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de peindre les mouvements de joie populaire, dont
chacun des inftants peut fournir à la danfe une fuite
animée des plus grands tableaux.
Mais la danfe compofée, celle qui par elle-
même forme une aétion fuivie , la feule qui ne
peut être qu’au théâtre , & qui entre pour moitié
dans le grand deffein de Quinault, fut un des pivots
fur lefqueis il voulut faire rouler .une des parties
effentielles de fon énfemble.
Tout ce qui eft fans aâion eft indigne du théâtre;
tout ce qui n’eft pas relatif à l’aétion devient
un ornement fans goût & fans chaleur. Qui a fçu
mieux que Quinault ces loix fondamentales de l’arr
dramatique? Le combat des foldats fortis -du fein
de la terre dans Cadmus , devoit être, félon fes
vue s , une aâion de danfe. Son idee napas ete
fuivie. Ce morceau qui auront été tres-théâtral ,
n’eft qu’une fituation froide & puérile. Dans 1 enchantement
d’Amadis par la fauffe Oriane, il a été
mieux entendu ,& cette aâion épifodique paraîtra
toujours., Aprfqu’elle fera bien rendue , une des
beautés piquantes du théâtre lyrique..
Le théâtre comporte donc deux elpeces diftin&i-
ves de danfe,lafimple & la compofée ;& cesdeux
efpèçes les rafiemblent toutes. Il n’en eft point, de
quelque genre qu’efie puiffe être , qui ne toit com- ,
prife dans l’une ou l ’autre de ces deux dénominations^
Il n’eft donc point de danfe qui ne puiffe être
admife au théâtre ; mais elle n’y fçauroit produire
un agrément réel , qu’autant .qu’on aura l’habileté
de lui donner le caraâère d’imitation qui lui eft
commun avec touts les beaux arts, celui d’expref- ;
fion qui lui eft particulier dans l’inftitution primitive
, & celui de représentation qui conftitue feul
l’artdramatique.
La règle eft confiante, parce qu’elle eft puifee
dans la natu-re, que 1’expérLenç.e de touts les fiècles
la confirme , qu’en l’écartant, la danfe n’eft plus
qu’un ornement fans objet, qu’un vain étalage de
pas , qu’un froid compote de figures fans efprit,
fans goût & fans vi£.
En fuivant, au fujplus a cejte règle aveç fcrupulp ,
on a la clef de 1-art. Avec de l’imagination , de l’étude
& du difcernement , on peut.fe flatter de le
porter bientôt à fon plus-haut point de gloire ; mais
c'eft fur-tout dans les opéras de Quinault qu’il au-
roit pu atteindre rapidement à la plus éminente perfection
, parce que ce poète n’en a point fait dans
lequel il n’ait tracé, avec le crayon du génie, des
actions de danfe les plus nobles , les mieux- liées au;
fui e t , les moins difficiles à rendre. J’y vois partout
le feu , le pittorefque, la fertilité des beaux
cartons de Raphaël. Ne verrons-nous jamais de pinceau
affez habile pour en faire des tableaux dignes
du théâtrp? , ^ H
Ce qu’on dit ici des opéras de Quinault au lu-
jet de la danfe, eft vrai à la lettre. IJ nVft point
d’ouvrage de cet efprit créateur dans lequel on
ne voie , fi l’on fait vo ir , l’indication marquée de
plufieurs ballets d’aéliop très-ingénieux & tous liés
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au fujet principal. Il en eft de même de la décora«
tion éc de la machine. Dans chacun de fes opéras,
on trouve des moyens de fpeétacle dont jufqu’ici
il femble qu’on n.e fe foit point apperçu , & qui
feùls feroient capables de produire les plus grands
effets.
Çbjlaçles au progrès de la danfe.
On commence à revenir des préjugés cenfurés
dans cet article : mais comme ils ne font' point encore
entièrement détruits , nous croyons que les
réflexions contenues dans cet, article ne font point
encore devenues inutiles. La danfe, qui ne peint
rien , ne produit fans doute qu’un plaifir très-fugitif
qui laiffe l’etprit & le cqeur à froid,. Mais dire autîi
que la danfe puiffe tout exprimer , c’eft le langage
de l’enthoufiafme.
Les gens à talents forment, dans les arts , des
efpèces de républiques différentes ent/elies par des
ufages particuliers ,& toutes reffemblantes par un
fanarifme d’indépendance que des caprices fuccef-
fifs entretiennent, & que la raifon n’eft guç-res capable
de refroidir-.
Ils n’ont point de loix.écrites, de règles confiantes,
de principes fixes. Ils fe gouvernent fur des
traditions qu’ils çroyent certaines. Ils fuivent de«
pratiques que l’infiiffifance a adoptées , & qu’ils
imaginent être la perfection de l’a.rt. Ils s’abandbo-
nent à des routines qu’ils .ont trouvées introduites ,
fans examiner fi elles font utiles ou nuifibles.
O r , pour ne parler que de la danfe du théâtre,
je trouve dans ces inconvénients généraux de
grands obftacles au progrès de l’a r t, puifqu’il en
réfui te lp malheur certain de ne voir jamais faire à
nos danfeurs modernes que c.e qui a été pratiqué
pg.r l,es danfeurs qui les ont précédés , & je crois
avoir déjà prouvé que la danfe n’a fait jufqu’ici fur
notre théâtre que la moindre partie de ce qu’elle
anroit dû faire»
Mais pour fentir tout le danger des abus funeft.es
à l’art qui fe font gliffés parmi nos danfeurs de
théâtre , pour leur faire copnoître à eux - mêmes
la néceflité de les réformer , pour engager peut-
être le public à les y contraindre 3 je penfe qu’il
eft néceffaire (le les développer fans ménagement.
C ’eft le plaifir çlp la multitude, c’eft la gloire
d,e la multitude, c’eft la gloire d’un art agréable ,
c’eft l’honnçur d’un fpeélacle national que je Sollicite.
Ce font les abus qui arrêtent fes progrès, que
je défère à la fagacité, au goût, au difcernement des
François.
i°. Toute action théâtrale eft antipatique aux
danfeurs modernes, par la feule raifon que les 3 0
tions de danfe n’ont pas été pratiquées par les
grands danfeurs , ou crus tels, dont ils rempliffent
au théâtre les emplois ; comme fi le vrai talent de*
voit fe donner lui-même des entraves ; comme s’il
n’étoit pas fait pour s’élever toujours par fon a£U-
vité au deffus des modèles qu'il s’eft choifis.
-3°. L ’opinion commune eft que la danfe doit fe
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réduire à un développement des belles proportions
du corps, à une grande précifion dans l’exécution •
des airs , à beaucoup de grâce dans le dçployement
des bras, à une légéreté extrême dans la formation
des pas. Quelques connoiffeurs penfent le contraire.
Le général des fpe&ateurs , touts les dan-
îeurs fubalternes , le peuple de l’opéra n’ont de la
danfe qu’ils appellent-noble , que l’idée que je rapporte.
Aucun des auteurs qui depuis Quinault ont
travaillé pour le théâtre lyrique , fans excepter
même la Motte, ne paroît avoir connu la danfe en
aâion. Fufeliereft le fe.ul qui, dans fes ballets , ait
tenté de l’introduire, & avec raifon. Que penfe'-
roit-on d’un graveur qui, ayant afiez de talent pour
rendre & multiplier à fon gré [les tableaux de Michel
Ange , du Ccrrege, de Vanlo , n’employeroit
cependant fon burin qu’à répéter méchaniquem.ent
tin nombre borné de-jolies vignettes ou quelques
culs-de-lampe monotones ?
3°. Chacun des danfeurs fe.croit un être à part &
privilégié. Il veut avoir le droit de paroître feul
deux fois dans quelque opéra qu’on mette au
théâtre. Il penferoit n’avoir pasdanfé, s’il n’avoit
fes deux entrées particulières. Il les ajufte toujours
à fa mode , & fans aucune relation direâe ou indirecte
au plan général qu’il ignore, & qu’il ne s’em-
barraffe guères deconnoître. Or , ce feul inconvénient
, tant qu’on le laiffera fubfifter , fera un obfta-
ele invincible à la perfection. En voici les preuves.
i°; Si le plan général de l’opéra eft bien fait, comme
le font, par exemple, touts ceux de Quinault,
chacune des parties qui le compofênt, eft relative à
1’aCtion principale. Par conséquent pour qu’il foit
bien exécuté , il fa^it que chaque danfe prifeTépa-
rément s’y rapporté & faffe ainfi , de manière ou
d’autre, partie de cette aéiion. La danfe cependant,
par l’abus dont je parle , deviendra dans cet endroit
une partie oifive , & par cette feule raifon dé-
feétueufe. Le plaifir réfultant de l’a£lion principale
fera donc néc-efiairement moindre. La multitude
peut-être applaudira le danfeur ; parce qu’elle
ne juge que par l’impretïïon du moment. Il n en
aura pas moins fait cependant lin contre-fens in-
fupporiable aux yeux du peü de fpeéîateurs qui
eonnoiftent le prix d e l’enfemble.
- 2°. S’il y a huit danfeurs ou danfeufes à l’-opéra
qui fuient en droit d’avoir chacun deux entrées
particulières , \\ faut ( fi Fon veut remplir les loix
primitives de l’art } , imaginer feize aCtions tèpa-
rées qui fé lient ou fe rapportent à l’adion principale,
& fuppofer encore que ces huit fujets fe prêteront
à les exécuter. Ces deux conditions font moralement
impoftibles. Audi trouve- t-on plus court
de laiffer aller les chofes comme elles ont été ;
. moyennant quoi, depuis plus de quatre-vingt ans ,
on eft encore, & l’on refte au point d’où l’on eft
d’abord parti.
Etat iiElüd de la danfe théâtrale en France.
Le perfonnage le plus recommandable de la
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Chine eft celui qui fçait üné plus grande quantité de
mots. L’érudition de ce pays n’elHeüre pas même
les chofes. Un lettré paffe fa vie à mettre, à arranger
dans fa tête un nombre irnmenfe de paroles
ifolées ; & les fçavans de la Chine déclarent qu’il
eftfçavant. Je crois voir un homme qui , ayant
dans fa main fa cle f du temple des mufes, con-
fume fes jours &. toute fon adrèffe à la tourner & à
la retourner fans' ceffe dans la ferrure, fans ofer
jamais toucher au refforr. Tel'eft1 notre meilleur
danfeur moderne.
Préjugés contre la danfe en afùen.
La danfe noble , la belle darife fe perd, difoit-oit
à la cour & à la ville , lors même que nous avions ,
au'théâtre de l’opéra, les meilleurs danfeurs- qui y
euffent paru depuis fon établiiTement. Quelle étoifi
donc la perte dont on fe plâignoit ? qu’avoient fait
fur notre théâtre ces grands danfeurs que l'on re-*
grettoit tant ? Jufqu’à quel point avoient ils porté
l’art de la danfe ?
Les uns marchoient des menuets avec une no-
bleffe qu’on a beaucoup-vantée , les autres exécu-
toient quelques pas de furies avec une médiocre
chaleur ; nul n’êtoit encore arrivé jufqu’à la perfection
que nous avons admirée fi long-temps dans
nos chaconnes. Q u’auroient été les Prevoft , les
Subligni à côté de Mademoifelle Sallé ? Quelle exécution
, du temps du fiu roi, auroir pu être comparée
à celle de Mademoifelle Camargo ?
Ce difcours ridicule qu’on a tenu conftamment
en France depuis la mort de L u lly , en l’appliquant
fuccèflivemei.t à toutes les parties de la vieille machine
qu’il a bâtie, & qu’on répétera par habitude
ou par malignité , de génération en génération, ju fqu’à
ce qu’elle fe foit entièrement écroulée, n’eft
qu’un préjugé du petit peuple de l’opéra, qui s’eft
gliffé dans le monde, & qui s’y maintient depuis
plus de foixanre ans, parce qu’on le trouve fous fa
main , & (fn’il dégrade d’autant les talents contemporains
qu’on n’eft jamais fâché de rabaiffer.
Mais ce difcours qu’on a tenu pendant vingt ans
fur des fujets évidemment fapérieurs à ceux qu’on
exaltoit à leur préjudice, ce préjugé qui nous eft:
démontré injufte aujourd’hui à tous égards , auroit
cependant été funefte à l’a r t, s’il avoit retenu les
Duprè, les Sallé , les Camargo dans les bornés
étroites de la carrière qu’avoient parcourue leurs
prédéceffeurs. Que nos talents modernes tireur
eux-mêmes la conféquence néceffaire & fans réplique
qui fuit naturellement de ce raifonnemenc
fimple.
Il y a une très grande différence entre la fatuité
, qui perfuade un homme à talent qu’il furpaffe on
qu’il égale le modèle qu’il a devant les y e u x , & la
noble émulation qui lui fait efpérer qu’il pourra
l’égaler ou le furpaffer un jour. Le premier fentb
ment eft un mouvement d’orgueil aveugle qui en*
traîne l’artifte dans le précipice ; le fécond eft