
$& B A L , .
Le peintre n’étudie point auffi 1 anatomie pour
peindre des fquelettes; il ne deffine point d’apres
l’écorché de Michel-Ange pour placer fes figures
hideufes dans fes tableaux ; cependant ces études
lui font abfolument utiles pour, rendre 1 homme
dans fes proportions, & pour le, deffiner dans les
mouvements & dans fes attitudes. ,
Si l&nu doit fe faire fentir fous la draperie, il
faut encore que les os fe faffent fentir fous les
chairs. Il eft eflentiel <^e difcerner la place que
chaque partie doit occuper; l’homme enfin doit fe
trouver fous la draperie, l’écorché fous la peau, oc
le fquelette fous les chairs, pour que la figure foit
deffiné'e dans la vérité de la nature & dans les proportions
raifonnées de l’art.
Le de fil n eft trop utile aux ballets , pour que ceux
qui les compofent ne s’y attachent pas fêrieufe-
tnent. 11 contribuera à l’agrément des formes ; il
répandra de la nouveauté & de l’élégance dans les
figures , de la volupté dans les grouppes, des.graces
dans les pofitions du corps, de la précifion & de la
iufteffe dans les attitudes. Néglige-t-on le deflin ,
on commet des fautes groffières dans la compoh-
tion. Les têtes ne fe trouvent plus placées agréablement
, & contraftent mal avec les effacements
du corps; les bras ne font plus pofésdans des tjtua-
tiens aifées tout eft lourd, tout annonce la peine,
tout eft privé d’enfemble & d’harmonie.
Le maître de ballets qui ignorera la mufique ,
phralera mal les airs ; il n’en faifira pas l’efprit & le
caraélère; il n’ajuftera pas, les mouvements de la
danfe à ceux de la mefure avec cette précifion 8c
cette fin.effe d’oreille qui font abfolument néceffai-
res à moins qu’il ne foit doue de cette fenfibilite
d’organe que la nature donne plus communément
que l’art, & qui eft fort au-deffns de celle que I on
peut acquérir par I’ajipiicarion 6c 1 exercice.
Le bon choix, des airs eft une partie auffi effen-
tielle à la danfe, que te choix des mots & le tour
des phrafes l’eft à l’éloquence. Ce font les mouvements
& les traits de la mufique .qui fixent Se déterminent
touts ceux du danfeur. Le chant des airs
eft-il uniforme & fans goût , le ballet fe modèlera
fur ce chant ; il fera froid Se languiffant.
Par le rapport intime qui fe trouve entre la mu-
fique 8c la danfe, il n’eft pas douteux qu’un maître
de ballets retirera des avantages certains de la con-
noiffancepratique de cet art; il pourra communiquer
fes idées au muficien ; 8c s’il joint le goût an
favoir, il compofera fes airs lui-même , ou il four-
nira au compofitèur les principaux traits qui doivent
caraâerifer fon aflion ;ces traits étant expref-
fifs & variés , la danfe ne pourra manquer de 1 être
à fon tour. La mufique bien faite doit peindre, doit
parler ; la danfe , en imitant fes Tons , fera i l écho
qui répétera tout ce quelle articulera. Eft-elfe
muette , au contraire , ne dit-elle rien au danfeur,
il ne peut lui répondre ; & dès - lors tout fenriment,
toute expreflion font bannis de Texécution,
Rien n’étant indifférent au génie , rien ne doit
B A L
l’être au maître de ballets. Il ne peut fe diftinguer
dans fon a r t, qu’autant qu’il s’appliquera à l’étude
de ceux dont je viens de parler ; exiger qu’il les
poflede tous dans un degré de fupériorité qui n’eft
réfervé qu’à ceux qui fe livrent particulièrement à
chacun d’eu x , ce feroit demander l’impoflible ;
mais s’il n’en a pas la pratique , il doit en avoir
l’efprit. , ,
Je ne veux que des connoiffances generales ,
qu’une teinture de chacune des fciences qui, par
le rapport qu’elles ont entre elles, peuvent^ concourir
à Fembelïifièment & à la gloire de la nôtre.
Touts les arts fe tiennent par la main, & font
l’image d’une famille nombreufe qui cherche à s’il- I
luftrer. L’utilité dont ils font à la fociété, exdite
leur émulation ; la gloire eft leur but; ils fe prêtent
mutuellement des lecours pour y atteindre. Chacun
d’eux prend des routes oppofées, comme chacun
d’eux a des principes différents ; mais on y trouve
cependant certains traits frappans, certain air de
reffemblance , qui annonce leur union intime & le
befoin qu’ils ont les uns des autres pour s’élever,
pour s’embellir & pour fe perpétuer.
De ce rapport des arts , de cette harmonie qui
règne entre eux, il faut conclure que le maître de
ballets , dont les connoiffances feront le plus étendues.,
& qui aura le plus de génie & d’imagination,
fera celui qui mettra le plus de feu , de vérité , d’ef-
prit &. d'intérêt dans fes compofirions.
Des fuj&ts du. ballet»
Si les arts s’entre-aident, s’ils offrent des fecours
à la danfe , la nature femble s’empreffer à lui en
préfenter à chaque inftant de nouveaux ; la cour
& le village 2 les éléments, les faifons, tout concourt
à lui fournir les moyens de fe varier & de
plaire.
Un maître de ballets doit donc tout voir, ^tout
examiner, puifque tout ce qui exifte dans l’uni'
vers peut lui feryir de modèle.
Que de tableaux diverfifiés ne trouvera-t-il pas
chez, les artifans ! chacun d’eux a des attitudes différentes
, relativement aux pofitions & aux mouve-1
menis que leurs travaux exigent. Cette allure, ce
maintien , cette façon de fe mouvoir , toujours ana* |
îogue à leur métier , & toujours comique , doit être
faifre par le compofitèur 5 elle eft d’autant plus facile
à imiter, qu’elle eft ineffaçable chez les gens
de métier , enflent-ils même fait fortune & abandonné
leurs profeffions, effets ordinaires de 1 habitude
, Iorfqn’etle eft conrra&ée par le temps, &
fortifiée par les peines & les travaux.
Que de tableaux bifarres & fmguliers ne trouvera
t-il pas encore dans la multitude de ces oints
agréables , de cês petits maîtres fubalte.rnes, Ç
font les finges & les caricatures des ridicules de
ceux à qui l’âge , le nom ou la fortune femblent
donner des privilèges de frivolité , d’inconféquence
& de fatuité ! I
Les embarras des m e s , les promenades » p
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nues, les guinguettes, les amufements & |
vaux de la campagne, une noce villageotfe , la
rhafle, la pêche ; les moiffons , les vendanges , la |
manière ruftique d’arrofer une fleur, de la prefen-
.er à fa bergere , de dénicher des otfeaux , de
jouer du chalumeau , tout lui offre des tableaux pit-
torefqués 8c variés , d’un genre & d’un colons dit-
Un camp , des évolutions militaires, les exercices
, les attaques 8t les défenfes des places, un port
de mer , une rade , un embarquement 8c un debarquement
; voilà des images qui doivent attirer nos
regards, & porter notre art à fa perfeétton , h 1 execution
en eft natOrêHe. I , „
Les chefs-d’oeuvre de Racine , de Corneille ,
de Voltaire , de Crébillon, ne peuvent-ils pas encore
fervir de modèle à la danfe dans le genre no-
ble ? Ceux de Moliere , de Regnard & de plu-
fleurs autpurs célèbres , ne nous piréfentent-ils pas
des tableaux d’un genre moins éleve ? Je vois le
peuple danfant fe récrier à cette proportion ; je
l'entends qui me traite d’infenfé : mettre des tragédies
8c des comédies en danfe , quelle folie ; y
Ü i de la poffibilité? oui fans doute ; refferrez
l’aâion de l’avare, retranchez de cette pièce tout
dialogue tranquille , rapprochez les incidents ,
réunirez touts les tableaux épars de ces drames , ce
vous réuflirèz. , . , .
Vous rendrez intelligiblement la fcene de la bague
celle où l’avare fouille la flèche , celle ou
f roffne l’entretient de fa maîtreffe ; vous peindrez
le défefpoir & la fureur d’Hafpagon , avec des
couleurs suffi vives que celles que Moliere a employées
, fi toutefois vous avez une ame. lo u t ce
qui peut fervir à la peinture doit fervir à la danfe ;
que l’on me prouve que les pièces des auteurs que'
je viens de nommer font dépourvues de carattere ,
dénuées d’intérêt, privées de Curations fortes , oc
que ! Boucher 8c Vànloo ne pourront jamais imaginer
, d’après ces .chefs ■ d’oeuvre , que des tableaux
froids'8c dèfagréables ; alors je conviendrai
que ce que j’ai avancé n’eft qu’un paradoxe ; mats
s’il peut réfulter de ces pièces une multitude
d’excellens tableaux , j’ai gain de caufe ; ce n eft .
plus ma faute files peintres pantomimes nous manquent
, 8c fi le génie ne fraie point avec nos danfeurs.
, ’ .,
Batyle , Pilade, Hylas , ne fuccederent ils pas
aux comédiens, lorfque ceux ci furent bannis de
Rome? Ne commencèrent-ils pas àreprefenteren
pantomime les fcènes des meilleures pièces de ce
temps ? Encouragés par leurs fupces , ils tentèrent
de jouer des aftes féparés , & la réiiffite de cette
entreprife les détermina enfin à donner des pièces
entières, qui furent reçues avec des applaudiffe-
ments univerfels. c '
Mais ces pièces , dira t on ,. ètoient generalement
connues ; elles fervoient, pour ainfi dire, de programme
aux fpeélateurs ,■ qui , les ayant gradées
dans la mémoire, fifiyoient 1 aéïeur fans peine, 8c
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le devinoient même avant qu’il s’exprimât. N aurons
nous pas les mêmes avantages , lorfque nous
mettrons en danfe les drames les plus efttmés de
notre théâtre ? Serions • nous moins bien organites
que les danfeurs de Rome ? 8c ce qui s’eft fait du
temps d’Augufte , ne peut-il fe faire aujourd hui i
Ce feroit avilir les hommes que de le penfer , 8c
déprifer le goût & l’efprit de notre fiecle , que de
le croire. _ , . ,
Revenons à mon fujet. Il faut qu un maître de
ballets connoiiïe les beautés 8c les impèrfeaions de
la nature. Cette étude le déterminera toujours a
en faire un beau choix; ces peintures dailleurs,
pouvant être tour-à-tour hiftoriques, poétiques ,
critiques , allégoriques 8c morales , il ne peur fe
difpenfer vde prendre des modèles dans touts les
rangs , dans touts les états , dans toutes les conditions.
A-t-il de la célébrité, il pourra , par la magie
8c les charmes dë fon art, ainfi que le peintre
8c le poëte , faire détefter 8c punir les vices , re-
compenfer 8c chérir les vertus.
Si le maître de ballets doit étudier la nature oc
en faire un beau choix ; fi le choix des fujets qu’il
’ veut traiter en danfe , contribue en partie à la
réuffite de fon ouvrage, ce n’eft qu’autant qu’il
aura l’art 8c le génie de les embellir , de les difpo-
fer & de les diftribuer d’une manière noble & pit-
torefque.
Veut-il peindre , par exemple , la jaloulie OC
touts les mouvements de fureur 8c de défefpoir
qui la fuivent , qu’il prenne pour modèle un
homme dont lq férocité 8c la brutalité naturelle foit
corrigée par l’éducation; un porte-faix feroit dans
fon genre un modèle auffi vrai, mais il ne feroit
pas fi beau ; le bâton dans fes mains fuppléeroit au
défaut d’expreflion ; 8c cette imitation , quoique
prife dans la nature , révolteroit l’humanité , 8c ne
tracerait que le tableau choquant de fes imperfections.
D’ailleurs, l’aflion d’un crocheteur jaloux
fera moins pittorefque que celle d’un homme dont
les fentimens feront élevés. Le premier fe Vengera
dans l’inftant, en faifant feniir le poids de fon
bras * le fécond , au contraire, luttera contre les
\ idées d’une vengeance auffi baffe que déshonorante;
ce combat intérieur de la fureur 8c de l’élévation de
l’ame , prêtera de la force & de l’énergie à fa démarche
, à fes geftes, à fes attitudes, à fa pliyfio-
nomie, à fes regards : tout caraélérifera fa paffion ;
tout décèlera lafituation de.fon coeur ;.les efforts
qu’il fera fur lui-même pour modérer les mouvements
dont il fera tourmenté , ne ferviront qu’à
les faire éclater avec plus de véhémence 8c de vivacité
; plus fa paffion fera contrainte, plus la chaleur
fera concentrée, 8c plus l’effet fera attachant.
L’homme groffier 8c ruftique ne peut fournir au
peintre qu’un fe.ul inftartt; celui qui fuit fa vengeance
, eft toujours celui d’une joie baffe 8c triviale.
L’homme bien né lui en préfente au contraire
une multitude ; il exprime fa paffion 8c fon trouble
de cent manières différentes, & l’exprime tou