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armé. Cet infiniment, ou pour mieux dire cette
efpéce de férule, décèle l’école, & retrace la foi-
bleffe & l’enfance dans laquelle notre mufique étoit
plongée il y a foixante ans. Les étrangers accoutumés
à entendre des orcheftres bien plus nombreux
que les nôtres, bien plus variés en inftruments&
infiniment plus riches en mufique favante & diffi-
cultueufe, ne peuvent s’accoutumer a ce bâton ,
fceptre de l’ignorance , qui fut inventé pour conduire
des taleus naiflans. Ce hochet de la mufique'
au berceau paroît inutile dans l’adolefcence de cét
art. L’orcheftre de l’opéra e f l , fans contredit, le
centre & la réühion des inuûciens- habiles ; il n’efl
plus néceffairede les avertir comme autrefois qu’il
y a deux dièfes à la clef. Je crois donc que cet inf-
truraent , fans doute utile dans les temps d’ignorance
, ne l’eft plus dans un fiècle ou les' beaux arts
tendent à la pcrfeélion. Le bruit-défagreable & dif-
fonnant qu’il produit, lorfque le préfet de la mufi-
que entre dans l’enthouffàfme & qu’il brife le pus-
pitre’, diftrait l’oreille du fpeâàteur , coupe l ’harmonie
, altère le chant des'airs, & s’oppofe à toute
jmpreffion.
Ce goût naturel & inné pour la mufique entraîne
après lui celui de- la danfe. Ces deux arts font frères
ôc fe tiennent par la main ; les accents tendres &
harmonieux de l’un excitent les mouvements agréables
& expreffifs de l’autre ; leurs effets réunis offrent
aux yeux & aux oreilles des tableaux animes ;
Ces Cens portent au coeur les images intéreffantes
qui les ont affeâés ; le coeur les communique à
l ame ; & le plaifir qui réfulte de l’harmonie 8c de
l'intelligence de ces deux arts , enchaîne le fpeda-
teur & lu t fait éprouver ce que la volupté a de plus
féduîfanr.
La danfe efl variée à l’infini dans toutes les provinces
de la Germanie. La manière de danfer qui
règne dans un village, eft prefque étrangère dans
le hameau voifin. Les airs mêmes deftinés à leurs
réïouiflànces- ont un caraâère & un mouvement
différent, quoiqu’ils portent tous celui de la gaieté.
Leur danfe efl féduifante, parce quelle tient tout
de la nature, leurs mouvements ne refpirentque
la joie & le plaifir ; & la précifion avec laquelle ils
exécutent donne un agrément particulier à leurs
attitudes , à leurs pas & à leurs geftes. Eft-il question
de fauter ? cent perfonnes autour d’ un chêne
ou d’un pilier prennent leurs temps dans le même
inftant, s’élèvent avec la même jufleffe , & retombent
avec la même exaâitude. Faut il marquer la
mefure par un coup de pied ? tous font d accord
pour le frapper enfemble. Enlèvent-ils leurs femmes
? on les voit toutes en Pair à des hauteurs égales
, 8c ils ne les laiffent tomber que fur la note fen-
£ble de lp mefure.
Le contre-point, qui fans contredit efl la pierre
de touche de l’oreille la plus délicate, efl pour eux
Ce qu’il y a de moins difficile ; auffi la danfe efl-elle
animée, & la fineffe de leur organe jette-t-elle dans
manjére 4e fe mouvoir i*ne p ie té & une va-
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riété que l’on ne trouve point dans nos contredan5
fes françoifes.
Un danfeur fans oreille efl-l’image d’un fou qui
parlée fans ceffe, qui. dit-tout au h a fard , qui n’ob-
i’erve point de fuite dans la converfation, & qui
n’articule que des mots mal coufus 8c dénués de
fens commun. La parole ne lui fert qu’à indiquer
aux gens fenfés .fa folie & fon extravagance. Le
danfeur fans oreille , ainfi que le fou, fait des pas
mal combinés, s’égare à chaque inflant dans l'on
exécution, court-fans ceffe après la mefure & ne
l'att.rape jamais.. Il-ne, fent rien ; tout efl faux chez
lui ; fa danfe n’a ni raifonnemertf ni expreffioii; -&
la mufique qui devroit diriger fes moüvements ,
fixer fes pas & déterminer fes- temps , ne fert qu’à
déceler fon infuffifance & fes imperfections.
L’étude de la mufique peut, comme je vous l’ai
déjà dit, remédier à ce défaut * & donner à l’or-,
gane moins d’iitfenfibilité & plus d e jufleffe.
é Je ne ferai pas u‘né longue defcriptîôn de touts
les enchàtnehiënts de pas dont la danfe efl en pof-
feffion. Ce détail feroit immenfe ; il eft inutile d’ailleurs
de m’étendre fur le méchanifme de mon art;
cette partie efl portée à un fi haut degré de perfection
, qu’il feroit ridicule de vouloir donner de nouveaux
préceptes aux artiftes. Une pareille differta-
tion ne pourroit manquer d’être froide 8c de vous
déplaire ; c’eft aux yeux &non aux oreilles que les
pieds & les jambes doivent parler.
Je me contenterai donc de dire que ces enchaînements
font innombrables , que chaque danfeur
a fa manière particulière d’allier & de varier fes
temps. Il en efl de la danfe comme de la mufique, &
des danfeurs comme des mùficiens ; notre art n’efl
pas plus riche en pas fondamentaux que la mufique
l’eft en notes ; mais nous avons des oélaves , des
rondes, des blanches, des noires , des croches, des
temps à compter 8c une mefure à fuivre;_ce mélange
d’un petit nombre de pas & d’une petite
quantité de notes offre une multitude d’enchaînements
8c de traits variés ; le goût & le génie trouvent
toujours une fource de nouveautés en arrangeant
& en retournant cette petite portion de notes
& de pas de mille fens & de mille manières différentes;
çe font donc ces pas lents & foutenus , ces
pas vifs , précipités, & ces temps plus ou moins
ouverts, qui forment cette diverfité continuelle.
E.
ENTRECHAT. Saut léger & brillant, pendant,
lequel les deux pieds du danfeur fe croifent rapidement
pour retomber à la troifième pofition. F»
Po s it io n .
Ventrechat fe prend en marchant, ou avec un
coupé. Le corps s’élance en l’a ir, 8c les jambes paf-
fent à la troifième pofirion.
Il n’eft jamais entrechat qu’il ne fç>it fbrmé à
quatre ; on le paffe à f ix , à huit, à d ix , & on a
vy
E N T 417
Vu des danfeurs affez vigoureux pour le paffer à
douze.
Ce dernier n’efl: point 8c ne fçauroit jamais etre
théâtral; on n’ufe pas même au théâtre de celui a
dix. Quelque vigueur qu’on puiffe fuppofet au
danfeur, les paffages alors font trop rapides pour
qu’ils puiffent être apperçus par les fpeéfateurs.
Les excellents danfeurs fe bornent pour 1 ordinaire
à fix, & le paffent rarement à huit. Dupré fe
bornoit à fix.
L ’e n t r e ch a t emploie deux mefures : la première
fert au coupé ; la fécondé à f élancement du
corps, au battement & au tomber.
Il fe fait de face en tournant, & de côté ; & on
îui donne alors ces noms différens.
D e ru e l, danfeur de l’opéra du dernier fiecle ,
faifoit la cabriole en montant, 8c Centrechat en tombant.
Peu de danfeurs, même fameux alors, faifoient
£ entrechat, pas même celui à quatre , qu’on appelle
improprement demi-entrechat. v
J’ai vu naître les entrechats des danfeufes ; made-
moifelle Salle ne l’a jamais fait fur le théâtre, ma-
demoifelle Camargo le faifoit d’une manière fort
brillante à quatre ; mademoifelle Lany eft la première
danfeufe en France qui l’ait paffé au .théâtre
à fix.
J’ai entendu dans les commencements de grands
murmures fur l’agilité de la danfe moderne : ce n ejl
pas ainfi, difoit-on , que Us femmes devroient danfer.
Que devient la décence ? O temps ! ô moeurs ! ah ,
la Prévôt ! . . . . elle avoit les pieds en-.dedans 8c des
Jupes longues, que nous trouverions encore aujourd’hui
trop courtes,
F.
FLEURET. Pas prefque femblable à celui de
bourrée, parce qu’il n’a qu’un mouvement. Il eft
de facile exécution , & compofé d’un demi-coupé
& de deux pas marchés fur la pointe des pieds. On
le fait étant à la quatrième pofition. Si c’eft le jùed
gauche qui eft devant, on pofe le côrps entièrement
fur ce pied, en approchant le droit à la première
pofition fans qu’il touche à terre. Alors on
plie les deux genoux également, & cela s’appelle
plier fous foi. Mais il ne faut paffer le pied droit en
devant à la quatrième pofition , que lorfque l’on a
p lié , & du même temps qu’il eft paffé > on s’élève
fur la pointe. Alors on marche deux autres pas tout
de fuite fur la pointe , (bavoir , l’un du gauche &
l ’autre du droit, & à ce dernier on pofe le talon en
le finiffant, afin que le corps foit plus ferme , foit
pour en reprendre un autre , foit pour former tel
autre pas que demande la danfe que l’on execute.
Le fleuret fe fait auffi en arrière & de tous.côtés ;
ce ne font que les portions qui font différentes ; on
les obferve foit en tournant, foit en allant de côté.
équitation, Efcrtme Sr Danfe,
G A I
GGA
IL LARD E ( pas de ), Il efl compofé d’un pas
affemblé , d’un pas marché & d’un pas tombé. Le
pas de'gaillarde fe fait en avant & de coté.
Le pas en avant fe fait ayant le pied gauche devant
à la quatrième pofition, & le corps pofe fur le
talon du pied droit levé ; de-là on plie fur le pied
gauche, la, jambe droite fe lève, & on fe relève
pour fauter. La jambe fe croife devant à la troifième
pofition , en retombant de ce faut fur les deux
pieds, les genoux étendus ; & cette jâmbe qui a
croifé devant, fe porte à la quatrième pofition en
avant. On laiffe pofer le corps defliis en s’élevant
du même temps ; par ce moyen on attire la jambe
gauche derrière la droite, & à peine la touche-
; t-elle que le pied fe pofe à terre, & le corps fe po-
fant deffiîs, fait plier le genou gauche par fon fardeau
; ce qui oblige la jambe droite de fe lever.
Dans le même moment le genou gauche qui efl:
plié, en voulant s’étendre , renvoie le corps fur la
gauche, qui fe pofe à terre , en faifant un faut que
l’on appelle jetté-chajfê. Mais en fe laiffant tomber
fur le pied droit, la jambe gauche fe lè v e , & le
corps étant dans fon équilibre entièrement pofé fur
le pied droit, l’on peut en faire autant du pied
gauche.
Ce pas fe fait auffi de côté en allant fur une
même ligne, mais différemment de celui en avant.
Ayant le corps pofé fur le pied gauche, vous pliez
& vous vous élevez en fautant & affemblant le pied
droit auprès du gauche à la première pofition , era
tombant fur les deux pointes, mais le corps pofé
fur le gauche, parce que du même temps vous
portez le droit à la fécondé pofition , en vous élevant.
deffus pour faire votre pas tombé, qui fait la
fécondé partie dont le pas de gaillarde efl compofé.1,
GARGOU IL LADE . Ce pas eft confacré aux
entrées de vents, de démons & des efprits de feu ;
il fe forme en faifant du côté que l’on v e u t, une
demi-pirouette fur les deux pieds. Une des jambes,
en s’élevant, forme un tour de jambe en dehors >
& l’autre un tour de jambe en-dedans , prefque
dans le même temps. Le danfeur retombe fupcelie
des deux jambes qui eft partie la première , 8c
forme cette demi:pirouette avec l’autre jambe qui
refte en l’air, V oy e^ t o u r d e j a m b e .
Ce pas eft compofé de deux tours. Il efl: rare
qu’on puiffe faire ce tour également bien des deux
côtés. MÊÊÊÊÊ ... .
Le célèbre Dupré faifoit tres-bien la gargouillait
lorfqu’il danfoit les démons ; mais il lui donnoit
une moindre élévation que celle qu’on lui donne à
préfent ; on l’a vue plus haute & de la plus parfaite
prefteffe dans le quatrième aéle de Zoroallre. I Mademoifelle Lyonnois qui y danfoit le rôle de
I la haine, & qui y figuroit avec le défefpoir, eft la
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