
çepres de la théorie ne peuvent qu’ébaucher.
Copies monotones des froides copiés qui vous
ont précédé , fujets communs qui n’étes qu’un
compofé méchanique 8c fans ame , de pieds , de
jambes 8c de bras , je n’ai point écrit pour vous.
On peut faire tout ce que vous avez fait, & tput ce
que vous pouvez faire, fans avoir befoin de fçavqir
lire. Continuez de vous defîiner d’après des modèles
que vous n’atteindrez jamais. Croyez toute votre
vie aufli opiniâtré ment qu’un Dervis turc , qu’une
pirouette bien foutenue eft le chef-d’oeuvre de l’art.
Vous rempliffez votre vocation , je vous en loue.
Mais vous que la nature a comblé de fes dons ,
jeuneffe vive 8c brillante qui êtes l’ornement du
théâtre , l’amour du public & l’efpoir de l’a rt, ouvrez
les yeux 8c lifez. Apprenez ce que le grand
talent peut produire. Sçaviez-vous que Pylade eût
exifté ? Vous avoit-on parlé de Tymele & d’Em-
pafe ?
On ne vous a montré jufqu’ici que d’anciennes
rubriques , de vieilles routines qui ne font pas dignes
de vous. Un champ plus vafle & moins ftérile
s’offre aujourd’hui à vos regards. O fez y fuivre la
route que le goûfvous indique. Ecoutez la voix
de la gloire qçi vous appelle» La carrière eft ouverte
: courez au but que l’art vous propofe. Confinerez
le prix ineftimable qui vous attend.
Anobliffez vos travaux. Etudiez les pallions ,
connoiffez leurs effets , les métamorphofes qu’elles
opèrent dans les caractères, les impreflions qu’elles
font fur les traits , les mouvements extérieurs
qu’elles excitent.
Habituez votre ame à fentir ; vos geftes feront
bientôt d’accord avec elle pour exprimer. Pénétrez
vous alors jufqu’à l’enjhoufiafme du fujet que
vous aurez à repréfenter. Votre imagination échauffée
vous en retracera les différentes fituations par
des tableaux de feu. Deflinez-vous ; deflinez-les
d’après elle : on peut vous répondre d’avance qu’ils
feront une imitation de la belle nature.
Après ces principes fur la danfe en général, &
fur-tout la danfe théâtrale, écoutons M. Noverre
donner des leçons fur fon art.
De Vexécution*
La danfe eft trop compofée , 8c le mouvement
fymmétrique des bras trop uniforme, pour que les
tableaux qu’elle repréfente puiffent avoir de la variété,
de rexpreflion & du naturel; il faudroit
donc fi nous voulons rapprocher notre art de la
vérité, donner moins d’attention aux jambes &
plus- de foin aux bras abandonner les cabrioles
pour l’intérêt des geftes ; faire moins de pas difficiles
& jouer davantage d e là phyfionomie ; ne pas
mettre tant de force dans l’exécution y mais y mêler
plus d’efprit ÿ s’écarter avec grâce des règles-
étroites de l’école , pour fuivre les impreflions de
la nature 8c donner à la danfe ï’ame 8c l’aâion
qu’elle doit avoir pour intéreffer. Je n’entends
point au refle par le mot d'aüion, celle qui ne eoii*
s lifte qu’à fe remuer, à fe donner de la peine , à
faire des efforts 8c à*fe tourmenter comme un forcené
, pour fauter ou pour montrer une ame que
l’on n’a pas.
Vaftion en matière de danfe eft l’art de faire paf-
\ fer, par l’expreflion vraie de nos mouvements, de
nos geftes 8c de la phyfionomie, nos fentimens &
nos pallions dans lame des fpeéïateurs. L'atïion
n’eft donc autre chofe que la pantomime. Tout doit
peindre, tout doit parler chez le danfeur ; chaque
gefte, chaque attitude , chaque port de bras doit
avoir une expreflion différente. La vraie pantomime
fuit la nature dans toutes fes nuances ; s’en écarte-
t-elle un inftant, elle fatigue , elle révolte. Que
les danfeurs qui commencent, ne confondent pas
cette pantomime noble dont je parle , 'avec cette
exprelïmn baffe 8c triviale que les bouffons d’ Italie
ont apportée en France , 8c que le mauvais goûç
femble avoir adoptée.
Je crois que l’art du gefte eft refferré en desbor-*
nés trop étroites pour produire de grands effets , la
feule a&ion du bras droit que l’on porte en avant
pour décrire un quart de cercle, pendant que le bras
gauche, qui étoit dans cette pofition , rétrograde
par la même route pour s’étendre de nouveau 8c
former l’oppofition avec la jambe , n’eft pas fuffi-
fante pour exprimer des paffions; tant qu’on ne
variera pas davantage les mouvements des bras, ils
n’auront jamais la force d’émouvoir 8c d’ affe&er.
Les anciens étoient nos maîtres à cet égard, ils
connoiffoient mieux que nous l’art du gefte ; 8c
c’eft dans cette partie feule de la danfe qu’ils l’em-
portoient fur les modernes. Je leur accorde avec
plaifirce qui nous manque 8c ce que nous poflede-
rons, lorsqu’il plaira aux danfeurs de fecouer des
règles qui s’o-ppofent à la beauté 8c à l’efprit de
leurart.
Le port des bras devant être aufli varié que les
différens fentimens que la danfe peut exprimer,
les règles reçues deviennent prefque inutiles ; il
faudroit les enfreindre 8c s’ën écarter à chaque inf-
tant, ou s’oppofer, en les fuivant exaâement, aux
mouvements de l’ame, qui ne peuvent fe limiter
par un nombre déterminé de geftes. '
Les paffions varient 8c fe divifent à l’infini : il
faudroit donc autant de préceptes qu’il y a chez
elles de modifications. Où eft le maître qui voulût
entreprendre un tel ouvrage 1
Le gefte eft un trait qui part de l’ame ; il doit
faire un prompt effet 8c toucher au but lorfqu’il eft
vrai. -• ;
Inftruît des principes fondamentaux de notre
art , fuivons les mouvements de notre ame, elle
ne peut nous trahir lorfqu’elle fent vivement ; 8c
fl dans ces inft^nts elle entraîne le bras à tel ou tel
gefte, il eft toujours aufli jufte que correctement
deffiné , 8c fon effet eft fûr. Les paffions font le*
refforts qui font jouer la machine; quels quefoientr
les mouvements qui en réfultent, ils ne peuvent
c o u
manquer d’être ettpreffifs. 11 faut conclure d'après
cela que les préceptes dénies de l’école doivent
difparoître dans la danfe en aélion , pour faire
place au fentiment de la nature. &
Rien n’eft fi difficile à ménager que ce qu on appelle
bonne grâce ; c’eft au goût à l’employer, 8c
c’eft un défaut que de courir après elle 8c d’en répandre
également par-tout. Peu de prétention à en
montrer , une négligence bien entendue à la dérober
quelquefois, ne la rend que plus piquante 8c
lui prête un nouvel attrait. Le goût en eft le diltri-
buteur, c’eft lui qui donne aux grâces de la valeur
& qui les rend aimables ; marchent-elles fans lu i ,
elles perdent leur nom , leurs charmes 8c leur effet
; ce n’ eft plus que de la minauderie dont la fadeur
devient infuppôrtable. ?
II. n’appartient pas à tout le monde d avoir du
goût. La nature feule le donne ; l’éducation le raffine
8c le perfectionne ; toutes les règles que Ion
établiroit pour en donner feroient inutiles. H eft ne
avec nous, ou il ne l’eft pas ; s il l eû , il fe mani-
feftera de luhmême ; s’il ne l’eft pas , le danfeur
fera toujours , médiocre.
Il en eft de même des mouvements des bras ; la
bonne grâce eft à ces derniers , ce que le goût eft a
la bonne grâce ; on ne peut réuffir dans l'aâhon
pantomime fans être également fervi par la nature ;
lorfqu’elle nous donne les premières leçons , les
progrès font toujours rapides.
Concluons que l’aCtion de la danfe eft trop rel-
treinte ; que l’agrément 8c l’efprit ne peuvent le
Communiquer également à tous les êtres ; que le
goût 8c les grâces ne fe donnent point. En vain
cherche-t-on à en prêter à ceux qui ne font point
nés pour en avoir, c’eft femer fon grain fur un ter-
rein pierreux ; quantité de charlatans en vendent ;
une plus grande quantité de dupes en achètent ;
mais le profit eft au vendeur, 8c la fottife à l’acheteur.
Les Romains avoient cependant des écoles ou
l’on enfeignoit l’art de la faltation, ou , fi vous le
voulez, celui du gefte 8c de la bonne grâce ; mais
les maîtres étoient-ils contents de leurs écoliers ?
Rofcius ne le fut que d’un feul, que la nature fans
doute avoit fervi ; encore y trouvoit-il toujours
quelque chofe à reprendrë.
Que les maîtres de ballets fe perfuadent que
j’entends par geftes les mouvemens expreflifs des
bras foutenus par les caractères frappans 8c varies
de là phyfionomie. Les bras dun danfeur auront
beau parler, fi fon vifage ne joue point, fi 1 alteration
que les paffions impriment fur les traits n eft
pas fenfible , .fi fes yeux ne déclament point 8c ne
décèlent pas la fituation de fon coeur, fon expref-
fion dès dors eft fauffe , fon jeu eft machinal, 8c
l’effet qui en réfulte pèche par le défagrément 8c
par le défaut de vérité 8c de vraifemblance. ^
Je ne puis mieux le comparer qu à ce que 1 on
voit dans des bals mafqués où il y a des jeux publics,
mais principalement à Venife pendant le car-
C O U § 4 0Ï
naval. Figifrez - vous autour d’une table immente
une quantité de joueurs portant tous des mafques
plus ou moins grotesques , mais en général tous
rians. En ne regardant que les physionomies , tous
les joueurs ont l’air contens 8c Satisfaits ; on diroit
que tous gagnent ; mais que vos regards fe fixent
fur leurs bras , leurs attitudes 8c leurs geftes , vous
voyez d’un côté l’attention immobile de 1 incertitude
, de la crainte ou de l’efpérance ; de 1 autre ,
le mouvement impétueux de la fureur 8c du dépit ;
là , une bouche qui fourit 8c un poing fermé^ qui
menace le c ie l; ic i, vous entendez fortir dune
bouche qui femble rire aux éclats , des imprécations
terribles ; enfin cette oppofition de la figure
avec le gefte produit un eftet étonnant, plus facile
à concevoir qu’à décrire. Te l eft le danfeur dont la
figure ne dit rien, tandis que fes geftes ou fes pas
expriment le fentiment vif dont il eft agité.
On ne peut fe diftinguer au théâtre que lorf-
qu’on eft aidé par la nature ; c’étoit le fentiment
de Rofcius. Selon lu i, dit Quintilien, l’art du pantomime
confifte dans la bonne grâce 8c dans
l’expreflion naïve des affe&ions de l’ame ; elle eft
au-deffus des règles 8c ne fe pêut enfeigner ; la
nature feule la donne.
Pour hâter lés progrès de notre art 8c le rapprocher
de la vérité, il faut faire un facrifice de tous les
pas trop compliqués; ce que l’on perdra du coté des
i jambes fe retrouvera du côté des bras. Plus les pas
feront Amples , 8c plus il fera facile de leur affocief
de l’expreffion 8c des grâces. Le goût fuit toujours
les difficultés, il ne fe trouve jamais avec elles ;
que les artiftes les réfervent pour l’étude, mais
qu’ils apprennent à les bannir de l'execution ; elles
ne plaifent point au public , elles ne font même
qu’un plaifir médiocre à ceux qui en fentent le
prix. Je regarde les difficultés multipliées delà mu-
fique 8c de la danfe comme un jargon qui leur eft
abfolument étranger ; leurs voix doivent être touchantes
, c’eft toujours au coeur qu’elles doivent
parler ; le langage qui leur eft propre eft celui du
fentiment ; il féduit univerfellement, parce quil
eft entendu univerfellement de toutes les nations.
Tel violon eft admirable , me dira-t-on ; cela te
peut, mais Une me fait aucun plaifir, il ne me
flatte point, 8c il ne me caufe aucune fenfation.
C ’eft qu’il a un langage , me-répondra .l'amateur,
que vous n’entendez point ; c’eft une convocation
qui n’eft pas à la portée de tout le monde , continuera
t-il, mais elle eft fublime pour quiconque peut
la comprendre 8c la fentir ; 8c fes fons font autant
de fentimens qui féduifent 8c qui affedent lorfque
l’on conçoit fon langage.
Tant pis pour ce grand violon , lui dirai-je, fi
fon mérite ne fe borne uniquement qu'à plaire au
petit nombre. Les arts font de touts les pays ; qu’ils
empruntent la voix qui leur eft propre , ils n’auront
pas befoin d’interprête, 8c ils affeâeront également
& le connoiffeur 8c l’ignorant ; leur effet ne fe
botne-t il au contraire qu’à frapper les yeux fans