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tendu la première. Cependant fi l’on ne troùv.oit
pas toutes mes explications également 'claires , il
ne faudroit point fe rebuter pour cela. Il fuffira
d’ en avoir compris quelques unes pour être en état
de fuppléer foi-même les autres, avec un peu d’attention
, puifqu’elles portent toutes fur tin petit
nombre de principes funples & faciles à retenir ;
fçavoir , que nos corps font plus légers que l’eau ;
que nos corps ne font pas par-tout également lé.:
gers ; qu’il faut donner aux parties les plus légères
un poids capable de lesteniren équilibre avec les
plus pefantes ; que les différentes parties de notre
corps ne peuvent acquérir cette variété de poids
que par la diverfité de leur pofition , ou par la rê-
fiftance de l’ eau.
En s’exerçant à la lifière une heure par jour.? il
faudra retrancher à chaque fois une portion égale
des deux cônes , pour les diminuer de volume en
raifon des forces qu’on aura acquifes. L’homme le
plus ftupide fur l’eau, c’eft à-dire, le plus craint
if, nagera fans aucun fecours avant la quinzaine.
Ceux qui auront d'abord préféré de plonger j
pourront également s’exercer à la lifière , lorfqifils
voudront commencer à nager. Mais j’ai vu des
perfonnes qui n’avoient pas befoin de cette refr
fource, & qui, après avoir plongé quatre ou cinq j
tours au plus, eflayoîentleurs forces, en fortant j
la tête de l’eau , & ne les effayoient pas en vain.
I l eft vrai que j’attribuois une partie de leurs fuc-
çès à la confiance qu’elles avoieht en moi.
Lorfque vous ne ferez plus à la lifière, vous vous
accoutumerez à donner à vos membres divers mou- '
vements pour vous faire avancer. On nage en
chien, on nage en grenouille, on coupe Veau , on !
nage en griffon | on nage à coups de poings , on nage
À coups de pieds , &c. Je vous ai fait nager en grenouille.
Mes leçons vous feroient inutiles pour
nager autrement ; il vous fuffira de regarder un
nageur une fois ; mais foüvenez vous que celui
qui ne nage que d’une manière eft bientôt fatigué,
& que celui qui plonge nè l’eft jamais. ,
Jufqu’ici j’ai fuppofé que vous nagiez dans une
gau-morte ; mais lorfque vos forces vous le permettront,
ne négligez pas de vous exercer dans
les eaux courantes. C ’eft-là feulement qu’on peut
déployer toutes les reffources dont on aura befoin
dans les grands dangers. Le philofophe qui vouloit
apprendre à fon difciple à traverfer l'Hellefpont
dans les canaux de fon jardin , n’étoit pas nageur.
' Je ferpis graver des milliers de planches en taille-
douce , qu’elles n’enfeigneroient point comment
©n peut garder fur l’eau certaines poftures. Les
moyens qu’on y emploie dépendent du poids du
corps , de fa conformation , du poids de l’eau , de
fa profondeur, de fa rapidité , de fon agitation ;
enforte que le plus habile.nageur emploie d’autres'
moyens fur la Seine , fur le Rhin, fur le Rhône &.
dans l'Océan. Mais il ne faut pas croire que la découverte
de ces différents moyens exige de pro-'
fondes réflexions j le nageur le plus borné en fait ,
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autant là-deflus que le nageur qui profeffe la ptiyfiJ
que ; femblabléà ces brutes qui fe perchent fur le
bord d’un précipice , après s’être affûtés que le roc
qui eft fous leurs pieds eft affez fort pour les fou-
tenir.
Il eft cependant deux ou trois préceptes généraux
qui épargneront à mon lefteur diverfes tentatives ;
les voici.
Pour nager debout, fans le fecours des bras, «
faut écarter les jambes le plus qu’on pourra, & marcher
dans cette fituation. S i , malgré cet écart, on
enfonçoit, il faudroit plier les jambes & marcher à
genoux. .
Si l’on veut nager debout dans une rivière, il
faut fe prefénter incliné contre le courant, afin de
n’être pas culbuté par l’eau , dont la rapidité augmente
à mefure qu’elle eft éloignée du fond.
Si en nageant dans une eau morte * on fe trouve
arrêté par des herbes, il ne faut point batailler pour
s’en débarraffer de force , mais s’arrêter tout de
fuite, dégager d’abord les bras fans les fortir
l’eau ; charger fes poumons de beaucoup d air , li
l’on a de la peine à fe foutenir ; & pour reprendre
fa refpiration, pofer les mains horïfontalement ,
ainfi que les bras. On répétera la chofe auffi fou-
vent qu’on en aura befoin.
Les bras étant dégagés, on ôte les herbes qui
peuvent s’être entortillées autour du cou ; enfuite
on fe met debout , & d’une feule main, tandis
que l’autre eft à la furface de Peau , on tire délicatement
& brin à brin toutes les herbes qui font autour
des jambes & des cuiffes. ( |
Votre corps étant bien nettoyé, le plus fu r ,
pour vous tirer de ce mauvais pas , eft de vous
étendre furie ventre, les cuiffes & les jambes jointes
& immobiles. Vous vous coulerez à travers les
herbes en nageant des bras feulement. Si 1 efpace
vous manque pour les dépiquer autour de vous, il
faudra les mouvoir en chien, & vous etes hors de
danger. r . j
Je viens de parlér, pour la première fois, du
parti qu’un nageur peur tirer de l’air en 1 accumulant
dans fes poumons. Ce moyen dalléger le
corps, toutes les fois que les autres ne fuffifent
pas , eft fi naturel, que la plupart des écoliers fe
gonflent dans l ’eau dès la première leçon, fans
qu’ils en apperçoiveht eux mêmes. >
Il me refte à donner quelques avis aux plon-
geurs. ., f -
Puifque touts les hommes neffont pas egalement
lourds relativement à leur volume , tous nont pas
la même facilité de pénétrer dans le fein des eaux.
Bien plus, il en eft qui éprouvent une impoffibilité
abfc-lue de plonger. J’ai vu a Naples un ecclefiafti-,
que fi chargé de graiffe, qu’il fe promenoit dansla
mer fans fè mouiller plus haut que la ceinture
- quelques efforts qu’il fit pour enfoncer. Je fuis per-
fnadé que fi une maladie le maigriffdit an point de
j lai enlever cette faculté , il n oferoit plus fe confier,
à l’eau fass avoir appris à nager j il feroit dans le
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tas d’un homme qüî, ayant toujours fait ufage d’un
corfet de liège , fe trouveroit tout-à coup privé de
cet infiniment.
L’expérience apprend bientôt a un plongeur les
moyens qui lui font le plus propres ; cependant on
peut établir quelques règles générales.
Pour difparoître tout'-à-coup , qu’on fe mette debout,
les jambes jointes, les pieds tendus, les bras
élevés ou abaiffés, & appliqués le long du corps.
Pour remonter, on fe mettra fur le ventre ou fur
Je dos ; ou feulement on' écartera les jambes 8c les
bras en fe tenant debout.
On peut auffi entrer la tête la première en abaiffant
les bras & en élevant les jambes de forte que les
pieds foient la dernière partie du corps qui difpa-
roiffe. Cettç manière cle plonger caufe plus d eton-
nement que les autres à ceux des fpeâateurs-qui ne
font pas initiés.
Si l’on veut fe jetterdans l’eau d’un lieu éleve ,
ïl faut fe tenir bien droit, les bras colles le long
du corps, les jambes croifées dans leur longueur,
les pieds tendus , 8c préfenter les orteils, les premiers.
Mais je confeille d’abandonner aux gens clu
métier cet exercice dangereux.
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Quoique l’air dont on remplit fes poumons rende
moins lourd, 8c paroiffe aller contre le but qu’on
fe propofe en plongeant, je fuis d’avis qu’on s’«n
muniffe d’une bonne dofe , s’il fe peut. C ’eft le
moyen de conferver plus longtemps fes forces ,
lorfqu’on a du chemin à faire dans l’eau. D ’ailleurs
on y prolonge fon féjour de plufieurs fécondés, en
lâchant par intervalles des bouffées, qu’on aura foin
de ménager le plus qu’il fera poffible.
Les éponges qu’on tient à la bouche après les
avoir huilées, offrent aux poumons un léger fecours
, en leur procurant le peu d’air que l’eau n’en
aura pu chaffer.
Je ne connois aucun plongeur q u i, fans employer
les feconrs de l’art, foit en état de demeurer
trois minutes fous l’eau. Les plongeurs de pro-
feffion fe bornent communément à deux ; 8c plufieurs
ne vont pas jufques-là. J’ai vu des gens me
foutenir que j’étois rené plus de cinq minutes; mais'
ils n’avoieHt pas regardé leur montre.
Quant aux perfonnes affez heureufes pour pouvoir
vivre fous l’eau des heures entières , elles font
une exception à la règle, 8c l’avantage dont elleq
i jouiffent ne s’acquiert point par le travail.
Fin du Volumet