu
de jours, fi on s’y prend de la manière que nous
venons de l’expliquer ; il faudra enfuite le monter,
en prenant toutes les précautions néceffaires pour
le rendre doux au montoir. Le cavalier étant en
felle, tâchera de donner au cheval les premiers
principes de la connoiffance de la main & des
jambes ; ce qui fe fait de cette manière. Il tiendra
les rênes du bridon féparées dans les deux mains ,
& quand il voudra faire marcher fon cheval, il
baiffera les deux mains & en même temps, il approchera
doucement près du ventre les deux gras
de jambes, fans avoir d’éperons, ( car il n’en faut
point dans ces commencements ). Si le cheval ne
répond point à ces premières aides, ce qui ne manquera
pas d’arriver, ne les connoîffant point, il
faudra alors lui faire peur de la chambrière, çour
laquelle il eft accoutumé de fuir J en forte qu’elle
fervira de châtiment, lorfque le cheval ne voudra
pas aller en avant pour les jambes du cavalier ;
mais il ne faudra s’en fervir que dans le temps que
le cheval refufera d’obéir aux mouvements des
jarrets & des gras de jambes.
De même, lorqu’on veut apprendre au cheval à
tourner pour la main , il faut, dans le temps que
le cavalier tire la rêne de dedans du bridon, & que
le cheval refufe de tourner, que celui qui tient la
longe , tire la tête, & l’oblige de tourner ; enforte
qu’elle ferve de moyen pour l’accoutumer à tourner
pour la main , comme la chambrière à fuir pour
les jambes, jufqu’à ce qu’enfin le cheval foit accoutumé
à fuivre la main , & à fuir les jambes du
cavalier ; ce qui fe fera en peu de temps , fi on emploie
les premières aides avec le jugement & la dif-
crétion qu’il faut avoir en commençant les jeunes
chevaux : car le manque de précaution dans ces
commencements, eft la fource de la plupart des
vices & des dèfordres, dans lefquels tombent les
chevaux par la fuite.
Lorfque le cheval commencera à obéir facilement
, & fe déterminera fans héfiter, foit à tourner
pour la main, foit à aller en avant pour les jambes,
& à changer de main, comme nous venons de l’en-
feigner ; il faudra alors examiner de quelle nature
il eft, pour proportionner fon trot à fa difpofition
& à fon courage.
Il y a en général deux fortes de natures de chevaux.
Les uns retiennent leurs forces, & font ordinairement
légers à la main : les autres s’abandonnent
, & font pour la plupart, pefants , ou tirent à la
main.
Quant à ceux qui fe retiennent naturellement 9
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il faut les mener dans un trot étendu & hardi, pour
leur dénouer les épaules & les hanches. A 1 égard
des autres , qui font naturellement pefants , ou qui
tirent à la main en tendant le nez, il faut que leur
trot foit plus relevé & plus raccourci, afin de les
préparer à fe tenir enfemble. Mais les uns & les
autres doivent être entretenus dans un trot eeal &
ferme , fans traîner les hanches, il faut que la leçon
foit foutenue avec la même vigueur du commencement
jufqu’à la fin, fans pourtant que la re-
prife foit trop longue.
Ces premières leçons de trot ne doivent avoir
pour b ut, ni de faire la bouche, ni d affurer la tête
du cheval : il faut attendre qu’il foit dégourdi, 6c
qu’il ait acquis la facilité de tourner aifément aux
deux mains ; par ce moyen on lui confervera la
fenfibilité de la bouche, & c’eft pour cela que le
bridon eft excellent dans ces commencements ,
parce qu’il appuie très-peu fur les barres , & point
du tout fur la barbe, qui eft une partie très-délicate
, & où réfide, comme le dit fort bien M. le
Duc de Newcaftle , le vrai fentiment de la bouche
du cheval.
Lorfqu’il commencera à obéir à la main & aux
jambes, fans le fecoürs de la longe, ni de la chambrière
; il faudra alors , & pas plutôt, le mener en
liberté, c’eft-à-dire fans longe, 6c au pas fur une
ligne droite, en le fortant du cercle, pour l’aligner,
c’eft-à-dire, lui apprendre à marcher droit, & à
connoître le terrein. Sitôt qu’il ira bien au pas fur
les quatre lignes 6c dans les quatre coins du
quarré, fur lequel on l’aura mené, il faudra enfuite
fur ces quatre mêmes lignes , le mener au trot,
toujours les rênes du bridon féparées dans les
deux mains ; enforte que de quatre petites repri-
prifes, qui font fuffifantes chaque jour, & chaque
fois qu’on monte un cheval, il faut en faire deux
Iau pas , & les deux autres au trot alternativement, en finiffant par le trot, parce quil n’y a que cette
allure qui donne la premièré foupleffe.
Si le cheval continue d’obéir facilement au pas
& au trot avec lp bridon , il faudra commencer à
lui mettre qne bride avec un mors à Ample canon
& une branche droite, qui eft la première embouchure
qu’on donne aux jeunes chevaux, comme
nous l’avons expliqué dans la première partie.
D e L’Instruction du cheval. ( Du p a t y ).
La foupleffe du cheval eft une fuite de fon obéif-
fance; & cette obéiflance dépend beaucoup des
bons ou des mauvais traitements qu’il a éprouvés
dans fa jeuneffe & dans le temps où les hommes
commencent à l’approcher. On ne fauroit alors agir
avec trop de douceur pour l’accoutumer à fe laiffef
toucher & manier de toutes façons, & pour l’empêcher
de s’effrayer de ce qui l’environne. Comme
on a beaucoup écrit fur les préparatifs qui conduisent
le cheval à fe familiarifer avec l’homme , je
n’en parlerai point ici j je fuppoferai qu’on a à faire