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ment de ce fiècle cet amufement à la mode. Les
princes faifoient gloire de fuivre l ’exemple qifavoit
donné le fouverain. On vit au Palais Royal & à
Sceaux des bals naafqués où régnèrent le goût, l’invention
, la liberté , l ’opulence. L’éleâeur de Bavière
, le prince Emmanuel de Portugal vinrent
alors en France , & ils prirent le ton qu ils trouvèrent
établi. L’un donna les plus belles fêtes à Su-
• renne , l’autre à l’hôtel de Bretonvilliers. Unepro-
iufion extraordinaire de rafraîchiffements, les illuminations
les plus brillantes, & la liberté la moins
contrainte firent l’ornement des bals mafqués qu’ils
donnèrent. Le public en jouit ; mais les particuliers
effrayés de la fomptuofité que touts ces princes
avoient répandue dans ces fêtes fuperbes, n’o-
fèrent plus fe procurer dans leurs mai fous de fem-
b la blés amufements ; ils voyoient une trop grande
diftance entre ce que Paris venoit d’admirer, &
ce que leur fortune ou la bienféance leur permer-
toit.de faire»
C ’eft dans ces circonftances que M. le Régent
fit un établiffement qui fembloit favorable au progrès
de la danfe, & qui lui fur cependant très-
funefte.Par une ordonnance du ^1 décembre ,
les bals publics furent permis trois fois la femaine
dans la falle de l’Opéra. Les direéleurs firent faire
une machine avec laquelle on êlevoit le parterre
& l’orcheftre au niveau du théâtre. La falle fut
ornée de luftres, d’un cabinet de glaces dans le
fond , de deux orcheftres aux deux bouts, & d’un
buffet de rafraîchiffemens dans le milieu. La nouveauté
de ce fpeâacle, la commodité de jouir de
touts les'plaifirs du bal fans foins, fans préparatifs ,
fans dépenfe, donnèrent à cet établiffement un tel
fuccès, que dans un excès d’indulgence que j’ai
vu durer encore, on pouffal’enthoufiafme jufqua
trouver la falle belle , commode, & digne en
tout du goût, de l’invention & de la magnificence
françoife.
Bientôt après les comédiens obtinrent en faveur
de leur théâtre une pareille permiffion. Leur peu
de fuccês les rebuta ; leurs bals ceffèrent, & l’O-
pera depuis a joui feul de ce privilège. Mais la
danfe, qui fut l ’objet ou le prétexte de ces bals publics
, bien loin d’y gagner pour le progrès de l’art,
y a an contraire tout perdu. Je ne parle ici que de
la- danfe fimple, telle que les gens du monde l’apprennent
& l ’exercent. Les bals étoient une efpèce
de théâtre pour eux où il leur étoir glorieux de
faire.briller leur adreffe. Ceux de l ’Opéra ont fait
tomber tours ceux des particuliers, & on fçait qu’il
n'eft plus du bon air d’y danfer. Les deux côtésde
la-falle font occupés par quelques mafques obfcurs
qui futvem ïes airs que l’orcheftre joue. Tout le
xeffe fe heurte, fe mêle, fe pouffe. Ce font les
fiturnales de Rome qu’on renouvelle, ou le carna--
val de Venife qu'on copie.
Que de rëffoirrces cependant ne feroit-il pas aifê
de trouver dans un établiffement dé cette efpèce ,
& pour le progrès de la danfe & pour l’amufement
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du public ! avec un peu de foin, une imagination
médiocre ,& quelque goût, on rendroit ce fpec-
tacle le fonds & la renource la plus fûre de l’Opéra
, une école délicieufe de danfe pour notre
jeune nobleffe, & un objet d’admiration confiante
pour cette foule d’étrangers, qui cherchent en vain
dans l’état où ils le voyent, le charme qui nous le
fait trouver fi agréable.
On peut mettre au nombre des bals publics ceux
que la ville de Paris a donnés dans les occafions
éclatantes, pour fignaler fon zèle & fon amour
pour nos rois , ou pour célébrer les événèments
glorieux à la France.
Dans ces circonftances les illuminations, les fef-
tins, les feux d’artifices & les bals Ont été prefque
toujours la tablature qu’on a fuivie. On ne s’en eft
écarté que lorfque l’hôtel de-ville a été gouvernée
par quelqu’un de ces hommes rares dont fes faftes
s’honorent.
Lorfque les Suiffes furent fur le point de venir
en France pendant le règne de Henri IV , pour renouveler
leur alliance, le prévôt des marchands &
les échevins , qui dans cette oçcafion font dansl’u-
fage de les recevoir à Fhôtel-de-ville & de les y régaler,
trouvèrent fous leur main l’ancienne rubrique
, & en conféquence ils délibérèrent un feftin &
un bal,
Mais ils étoient fans fonds, & ils demandèrent
à Henri IV pour fournir à cette dépenfe la permiffion
de mettre un impôt fur les robinets des fontaines.
Cherche^ quelque autre moyen -, leur répondit
ce bon prince , qui ne {oit point à charge à mon peuple
, pour bien régaler mes alliés ; alle[ , MeJJieurs ,
continua-t-il, il n'appartient qu'à Dieu de changer
l'eau en vin.
Feu M. Turgot fit l’équivalent d’un pareil miracle
, fans furcharger le peuple & fans importuner
le roi. Ce magiftrat que la pofiérité, pour l’honneur
de notre fiècle , mettra de niveau avec les hommes
les plus célèbres du fiècle de Louis X IV , fçut bien
changer une cour irrégulière en une falle de bat
la plus magnifique qu’on eût vue encore en Europe,
& un édifice gothique, en un palais de Fées. Tout
profpère, tout s’embellit, tout devient admirable
fous ;la main vivifiante d’un homme de génie.
BALANCÉ. Le balancé eft un pas qui fe fait en
place comme le pirouetté , mais ordinairement en
préfence , quoiqu’on puiffe aufli le faire en tournant.
Comme ce n’eft que le corps qui tourne , &
que cela ne change aucun mouvement, je vais dé-,
crire la manière de le faire en préfence.
Il eft compofé de deux demi-coupés, dont l’un
fe fait en avant, & l’autre en arrière ; fçavoir : en
commençant vous pliez à la première pofirion , &
vous portez le pied à la quatrième, en vous élevant
deffus la pointe j enfuite de quoi vous pofez le talon
à terre ; & l'a jambe qui eft en Pair s’étant approchée
de celle qui eft devant , & fur laquelle
vous vous êtes élevé, vous pliez fur celle qui a fait
ce'premier pas Pautre- étant pliée fe porte en
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Arrière à la quatrième pofition , Si vous élevez deffus
; ce qui finit ce pas.
Le balancé eft un pas fort gracieux que l’on place
ctans toutes fortes d’airs , quoique les deux pas
dont il eft compofé foient relevés également l’un
& l ’autre ; & delà vient qu’il s’accommode à toutes
fortes de mefures »parce que ce n’eft que l ’oreille
qui avertit de poufler les mouvements ou de les
rallentir. Poye{ POSITION.
11 eft fortufitê dans les menuets figurés auffi-bien
que dans les menuets ordinaires , de même qu’au
paffe-pied. On le fait à la place d’un pas de menuet,
dont il occupe la même valeur ; c’eft pourquoi il
doit être plus len t, puifque ces deux pas fe font
dans l’étendue des quatre que le pas de menuet
contient. Voyeç Menuet.
BALLET. A&ion exprimée par une danfe.
La Grèce, fi longtemps floriffante, vit paffer fa
fplendeur chez les Romains, avec les arts qu’ils
lui ravirent. Rome feule dès-lors devint l’objet des
regards de la terie.
La plupart des fucceffeurs d’Augufte méritèrent
à peine le nom d’hommes. Rome ékTItalie dégénérèrent.
La dépravation des moeurs, l'orgueil,l’ambition
, la guerre plongèrent touts les états dans la
cbnfufion. Les ténèbres de l’ignorance prévalurent
fur la foible lumière des arts. Elle s’éteignit. Ilsdif-
parurent, & l’Europe entière ne fut plus que le
trifte féjour d’une foule de peuples quelquefois
guerriers & toujours barbares.
Je franchis cette lacune immenfe , qui , pour
l’honneur des hommes, devroit être effacée des annales
du monde , & qui n’eft aux yeux de la raifon
qu’une honteufe & longue léthargie de l’efprit humain.
Il en fut réveillé par une famille de fimples
citoyens dignes du trône. L’horifon s’éclaircit, une
nouvelle aurore parut , un jour pur la fuivit, l’Eu*
rope fut éclairée.'
On pourroit peut - être dire des. arts & de la
gloire, ce que les poètes racontent d’Alphée &
a’Arèthufe. Ce fleuve amoureux fuit fans ceffe la
Nymphe charmante dont rien ne fçauroit le fépa-
rer. Il fuit, fe précipite , fe perd avec elle dans les
entrailles de la terre. La Grèce eft pour jamais privée
de fes eaux fécondes , il s’eft frayé une route
nouvelle vers les riches campagnes de la Sicile ,
qu’Aréthufe vient d’embellir.
Tels font les arts. Ils s’évanouiffent aux yeux
des nations que la gloire abandonne. Ils ne paroif-
fent, ils ne revivent que dans les climats plus heureux
qu’elle rend floriflantsv
La voix de Médicis les rappella en Italie , & ils
y accoururent. Dès-lors la fculpture , la peinture ,
la poéfie , la mufique fleurirent. Les plaifirs de l’ef-
prit fuccédèrent à une galanterie gothique. Les
hommes furent inftruits , ils devinrent polis, fo-
ciables, humains.
On éleva des théâtres. Les chefs-d’oeuvres des
Grecs & des Romains qui avoient déjà fervi de
guide aux peintres, aux poètes3aux fculpteurs, fu-
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rent les modèles des architectes dans la conftrudion-
des faites de fpeélacle. Alors lé talent & le génie fe
réunirent avec la magnificence, pour faire éclater
dans un même enfemble l ’illufion de la peinture,
le charme delà poéfie, les grâces de la darffè.
Suivons l’hifloire de cette dernière depuis cette
époque jufqu’à nos jours , examinons fes différentes
progreflîons, les formes qu’elle a fucceffïvement
reçues , ce qu’elle eft aujourd’h u i, ce qu’elle poutf-
roit & devroit être.
Origine des ballets*
Il n’y eut point de théâtres en Italie avant la fin
du quinzième fiècle. Le cardinal Camerlîngue Riari,
neveu du pape Sixte I V , avoir tenté d’infpircr à
ce fouverain pontife du goût pour les beaux éta-
bliffemens . mais Sixte reçut avec affez de froideur
quelques lpeélacles ingénieux que Riari lui avoit
donnés fur un théâtre mobile dans le château Saint?
Ange. Ce pape avoit fait dans fa jeuneffe des volumes
furie futur Contingent, il canonifoit S'aint-
Bonaventure , perfécutoit les Vénitiens, faifoit la
guerre aux Médicis, & fongeoit bien moins à 3a
gloire de fon règne qu’à l’étabiiffement de fa fa:
mille.
Vers l’année 1480, un nommé Sulpitius , qui
nous a laiffé de bonnes notes fur Vitruve, fit des
effofts pour ranimer le zélé du cardinal Neveu ,
qui ne lui réuflirent pas. Ce prélat s’étoit d’abçjd
réfroidi en voyant l’infenfibilité de fon oncle. Un
grand fpeâacle qu’il venoit de donner au peuple de
Rome, où il n’avoit épargné ni foins , ni dépenfe
& qui avoit encore manqué l’effet qu’il s’en étoit
promis, avoit achevé de le décourager.
Ce grand ouvrage cependant, que le zèle d’un
cardinal tout-puiffant ne put ébaucher dans Rome
étoit fur le point de s’àccomplir dans une des moins
confidérables villes d’Italie, & par les foins dt;n
fimple particulier.
Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie ,
fignala fon goût par une fête éclatante qu’il prépara'
dans Tontonne , pour Galcas , duc de Milan ,
& pour Ifabelle d’Arragon, fa nouvelle époufe.
Dans un magnifique fallon , entouré d’une galerie
où étoient diftribués plufieurs joueurs de d ivas
inftruments, on avoit dreffé une table tout-à-fait
vuide. Au moment que le duc & la ducheffe parurent,
on vit Jafon & les Argonautes s’avancer
fièrement fur une fymphonie guerrière. Us portaient
la fameufe toifon d’or , dont ils couvrirent
la table , après avoir danfé une entrée noble, qui
exprimoit leur admiration à la vue d’une princeffe
fi belle & d’un prince fi digne de la pofféder.
Cette troupe céda la place ,à Mercure. Il chanta
un récit, dans lequel il racontoit l’adreffe dont il
venoit de fe fervir pour ravir à Apollon , qui gar-
doit les troupeaux d’Admette, un veau gras dont
il faifoit hommage aux nouveaux mariés. Pendant
qu’il le mit fur la table , trois Quadrilles qui
le fuivoient exécutèrent une entrée.