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nui lui paroit froid & monotone , (on ballet ne fera
aucune fenfation. Si le fpeflacle de M. Scryandom
ne rèuffifl'oit pas, ce n'étoit pas faute de geftes ; les
lîras de fes a fleurs n’étoient jamais dans 1 inaction ;
cependant fes répréfentations pantomimes etoient
de glace ; à peine une heure & demie de mouvements
& de geftes fourniffoit-elle un feul inftant
au peintre. " ' ’ „ . . .
Diane & ASéon , Diane & Endimion , Apollon
& Daphné , Titon & l’Aurore , Acis & Gala-
thée, ne peuvent fournir à l'intrigue d’un ballet
en aflion, fans le fecours d’un génie vraiment poétique.
Télémaque , dans l’ifle de Calypfo, offre un
plan plus vafte, & fera le fujet d’un très-beau ballet,
fi toutefois le compofiteur a l’art d’élaguer du
poëme tout ce qui ne peut fervir au peintre ; s il
a l’adreffe de faire paroître Mentor à propos , & le
talent de l’éloigner de la feènç, dès linftant qu il
ponrroit la refroidir.
Si les licences que l’on prend journellement dans
les compofitions théâtrales ne peuvent s’étendre
au point de faire danfer Mentor dans le ballet de
Télémaque , c’eft une raifon plus que fuffifante
pour que le compofiteur ne fe ferve de ce perfon-
nage qu’avec beaucoup de ménagement. Ne dan-
iant point, il devient étranger au ballet, fou exprefi
fion d’ailleurs étant dépourvue des grâces que la
danfe prête aux geftes & aux attitudes, paroit
moins animée , moins chaude , & confequemment
moins intéreflante. 11 eft permis aux grands talents
d’innover, de fortir des règles ordinaires, & de
frayer des routes nouvelles, lorfqu elles peuvent
conduire à la perfeélion de leur art.
Mentor, dans un fpeftacle de danfe, peut &
doit agir en danfant; cela ne choquera ni la vérité
ni la vraifemblance, pourvu que le compofiteur
ait l’art de lui conferver un genre de danfe &
d’expreflion analogue à ®i caractère , a fôn âge ôf
à fon emploi. Je crois que je rifqueroisl’aventure , :
& que de deux maux j’éviterois le plus grand ; c’eft |
l’ennui, perfon nage qui ne devroit jamais trouver
place fur la fcène.- .
C ’eft un défaut capital que celui de vouloir
afldcier des genres contraires , & de mêler ,fans
diftinâion, le férieux avec le comique , le noble
avec le trivial, le galant avec le burlefque. Ces
fautes groffières, mais communes chez beaucoup de
maîtres , décèlent la médiocrité de l’efprit ; elles
affichent le mauvais goût & l’ignorance du composteur.
Le caraâêre & le genre d’un ballet ne doivent
point être défigurés par des épifodes d’un
genre & d’un caraélère oppofés. Les métamorphosés
, les transformations 8c les changements qui
s’emploient communément dans les pantomimes,
angloifes des danfeurs de corde , ne peuvent être
employés dans des fujets nobles ; c eft encore un
autre défaut que de doubler & de tripler les objets :
ces répétitions de fcène refroidiffent l’aélion 8c ap-
pauvriffent le fujet.
y n e des parties eflpntielles au ballep e f t , lans
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contredit, la variété ; les indices & les tableaux
qui en réfultent, doivent fe luccéder avec rapidité ;
fi l’aélion ne marche avec promptitude , fi les fcènes
languiffent, fi le feu ne fe communique également j
par-tout ; que dis-je ? s’il n’acquiert de nouveaux
degrés de chaleur à mefure que 1 intrigue le dénoue
, le plan eft mal conçu , mal combiné i il
pèche contre les règles du théâtre, 8c 1 exécution
ne produit alors d’autre fenfation fur le fpeélateur,
que celle de l’ennui qu’elle traîne après elle.
J’ai vu quatre fcènes femblables dans le meme
fujet ; j’ai vuv des meubles faire 1 expofition , le
noeud & le dénouement d’un grand ballet. 3 zà vu
enfin affocier des incidents burlefques à 1 aélion la
plus noble Ôc la plus voluptueufe ; la fcène fe paf-
foit cependant dans un lieu refpeéle de toute 1 Âfie,
De pareils contre-féns ne choquent-ils pas le bon
goût ? En mon particulier , j’en aurois été faible*
ment étonné, fi je n’avois connu le mérite du coni*
pofiteur ; cela m’a prefqiie perfuadé qu il y a plus
d’indulgence dans la capitale que par-tout ailleurs,
Tout ballet compliqué 8c diffus qui ne me tracera
pas, avec netteté & fans embarras , l’aélion qu’il
repréfente, dont je ne pourrai deviner l’intrigiiq
qu’un programme à la main tout ballet dont je
ne fentirai pas le plan, & qui ne m’offrira pas une
expofition , un noeud 8c un dénouement, ne fera
plus, fuivant mes idées, qu’un fimple divertiffe-
raent de danfe , plus ôu moins bien exécute » 8c qui
ne in’affeélera que médiocrement, puifqn’ft ne portera
aucun caraélère, 8c qu’il fera dénué d aélion &
d’intérêt.
Mais la danfe de nos jours eft belle ; elle e tt,
dira-t-on , en droit de féduire & de plaire, dégagée
même du fentiment & de l’efprit dont vous
voulez quelle fe décore. Je conviendrai que l’exécution
méchanique de çet art eft portçe à^un degré
! de perfeàion qui ne laiffe rien à defirer ; j’ajouterai
même qu’elle a louvent des graçes, de la nobleffe ;
mais ce n’eft qu’une partie des qualités qu’elle doit
avoir.
Les pas, l’aifance & le brillant de leur enchaînement
, l’aplomb, la fermeté, la vîteffe, la légèreté, la
précifion, les oppofitions des bras avec les jambes;
voilà ce que j’appelle le méchanifme de la danfe.
. Lorfque toutes ces parties* ne font pas mifes en eeuvre
par l’efprit, lorfque le génie ne dirige pas tours ces
mouvements, & que le fentiment & l’expreffionne
leur prêtent pas des forces capables de m émouvoir
& de m’intéreftèr, j’applaudis alors à 1 adreffe, j admire
l’homme-machine, je rends juftice à fa force,
à fon agilité; mais il ne me fait éprouver aucune agitation
; il ne m’attendrit pas, & ne me caufe pas plus
de fenfation que l’arrangement des mots fuivants :
fait.. . pas.. . le . , . la ., , honte., . non .. . crime.. .
’ l’échafaud &. Cependant ces mots arrangés par
le poète, compofentce beau vers du comte d Effex:
Le crime fait la honte, & non pas V échafaud.
Il faut conclure de cette comparaifon, que la
danfe renferme en elle tout ce qui eft néeeffaire au
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beau langage, & qu’il ne fuffit pas d en connoitre
l’alphabet. Qu’un homme de génie arrange les lettres
forme & lie les mots ; elle ceffera d’être muette
elle parlera avec autant de force que d énergie ;
& ’les ballets alors partageront avec les meilleures
pièces du théâtre, la gloire de toucher, d attendrir
: de faire couler des larmes, d’amufer , de fe-
duire, & de plaire dans les genres moins férieux«
La danfe embellie par ,1e fentiment & conduite
par le talent, recevra ertfin avec les. éloges , les
applaudifferaents que toute l’Europe accorde à la
poéfie & à la peinture, les récompenfes glorieu-
fes dont on les honore.
Du genre, propre au ballet.
Si les grandes paffions conviennent a la tragédie,
elles ne font pas moins néceffaires au genre pantomime.
Notre arteftaflujetti, en quelque façon , aux
règles de la perfpeéïive ; les petits détails fe perdent
dans l’éloignement. Il faut, dans les tableaux de la
danfe, des traits marqués , de grandes parties , des
caraélères vigoureux , des maffeshardies, des opposions
& des contraftes auffi frappants , qu’artifte-
nient ménagés. ’ •;
Il eft bien fingulier, que l’on ait comme ignore
jufqu’à préfent, que le genre le plus propre aux ex-
preffions de la danfe , eft le genre tragique ; il fournit
de grands tableaux , des fituations nobles & des
coups de théâtre heureux : d’ailleurs les paffions
étant plus fortes & plus décidées dans les héros que
dans les hommes ordinaires, l’imitation en devient
plus facile, & l’aélion de la pantomime plus
chaude, plus vraie & plus intelligible.
Un habile maître doit preffentir d’un coup-d’oeil
l’effet général de toute la machine & ne jamais facri-
fier le tout à la partie.
Sans oublier les principaux perfon nages de la re-
préfentation , il doit penfer au plus grand nombre ;
fixe-t-il toute fon attention fur les premiers danfeurs
& les premières danfeufes; l’aélion devient froide,
la rtiarche des fcènes fe rallentit, & l’exécution eft
fans effet.
Les principaux perfonnages de la tragédie de Me-
rope , font Mérope , Polifonte , Egifte , Narbas ;
mais quoique les autres aâeurs ne foient point chargés
de rôles auffi iinportans , ils ne .concourent pas
moins à l’aélion générale & à la marche du drame,
I l qui feroit coupée & fufpendue, fi l’un de ces perfonnages
manquoit à la repréfentation de cette pièce.
Il ne faut point d’inutilité au théâtre ; confequem-
ment on doit bannir delà fcène ce qui peut y jetter
du froid, & n’y i-mroduire que le nombre exaét de
perfonnagés néceffaires à l’exécution du drame.
Un ballet en aélion doit être une pièce,de ce genre
; il doit être divifé par fcènes & par aéles ; chaque
fcène en particulier doit avoir, ainfi que l’aéle, un
commencement, un milieu &. une fin ; c’eft-à-dire,
fon expofition , fon noeud Si fon dénouement.
J’ai dit que les principaux perfonnages d’un ballet
ne dévoient pas faire oublier, les ftibalternes; j©
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penle même qu’il eft moins difficile de faire jouer des
rôles tranfeendants à Hercule & Omphale, à Ariane
& Bacchus, à Ajax & Ulyffe, &c. qu’à vingt-quatre
i perfonnes qui feront de leur fuite. S’ils ne difent
; rien fur la fcène , ils y 'font de trop & doivent en
. être bannis ; s’ils y parient, il faut que leur conver-
fation foit toujours analogue à celle des premiers
| aéteurs. ?]. • t .• ■
L’embarras n’eft donc pas de donner un caraélère
dominant & diftinélif à Ajax & Ulyffe , puifqu’ils
l’ont naturellement & qu’ils font les héros de la fcène*
La difficulté çonfifte à y introduire les figurants
avec décence ;là leur donner des rôles plus ou moins
; forts ; ? les affocier aux aétions de nos deux héros ;
à placer adroitement des femmes dans ce ballet ; à
faire partagera quelqu’une.d’elles lafituarion d’Ajax;
à faire pencher enfin le plus grand nombre en faveur
d’Üiyiîe. Le triomphe de celui-ci 6. la mort de
fon rival, préfententà L’artifte une foule de tableaux
plus piquants, plus pittôrefques les uns que les autres
, & dont les contraftes 8c le coloris doivent produire
les plus vives fenfations. Il eft aifé de concs-
• voir, d’après mes idées, que le^//^-pantomimedoit
toujours être en aélion , & que les figurants ne doivent
prendre la place de l’aéleur qui quitte la fcène ,
que pour la remplir à leur tour, non pas fimplement
par des figures fymmétriques & des pas compaffés ,
mais par une expreffion vive & animée, qui tiqpne
le fpeélateur toujours attentif au fujet que. les aéteurs
précédents lui ont expofé.
Mais par un malheureux effet de l’habitude ou de
l’ignorance, il eft peu de ballets raifonnés ; on danfe
pour danfer ; on s’imagine que le tout çonfifte dans
l’aétion des jambes , dans les fauts élevés, & qu on
a rempli l’idée que les-gens dé goût fe forment d’un .
ballet y lorfqu’on le charge d’exécutants qui n’exé-
1 cutent rien ; qui fe mêlent, qui fe heurtent, qui n’offrent
que des tableaux froids 8c confus, deffinés
fans goût, grouppés fans grâce, privés de toute Harmonie
8c de cette expreffion , fille du fentiment,
qui feule peut embellir l’ar t, en lui donnant la vie*
11 faut convenir néanmoins , que l’on rencontre
quelquefois dans ces fortes de compofitions , des
beautés de détail & quelques étincelles de génie,
'niais il en eft très peu qui forment un tout 8c urï
enfemble. Le tableau péchera ou par la compofi-
tion, pu par le coloris ; ou s’il eft deffiné correéte-
ment, il n’en fera peut-être pas moins fans goût ,
fans grâce 8c fans imagination. ^
Ne concluez pas, de ce que j’ai dit plus haut fur
•les figurants 8c fur les figurantes, qu’ils doivent
jouer des rôles auffi marqués que les premiers fu-
jets ; mais comme l’adion d’un ballet eft tiède, fi
elle n’eft générale, je foutiens qu’il faut qu’ils y participent
avec autant d’art que de ménagement ; car
il eft important que les fujets chargés des principaux
rôles , confervent de la force 8c de la fupério-
ritéfur les objets qui les environnent. L’art du compofiteur
eft donc de rapprocher 8c de réunir toutes
! ffis idées en un feul point > afin que les opérations