
SîiPWiüi P i
334 B A L
pareil plan, & en devenoit un acceflbirc necof-
faire. , .. ^
Les choeurs dont les Grecs n’avpient fait qu’un
trop foible ufage, & dont les Italiens, âinfi que
je fai déjà dit, n’ont pas fçu fe fervir , placés par
Quinault dans les lieux où ils dévoient être , lui
procuroient des occafions fréquentes de grand Spectacle
, des mouvements généraux , des concerts
taviffans , des coups de théâtre frappans, 8c quelquefois
le pathétique le plus iublime.
En liant à Paétion principale la danfe , qu’il con-
noiffoit bien mieux qu’elle n’a été encore connue ,
il fe ménageoit un nouveau genre d aèlion théâtrale
, qui pouvoit donner un feu plus vif à 1 en-
• Semble de fa compofition, des fêtes aufli aimables
que galantes , & des tableaux variés à l’infini, des
ufages , des moeurs , des fêtes des anciens.
Ce grand deffein fut balancé fans doute dans
l'elprit de Quinault par quelques difficultés, Le
moyen qu’il ne prévit pas qu’il fe trouveroit tôt ou
tard des hommes rigides qui refuferoient de fe prêter
aux fuppofitions de la fable, des phllofophes
levères dont la raifon feroit rebutée des preftjges
de la magie, des efprits forts pour qui la plus belle
machine ne feroit qu’un jeu d enfant I
- Mais Homere & Virgile, Sophocle & Euripide ,
parurent à Quinault des autorités fuffifantes en faveur
du genre qu’il projettoit de mettre fur la
fcène. Il efpéra que le fyflême ancien , qui fut la
bafe de leurs ouvrages, & qui fera toujours lame
de la belle poéfie, feroit fouffert encore par des
fpeélateurs inftruits , & fur un théâtre qui! vou-
loit conferver à la plus délicieufe illufion. Il vit
dans Ariofte & le Taffe les effets agréables , les
grands mouvements , les- changements imprévus
tiue pouvoient produire la magie ; & les grands
ballets qui étoient depuis fi longtemps le fpeélacle à
la mode , lui fourniffoient trop de' preuves journalières
, pour qu’il négligeât les avantages que la
méchanique pouvoit procurer à fon etabliflement.
Les beaux traits d’hiftoire ne font pas les feuis
nui doivent exercer le génie des ’grands peintres.
La fable ne leur en fournit-elle pas qui ne font ni
moins nobles ni moins touchans? Ecouteroit-on la
critique d’un homme de mauvais goût qui décia-
meroit contre une compofition de cette efpèce ,
•parce que nous fçavons tous que la fable n’eft
qu’une des folies de l’efprit des premiers temps ?
Le théâtre n’eft qu’un tableau vivant des pallions.
Quinault en voyoit un digne de l’admiration de
touts les fiècles , où elles pouyoient ptre peintes
avec le pinceau le plus vigoureux , & qui s’étoit
emparé avec raifon de l’hiftoire. Il falloit ne point
empiéter fur un établiffement auffi impofant , &
donner cependant à celui qu’il fe propofoit, le caractère
d'imitation que doit avoir toute compofi-
tion dramatique. Le merveilleux, qui réfulte du
fyflême poétique , rempliffoit fon objet, parce qu’il
réunit, avec la vraifemblance fuffifante au theatre,
la poéfie, la peinture, la mufique, la danfe, la
B A L
méchanique, & que de toutsces arts combinés il
pouvoit réfulter un enfemble raviffant, qui arrachât
l'homme à lui-même, pour le tranfporter pendant
le cours d’une représentation animée, dans
des régions enchantées.
Ce beau deffein n’eft point une vaine conjeflure
imaginée après coup pour féduire le leéleur. Qu’on
fuive pas à pas la marche de The fée , d’A ty s , d’Ar-
mide, & c ., on verra 1 intention de Quinault telle
qu’on vient de l’expliquer , marquée, par-tout avec
les traits diftinélifs de l’elprit, du fentiinent & du
génie.
Ici on s’arrêtera fans doute pour chercher la caufe
fecrette du peu d’effet qui réfulte cependant de nos
jours d’un plan ; lui-même (eruit-il dans l'exécut on
primidve ? n’eft-il que dans 1 exécution aétuelle ?
Il eft certain que le deffein de Quinault eft un
effort de génie qu'on peut mettre à côté de tout ce
qui a été imaginé de plus ingénieux pendant le
cours fucceffif des progrès des beaux arts ; mais il
n’eft pas moins certain que le plaifir , l’émotion,
l'amusement qui en rèfultenc font très-inférieurs aux
charmes qu’on devroit & qu’on peut en attendre.
Défauts de l’exécution du plan primitif de 1’ opéra
fratiçois. '■
Ç ’eft un fpeâacle de chant & de danfe que Quinault
a voulnfaire, c’eft à-dire, que fur le théâtre
nouveau qu’il fondoit, il a voulu parler à l’oreille
par les Ions fuiyis 8ç modulés de la voix, & .aux
yeux par les pas, les geftes , les mouyements me-
furés de la danfe.
Tout ce qui fe fait fur le théâtre doit être plein
de vie. Rien n'y doit paroître dans l’inaélioq. Un
ouvrage dramatique n’eft qu’une grande aétion,
formée de mille autres qui lui font Subordonnées ,
qqi en font les parties effentielles, qui doivent concourir
à l’harmonie générale , & dont le concert
mutuel peut, Seul former" 1^ ;beaufé , Pillufion , le
charme d e l’enfemble.
Il étoit donc néceffaire, pour remplir l’objet de
Quinault, que la danfe, qui alloit former une partie
confidérable de fon nouyeau fpeélacle , agît
conformément à fon deffein ; & quel étoit fon d e f
fein ? C ’étoit ( n’en (Joutons point ) de s’aider de
1^ danfe pour faire marcher fon aéliôn, pour l’animer,
pour 1’,embellir, pour, la conduire par des
progrès fucceffifs’ jufqu’à fon parfait développement.
En admettant fur fon théâtre le même art
dont les-Grecs & les Romains s’étoiept fi heureufe?
ment fervis, n’auroit-il eu pour objet que de réduire
fon emploi à quelques froids agréments plu?
nuifibles qu’utiles au cours de l’aétion théâtrale ?
Seroit-il poflible qu’il eqt fait entrer la danfe dans
fa compofition comme une partie principale, fi elle
n’avoit dû toujours agir, peindre, conferver en un
mot le caraélère d’imitation $c de représentation
que doit avoir néceffairement tout ce qu on introduit
fur la fcène.
Il gft ind.ifpenfable de revenir içi fur fes pas}
B A L
g, de fe rappeliez les différens emplois qu’avait
remplis la danfe chez les Grecs , chez les Romains
& dans les derniers fiècles.
V iv e , faisante , eftimable & dangereufe tout-a-
la-fois en Grèce, la danfe y fut un art qui fervit
également au plaifir , à la religion, au maintien des
forces du corps , an développement de fes grâces ,
à l'éducation de la jeunefle , à l’amufement des
vieillards , à la confervation & à la corruption des
moeurs.
A Rome , elle devint partie de 1 art dramatique, .
& marcha alors d’un pas égal avec la poéfie, l’éloquence
& la mufique. Dans les derniers fiecles ,
froide & languiffanre, elle ne fut qu’un divertiffe-
ment peû varié & fans ame. On la rédûifit dans
les grands ballets à la peinture momentanée de
quelques caraélères ; dans les mafearades elle ne
pouvoit exprimer par des pas que le générique du
. perfonriage dont elle prenoit les habits. Dans les
ba s de cérémonie , elle n’étoit qu’un mouvement
fans objet, une occafion toujours la même de montrer
les grâces de la figure & les belles proportions
ducorps. . ,
Dans cette fuccefïion hiftorique des différents
emplois de la danfe, on voit diftinélement les divers
degrés de beauté que peut lui donner l’art ;
car ce qu’il a pu dans un temps , il le peut toujours
dans un autre. Or toutes les compofitions de Quinault
nous prouvent qu’il a connu parfaitement
l’hiftoire de la danfe & toutes fes poffibilités. Il
faudroit cependant que ce poète n’eût eu que des
idées très-bornées , s’il n’en avoit adopté que la
partie la plus foible , & il feroit tombé dans cette
lourde bévue, s’il n’avoit voulu l’employer que
comme un fimple divertiffement, tandis qu’elle eft
capable de former les tableaux les plus dignes du
théâtre. ;
Mais en parcourant les compofitions de ce beau
génie , on ne-peut le foupçonner de cette méprife*
On y voit par-tout l’imagination & le goût marquer
la place des arts qu’il y a réunis, & faire toujours
naître du fond du fujet chacun de leurs emplois
différens. En effet, la poéfie, la peinture, la
danfe , la méchanique n’y font jamais que dans les
lieux où elles doivent être , tout ce qu’elles y font,
devoit fe faire ; il étoit inclifpenfable qu’elles pei-
gniffent tout ce que Quinault a penfé qu’elles dévoient
exprimer.
Dans Cadmus , qui doit furmonter les plus
grands obftacles pour obtenir Hermione, je vois
- ce héros femer dans le champ de Mars les dents
du dragon qu’ il a vaincu.
Voici le deffein que trace Quinault pour ce moment
théâtral.
La terre produit des foldats armés qui fe préparent
d’abord à tourner leurs armes contre Cadmus ;
mais il jette au milieu d’eux une manière de grenade
que l’amour lui à apportée , qui fe brife en
plufieurs éclats, & qui infpire aux combattants une
I fureur qui les oblige à combattre les uns contre les
B A L 335
autres, & à s’entr’égorger eux - mêmes. Les derniers
, qui demeurent Vivans, viennent apporter
leurs armes aux pieds de Cadmus.
Je ne puis pas me méprendre fur l’intention de
Quinaulr. Je vois évidemment que fi elle eût été
remplie, le théâtre m’eût offert dans ce moment le
tableau de danfe le plus noble, le plus v if , le
mieux lié à l’adioii principale. Rien de tout cela
n’exifte dans l’exécution. Elle n’en offre pas même
l’ombre. .
Dans ce même poème à la fin du troifième aéîe £
lorfque l’inflexible Dieu de la guerre a dit :
Un vain refpeél ne peut me plaire :
On ne fatisfait Mars que par de grands exploits y
Vous que l'enfer a nourries ,
Vcnef\, cruelles furies,
Venez brifer l’autel en ‘cent morceaux épars.
Quinault veut qu’on flniffe cet aâe par l’arrivée
des furies qui brifent l’autel, qui s’emparent des
tifons ardens du facrifice, & qui s’envolent, pendant
que le char de Mars , en tournant rapidement
vers le fond du théâtre, fe perd dans les
airs, & que les prêtres , les peuples, Cadmus, &c. ,
défolés , crient, ô Mars ! ô Mars !
Quel coup de pinceau mâle l quelle occafion
énergique pour la danfe , pour la mufique, pourla
méchanique ! je vois cependant à la repréfentation
touts ces mêmes arts oififs dans ce moment.
A la place des idées grandes & nobles qui étoient
effentiellement du plan de Quinault, on a fubftitué
une exécution maigre, de petites figures mal défi-
finées, un coloris miférable , & par malheur cette
exécution, malgré fa foibleffe, a paru fuffifante
dans les premiers temps à des fpeélateurs que l’habitude
n’avoit pas encore inftruits. Elle a été répétée
, avec les mêmes vices & avec le même fuc-
cès , dans prefque toutes les autres occafions qu’a
fournies le génie fécond du poète. Le moyen que
ceux qui exécutoient ne fuffenr pas contens d’eux-
mêmes en voyant touts les fpeélateurs fatisfaits ?
Mais le moyen aufli que l’art parvînt au degré de
perfeélion où il étoit capable d’atteindre , dès que
les artiftes n’ap perce voient pas le par-delà du point
médiocre où ils fe bornoient ?
Je trouve , par exemple , un trait d’imagination
que j’admire , & un défaut d’exécution qui me confond
dans l’épifode de Protée, que Quinault a lié fi
naturellement à l’opéra de Phaéton.
Ce perfonnage connu dans la fable par fes transformations
furprenantes , n’étoit qu’un danfeut
Grec , qui opéroit ces fortes de prodiges par la rapidité
de fes pas, par les formes diverfes qu’il fça-
voit donner à l’enfemble de fes mouvemens. Peufr
être eft*ce le fond le plus riche que la danfe théâtrale
, aidée du fecours des machines , ait jamais ea
pour déployer touts les plus beaux refforts de l’art.
Que réfulte-t-il cependant dans l’exécution , d®
l’idée admirable de Quinault? L’or pur fe change
en un plomb vil. On ne me donne, à la place ae