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] B AL. Affemblée réunie pour danfer.
Comme dans un bal réglé il y a un roi & une
reine , pour en fuivre la règle, ce font eux qui
commencent à danfer, & lorfque leur premier menuet
eft fini, la reine convie un autre cavalier de
venir danfer avec elle , & après qu’ils ont danfé,
il va reconduire la reine, 8c lui demander poliment
qui elle fouhaite qu’il prenne , 8c après lui avoir
fait une révérence^ 1 va en faire une autre à la
perfonne avec qui il doit danfer, pour la convier
de venir danfer. #— ,
Mais fi la perfonne que vous conviez parloit a
quelqu’un , 8c qu’elle ne vienne pas auffitôt, il faut
fe tranfporter à l’endroit de la falle où Ton corn?
mence de danfer & l’attendre , 8c être attentif lorfque
cette demoifelle vient , de la laitïer paffer devant
vous , ce font des attentions que la vie civile
veut que l’on obferve ; 8c lorfque vous avez fini
votre menuet ou autre danfe, vous faites de pareilles
révérences en finiffant, que celles que vous,-
avez faites avant,, mais indépendamment de celle-là
le cavalier en fait une autre en arrière, & fe va placer
afin de faire place à ceux qui danfenf.
Mais fi l’on vient vous reprendre lorfque c’eft à
vous dé prier, il faut aller convier la perfonne qui
vous a .prié en premier lieu.; autrement ce feroit |
un manque de fçavoir vivre des plus groffiers ; N
cette règle eft-égalemer.t pour les dames.
De même'quelorfque l’on vous vient prier pour
danfer , il faut vous tranfporter à l’endroit où l’on
commencé., 8ç faire les révérences que l’on fait
avant de danfer ; mais fi vous ne fçavez pas danfer',
il faut faire vos ex.cufes , foit fur le peu d’ufage que
vous en faites , ou fur lé peu de temps qu’il y a que
vous apprenez; ainfi vos révérences finies, vous re-
■ conduifez cette dame à la place, 8c du meme temps
vous allez faire une reverence à une autre demoifelle
, pour la convier d ev enir faire la révérence
avec vous , afin de ne point déranger l’ordre du
bal ; mais fi Ton vous prefloit de danfer , quelque
inftance que l’on vous f ît , ayant refufé une fois, il
ne faut pas danfer dans tout le bal, parce que ce
feroit offenfer la perfonne qui-vous a prié d’abord ,
ce qui doit s’obferver d’un fexe comme de l’autre ;
comme auffi ceux qui ont la conduite , d un bal,
«l’être attentifs que chacun danfe à font tour, afin
. d’éviter la confufion & le mécontentement ; comme
auffi lorfqu’il arrive des mafques , de les-faire
danfer des premiers, afin qu’ils prennent ceux de
leur compagnie de fuite. On doit faire honneur pre-
férablement aux mafques , car très-fouvent ce dé-
guifement cache des perfonnes du premier rang.
Je ne doute pas que lorfque l’on prendra toutes
ces précautions, tant de la part de ceux qui aliif-
lent dans les bals, ou de ceux qui en font la yoca-
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tion, ils ne fe faflent diftinguérpar les bonnes ma-
nières & la politefle.
Quant aux aflembiées qui fe font dans les famille
s, & qui ordinairement ne font compofées qpe
de parens 8c d’amis , on doit y obferver prefque le
même cérémonial que dans les bals , qui efi de fçavoir
inviter une perfonne pour danfer, en lui fai-
fant une.révérence à propos, & d’être attentif de
rendre le réciproque lorfque l’on vôus a pris pour I
danfer, de faire la même honnêteté que l’on vous
a faite quand c’eft à vous à prier. g
Des bals anciens 6* modernes.
Un tableau de Philoftrate nous repréfente Cômus' I
dans un fallon écldirè avec autant de goût que de
magnificence; Un chapeau de rofes orne fa tête ;
fes traits font animés de vives couleurs , la joie eft
dans fes yeux , le fourire eft fur fes lèvres.
Enivré de plaifir, chancelant fur fes pieds , il
paroît fe foutenir à peine de la main droite fur une
éoine. Il porte à la gauche un flambeau allumé qu’il
laiffe pencher nonchalemmenr, afin qu’il brûle plus!
' vite. . x
Le parquet du fallon eft jonché de fleurs ; quelques
perfonnages du tableau font peints dans des
- attitudes de danfe : quelques autres font encore
rangés autour d’une table proprement fervie ;mais |
le plus grand nombre eft placé avec ordre fous une
tribune dans laquelle on découvre une. foule de
joueurs d’inftruments qu’on croit entendre. C ’eft
un bal en forme , auquel Cornus prèfide. Le goût
moderne ne produit rien de plus élégant.
Cornus, en effet, eft regardé comme l’inventeur
de toutes les ffanfes dont les Grecs & les Romains
embellirent leurs feftins. Elles furent d’abord comme
les intermèdes de ces repas, que la joie & d’amitié
ordonnoient dans les familles. Bientôt le plai-
fir , la bonne chère & le vin donnèrent une plus
grande étendue à cet amufement. On quitta la' table
pour fe livrer entièrement à la danfe. Les familles
s’unirent pour multiplier les a&eurs 8c le
plaifir, mais l’affemblée en devenant plus nom*
breufe , prit un air de fête dont les égards, la bien-
féance & l’orgueil s’établirent bientôt les, arbitres
fiiprêmes. Dès-lors les jeux rians de Bacchus*.,. la
gaieté des feftins , la liberté qu’infpirent le vin &
la bonne chère; ce défordre aimable qui préfidoit
aux danfes inventées par Cornus difparurent, pour
faire place au (érieux, au bon ordre, à la dignité
des bals de cérémonie» < ' Igj ,
Nous trouvons leur ufage établi dans l’antiquité ■
la plus reculée; & il n’eft point étonnant qu’il fe
foit confervé jufqu’à nous. La danfe fimple, cellç
qui ne demande que quelques | g | , les grâces que
I donnent la bonne éducation & un fentiment me-
1 ' ■ ; ‘ diocre
diocre de la mefure, fait le fond de cette forte de
fpeftacle ; & dans les occafions folemnelles , il eft
d’une reffource aifée qui fupplée au défaut d’imagination.
Un bal eft fitôt ordonné , fi facilement
arrangé ; il faut fipeu de combinaifons dans l’ef-
prit pour le rendre magnifique ; il naît tant d’hommes
communs , & on en voit fi peu qui foient capables
d’inventer des chofes nouvelles, qu’il étoit dans ;
la nature que les bals de cérémonie une fois trouvés
, fuffent les fêtes de touts les temps.
Ils fe multiplièrent en Grèce, à Rome & dans
l’Italie. On y danfoit froidement des danfes graves.
On n’y paroiffoit qu’avec la parure la plus recherchée
; la richeffe, le luxe y étaloient avec dignité
une magnificence monotone. On n’y trouvoit alors,
comme de nos jours , que beaucoup de pompe fans
art, un grand fafte fans invention, l’air de diffipa-
fion fans gaieté.
C ’eft dans ces occafions que les perfonnages les
plus refpedables fe faifoient honneur d’avoir cultivé
la danfe dans leur jeunefie. Socrate eft loue
des philofophes qui ont vécu après lu i, de ce qu’il
danfoit comme un autre dans les bals de cérémonie
d’Athènes. Platon , le divin Platon mérita leur
blâme pour avoir refufé He danfer à un bal que
donnoit un roj de Syracufe ; & le févère Caton ,
qui avoir négligé de s’inftruire dans les premiers ans
de fa vie , d’un art qui étoit devenu chez les Ro
mains un objet férirux , crut devoir fe livrer à 59
ans, comme le bon M. Jourdain , aux ridicules
inftruélions d’un maître à danfer de Rome.
Le préjugé de dignité & de bienféance établi en
faveur de. ces aflembiées , fe conferva dans toute
l’antiquité. Il pafla enfuite dans toutes les conquêtes
des Romains , 8c après la deftru&ion de l’empire ,
les états qui fe formèrent de fes débris retinrent
tous cette inftitution ancienne. On donna des bals~
de cérémonie jufqu’au temps où le génie trouva des
moyens plus ingénieux de fignaler la magnificence
8c le goût des fouverains ; mais ces belles inventions
n’anéantirent point un ufage fi connu ; les
bals fubfiftèrént 8c furent même -confacrés aux occafions
de la plus haute.cérémonie.
Lorfque Louis XII voulut montrer toute la dignité
de fon rang à la ville de Milan , il ordonna un
bal folemnel où toute la noblefle fut invitée. Le
roi en fit l’ouverture ; les cardinaux de Saint-Seve-
rin & de Narbonne y danfèrent ; les dames les plus
aimables y firent éclater leur goû t, leur richefle ,
leurs grâces.
Philippe II alla à Trente en 1 <>62, pendant la
tenue du concile. Le cardinal Hercule de Man-
toue q.ui y préfidoit en affembla les pères , pour
déterminer la manière dont le fils de l’empereur
Charles-Quint y feroit reçu. Un bal de cérémonie
fut délibéré à la pluralité des voix. Le jour fut pris ;
les dames les plus qualifiées furent invitées , 6c
après un grand feftin , félon le cardinal Palavicini,
aont j’emprunte ce trait hiftorique , elles danfèrent
Equitation 9 EJcrime 6* Danfe,
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avec autant de modeftie que de dignité.
La décence , l’honnêteté, la convenance de ces
fortes de fêtes étoient au refte, dans ce temps , li
folemnellenient établies dans l’opinion des hommes
, que l’amer Fra-Paolo dans fes déclamations
cruelles contre ce concile , ne crut pas même ce
trait fufceptible de. critique.
La reine Catherine de Médicis qui avoit des
defîeins 6c qui n’eut jamais de fcrupules , égaya
ces fêtes, & leur donna même une tournure dei-
prit qui y rappella le plaifir. Pendant fa régence,►
elle mena le roi à Bayonne , où fa fille reine dEl-
pagne, vint la joindre avec le duc d’A lbe, que la-
régente vouloit entretenir. C ’eft-là qu elle déploya
touts les petits reflorts de fa politique vis-à-vis d un
miniftre qui en connoiffoit de plus grands, & les
reflburcès de la galanterie vis-à-vis d’une foule de
courtifans divifés qu’elle avoit intérêt de diftray;e
de l’objet principal qui l’avoit amenée.
Les ducs de Savoie 8c de Lorraine , plufieurs
autres princes étrangers étoient accourus à la cour
de France , qui étoit auffi magnifique que nom-*
breufe. La reine qui vouloit donner une haute idee
de fon adminiftration , donna le bal deux fois le
jour, feftins fur feftins, fête fur fête. Voici celle ou
je trouve le plus de variété , de goût 6cd invention.
Dans une petite ifle fituée dans la rivière de
Bayonne , 6c qui étoit couverte d’un bois de baute-
futaye , la reine fit faire douze grands berceaux qui
aboutiffoient à un fallon de forme ronde qu’on
avoit pratiqué dans le milieu. Une quantité im-
menfe de lùftres de fleurs, furent, fufpendus aux arbres
, 6c on plaça une table de douze couverts dans
chacun des berceaux.
La table du roi, des reines , des princes 8c des
princefles du fang étoit dreflee dans le milieu du
fallon , en forte que rien ne leur cachoit la vue des
douze berceaux où étoient les tables deftinees au
refte de la cour. f
Plufieurs fymphoniftes diftribues derrière les ber-
eaux 6c cachés par les arbres , fe firent entendre
;ès que le roi parut. Les filles d honneur des deux
eines , vêtues élégamment, partie en nimphes,
>artie en nayades, fervirent la table du roi. Des
àtyres qui fortoient du bois leur apporroient tout
:e qui étoit néçeffaire pour le fervice.
On avoit à peine joui quelques moments de cet
igréable coup-d’oe il, qu’on vit fucceflivemenr pa-
•oître pendant la durée de ce feftin , différentes
roupes de danfeurs 6c de danfeufes repréfentant
es habitants des provinces voifines , qui danfèrent
es uns après les autres , les danfes qui leur éroient
propres, avec les inftruments 6c les habits de leur
^ L e feftin fini, les tables difparurent ; des amphithéâtres
de verdure, & un parquet de gazon furent
mis en place , comme par magie ; le bal de
cérémonie commença ; 6c la cour s y datingua par
1 — « rtfoTrît-P rlp« rlanfp.ç fél'ieilfes . QUI CtClCflt