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pleine main fe trompent ; parce que la laffitude le
t'ait pefer & appuyer fur fon mors. Il doit être de
bonne nature, iage, fidèle, hardi, nerveux ; d une
force pourtant qift ne foit pas incommode au cavalier,
mais liante & fouple : il faut qu il ait 1 éperon
fin & les hanches bonnes, pour pouvoir partir
6 repartir vivement , 8c être ferme & aife a 1 arrêt.
Il ne doit être aucunement vicieux ni ombrageux;
car quand même il auroit d ailleurs a fiez de force,
& qu’on l’auroit rendu obéiflant, il arrive fon vent
qu’après quelques jours de repos, ou par la faude de
quelque mauvaile main , il retombe dans fon vice.
Comme il faut toujours être en garde fur ces fortes
de chevaux , ils ne font bons qu’à être confinés
dans une école ; car ce ferait trop -que d’avoir fon
ennemi à combattre & fon cheval,à corriger. Le
vice le plus dangereux que puiffe avoir un cheval
de guerre, eft celui de mordre , & dé fe jetter fur
les autres chevaux ; parce que dans un combat, où
il eft animé, on ne peut lui ôter ce défaut.
Lorfqu’on trouvera dans un cheval toutes les
bonnes qualités que nous venons de décrire, il
fera aifé à un homme de cheval de le dreffer au
manève de guerre, en fuivant les règles que nous
avons données, lefquelles regardent la foupleffe
& l’obéiflànce, afin de le rendre prompt a obéir a
là main & aux jambes, ce qu’il fera facilement, fi,
après avoir été affoupli au trot, on l’a confirmé en-
fuite dans la leçon de l’épaule en dedans & celle de
la croupe au mur; fi on lui a appris à tourner diligemment
& facilement fur les voltes de combat,
ç’eft-à-dire fur un cercle la demi-hanche dedans ;
fi on l’a rendu obéiflant au partir de la ligne droite
des paffades ; facile & aifé à fe raflembler aux deux
extrémités de la même ligne pour former la demi-
volte à chaque main ; fi on l’a rendu prompt & agile
à bien exécuter une-pirouette & une demi-pirouette.
Voilà effentiellement ce qu’un cheval de
«uerre doit fçavoir pour ce qui regarde la foupleffe
le l ’obéiflànce ; mais une autre chofe abfolument
néceffaire, c’eft de l’aguérir au bruit des armes-,
en l’accoutumant au fe u , a la fumée & à 1 odeur de
la poudre, au bruit des tambours , des trompettes,
& au mouvement des armes blanches. Il y a de
très-braves chevaux qui tremblent de frayeur à la
vue d’un ou de plufieurs de ces objets; & quoiqu’ils
aient les barres fenfibles & la bouche bonne,
ils perdent tout fentiment de la bride, des éperons,
& de tome autre aide, auffi bien que des châtiments
, & s’abandonnent à d’étranges caprices pour
fuir l’objet de leur apprehenfiôn : il faut même tenir
toujours1 ces chevaux en exercice lorfqn’ils- font
dreffés, car le repos leur fait prendre de nouvelles
alarmes ; ce qui prouve que 1 art le plus fubtil ne
peut tout-à-fait effacer , ni vaincre les vices natu-
Tels»M
. de la Broue dit, que le remède le plus court
& le plus (impie pour accoutumer en peu de temps
un. cheval au bruit des armes à feu, & des autres
rumeurs guerrières, c’eft de tirer un coup de pif*
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tolet dans l’écurie, & dé faire battre la caiflè une
fois le jour par un palfrenier , pofitivement dans le
temps qu’on va leur donner l’avoine, & que peu
de temps après ils fe réjouiront à ce bruit, comme
ils faifoient auparavant au fon du crible.
Il y en_a de tellement ombrageux, qu’ils demeurent
à ce bruit les. oreilles tendues & droites,
roulent & blanchiffentles yeux dans la tête , tremblent
& , fuent d effroi, tiennent une poignée de
foin ferrée entre les dents fans remuer les mâchoires
, 8c enfin fe jettent dans la mangeoire & à travers
les barres ; mais avec la patience & l’induftrie
d’un cavalier intelligent, on vient à bout des chevaux
de ce naturel.
Il y a une autre façon d’accoutumer les chevaux
au feu; je l’ai foùvent expérimentée & vu pratiquer
; c’eft de les mettre dans les piliers : là , fans
aucun danger, il eft aifé de les accoutumer à tout
,ce qui peut leur porter ombrage. On leur fait d’abord
voir & fentir un piftolet fans êtrp chargé ; -on
fait jouer la batterie, parce qu’il y en a beaucoup
qui s’effraient au bruit de la détente & du cliquetis.
Quand ils font faits à ce bruit, on brûle une amorce
en fe tenant loin du cheval, le dos tourné vis-
à-vis de fa tête ; on s’en approche après pour lui
faire fentir le piftolet & l’accoutumer à l’odeur
de la fumée. Il .faut toujours le flatter en l’approchant
, 8c lui donner quelque chofe à manger ; car
ce n’eft que par la douceur 8c les careffes qu’on
apprivoife ces animaux. On met enfuite une nouvelle
amorcé , en accommodant le piftolet vis-à-
vis de lui ; & lorfqu’il eft fait à l’odeur & à la fumée
de la poudre, il faut commencer à tirer en
mettant une petite charge d’abord & peu bourrer ;
on tire le *dos tourné & un peu loin , on revient
d’abord après le coup lui faire fentir le piftolet &
le flatter; fuivant qu’il s’acoutume , on augmente
la charge , on tire de plus près, & enfin on tire de
deffus. Il faut, avec la même^louceur & la même
patience , l’accoutumer au bruit des tambours , au
mouvement des étendards & au bruit des armes
blanches. Les chevaux timides ,■ qui ordinairement
ont peu de force, & ceux qui n’ont pas la vue
bonne , s’accoutument au feu plus difficilement
que les chevaux vigoureux & dont la vue eft faine ;
& quoiqu’avec le temps on en vienne à bout, je
ne confeillerois pas de fe fervir de pareils chevaux.
pour la guerre.
Ce n’eft pas feulement dans les bornes d’un manège
qu’il faut accoutumer un cheval de guerre à
ce que nous venons de dire ; il faut fouvent l’exercer
en pleine campagne & dans les grands chemins
, ©ù il fe trouve une infinité d’objets qui
effrayent ceux qu’on fort rarement, les moulins
fur-tout, tant à eau qu’à vent & les ponts de bois,
font un grand fujet d’alarmes pour bien des - cke-
~vaux ; mais s’ils connoiffent la main & les jambes,
que le cavalier fâche fe fervir à propos de fes aides,
& qu’il ait le génie & la patience qu’il faut avoir*
il viendra bientôt à bout de ces difficultés. Sur-tout
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jl ne fi.lit point dans ces occafions, battre les jeunes
chevaux-, parce que, comme nous l’avons dit ailleurs:,
la crainte des coups, jointe à celle de l’objet
qui leur fait ombrage, leur accable la vigueur, &
les rebute totalement.
Des Chevaux de ChaJJe.
Quoique la chaffe ne foit regardée que comme
un amufement, cet exercice n’en mérite pas moins
d’attention ; puifque c’eft celui que les rois & les
princes préfèrent a tous les autres. Cette inclination
eft fans doute fondée fur la conformité qui fe
rencontre entre la chaffe & la guerre. En effet, de
part & d’autre on voit un objet à dompter, des
fatigues à effuyer, des dangers à éviter; & des rufes
£ pratiquer. Il n’eft donc pas étonnant, qu’un exer-
i cice qui a tant de rapport aux fentiments d’héroïfme
linféparabies des grands princes, fixe leur goût
i dans leurs plaifirs. Ce n’eft point ici le lieu d’exami-*
fner toutes les différentes parties de la chaffe, ni
■ de placer un éloge dont touts ceux qui penfent noblement
font remplis : mais les jours d’un fouve-
' verain font trop précieux à fes fujets pour ne le
pas exciter à fa confervation autant qu’il eft en leur
pouvoir. Nous venons de dire que la chaffe a fes
dangers aufli bien que la guerre : la plupart des accidents
qui y arrivent font caufés par des chevaux
mal choifis ou mal dreffés ; c’eft pourquoi nous
avons recherché avec foin tout ce qui peut conduire
à la connoiffance d’un bon cheval de chaffe,
& à la facilité de le dreffer à cet exercice.
Bien des gens penfent que la façon de dreffer
des chevaux de guerre & de chaffe, eft tout-à-fait
oppofee aüx règles du manège. Une opinion fi mal
fondée, & malheureufement trop générale, fait
négliger^les vrais principes. N’ayant donc pour guide
que la fauffe pratique de ceux qui ont fait naître
& qui favorifent cette erreur ,.on n’acquiert qu’une
fermeté fans grâce & une exécution forcée 8c fans
fondement. Pourroit-on , avec un peu de jugement,
avancer qu’un cavalier capable de pratiquer les
principes d’une bonne école, & par lefquels il eft en
état de juger de là nature de fon cheval, 8c de lui
former un air, n’a pas plus de facilité encore pour
affouplir & rendre obéiflant celui qu’on deftine à
£ la guerre, 8c pour étendre & donner de l’haleine
; à celui qu’il juge propre pour la chaffe, puifque
ce ne font-là que les premiers éléments de l’art
de monter à cheval-?
Le choix d’un bon coureur eft très-difficile à
• faire ; car, outre les qualités extérieures des autres
chevaux, il doit encore avoir particulièrement
beaucoup d’haleine , de légéreté & de fureté. Ces
qualités doivent lui être naturelles ; l’art ne peut,
tout au plus, que les'perFeélionner.
. Un cheval de chaffe ne doit pas être trop traverfé(
ni trop raccourci de corps ; parce que ces fortes de
çheyauX' n’ont pas ordinairement l’haleine 8c la facilité
néceffaire aux bons coureurs. Il doit être un
pçu long de corps , relevé d’encolure & avoir les
Equitation , E [crime 6» Danfe.
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épaules libres & plates, les jambes larges & ner-
veufes, fans être trop long jointé ; il faut avec
cela qu’il foit naturellement vite, fenfible à l’éperon
, & dans un appui léger.
M. de la Broue dit, que « les chevaux qui ne
» conviennent point pour la chaffe, font ceux
jy qu’une timidité naturelle empêche de courir vite
y> par la crainte qu’ils ont de hafarder leurs forces
» en courant : ceux qui fe méfient de.leurs forces
j> par quelqu’imperfedion naturelle ou acciden-
yy telle : ceux qui font pefants & pareffeux de leur
î> nature : ceux qui font rebutés à force de courir,
33 que la fiinple appréhenfion de la courfe retient,
33 rend vicieux & rétifs : ceux q u i, avec beaucoup
33 de reims , aiment mieux fournir un nombre de
» fauts, que de diftribuer leurs forces à l’a&ion de
33 la courfe : ceux enfin que la pure malice & pol-
33 trorinerie retient 33.
Quoique tous ces différens chevaux puiffent
abfolument être dreffés à courre, en fuivant les
règles de l’a rt, on ne pourra jamais leur donner les
qualités effentielles à un bon coureur, qui font,
comme nous venons de le dire, de-galoper légèrement
, furement & longtemps. Ces qualités nefe
trouvent qu’avec une foupleffe naturelle dans les
membres, & qu’on perfectionne par le trot, une
liberté dans les épaules , & un appui léger à la
bouche , qu’on confirme par le galop ; une haleine
& un courage fuffifants qu’on augmente par l’exercice.
Le trot, qui eft la première règle pour affouplir
toutes fortes de chevaux, doit être plus etendu &
plus allongé que relevé , dans un cheval de chaffe,
afin de lui apprendre à bien déployer les bras 8c les
épaules. Le bridon eft excellent pour donner'cette
première foupleffe à un cheval : on peut avec cet
inftrument, dont nous avons donné la defeription
& l’ufage dans le chapitre troifième , le plier facilement
& fans trop le gêner ; lui apprendre à tourner
promptement 8c librement aux deux mains,
fans lui offenfer les barres & la place de la gourmette,
ni lui déranger la bouche ; & le rendre auffi
fouple que fes forces & fa difpofition lui permettent
de le devenir. Il faut le troter aux deux mains
fans aucune Obfervation de terrain, mais varier à
touts moments l’ordre de la leçon du tro t, le tournant
tantôt à droite , tantôt à gauche fur un cercle;
quelquefois fur une ligne droite , plus ou moins
longue , fuivant qu’il fe retient ou s’abandonne.
On doit le tenir fur la leçon du trot , jufqu’à ce
qu’il obéiffe au moindre mouvement de la main &
des jambes , 8c qu’il ait appris la facilité de tourner
promptement & librement aux deux mains. Lorfqu’il
eft à ce point, on lui met un mors convenable
à la bouche; après quoi on lui donne la leçon
de l’épaule en dedans , non-feulement pour lui
affouplir les côtes , lui faire connoître les jambes ,
& lui faire la bouche, mais effentiellement pour lui
apprendre à avancer la jambe de dedans de derrière
fous le ventre , qui. eft une qualité abfolu