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l’objet de leur application ; mais on donne mal-
iieureufement tout au dernier, 8c l’on refufe tout
à l’autre. La tête conduit rarement les jambes ; 8c
comme l’efprit & le goût ne réfident pas dans les
pieds , on s’égare fouvent ; l’homme intelligent dif*
paroît; il n’en refte qu’une machine mal combinée
livrée à la ftérile admiration des fots & au jufte mépris
des connoiffeurs.
Etudions donc ; ceffons de reffembler à ces marionnettes
, dont les mouvements dirigés par des
fils groffiers n’amufent 8c ne font illufion qu’au
peuple. Si notre a me détermine le jeu & i’a&ion de
nos refforts, dès-lors les pieds , les jambes, le
corps, la phyfionomie & les yeux feront mus dans
«les fens juftes , 8c les effets réfultants de cette harmonie
& de cette intelligence, iqtérefferont également
le coeur & l’efprit.
Des qualités phyjîques du danfeur.
Il eft rare , pour ne pas dire impoffible , de trouver
des hommes exaélement bien faits ; & par cette
raifon , il eft très-commun de rencontrer une foule
de danfeurs conftruits dèfagréablement, 8c [dans
• ïefquels on n’apperçoit que trop fouvent des défauts
de conformation que toutes les reffources de
l’art ont peine à déguifer. Seroit-ce par une fatalité
attachée à la nature humaine , que nous nous éloi-
• gnons toujours de ce qui convient, & que nous
nous propofons fi communément de courir une
carrière dans laquelle nous ne pouvons ni marcher
ni nous foiuenir ? C e f f cet aveuglement, c’eft cette
' ignorance dans laquelle nous fommes de nous-
mêmes, qui produit la foule immenfe de mauvais
poètes , de peintres médiocres , de plats comédiens
, de mnficiens bruyans , de danfeurs ou de
baladins déteftables, que fais-je , d’hommes infup-
p.ortables dans touts les genres. Ces mêmes hommes
placés où ils devroient être, auroient été. utiles;
mais hors du lieu & du rang qui leur étoient
aiîignés , leur véritable talent eft enfoui, & celui
d’être à l’envi plus ndicules'les uns que les autres
lui eft fubftitué. t s
La première confidération à faire lorfqifon fe
deftine à la danfe dans un âge du moins où l’on eft
capable de réfléchir, eft celle de fa conflruétion.
Ou les vices naturels qu’on obferve en foi font tels
que rien ne peut y remédier ; en ce cas il faut perdre
fur-le-champ & totalement de vNue l’idée que
l’on s’-étoit formée de l’avantage de concourir aux
plaifirs des autres ; ou ces vices peuvent être réformés
par une application , par une étude confiante ,
& par les confeils 8c les avis d’un maître inftruit 8c
éclairé ; & dès-lors il importe effentiellement de ne
liépliger aucun des efforts qui peuvent remédier a
des imperfeçlions dont on triomphera, fi on prévient
le temps où les parties ont acquis leur dernier
degré de force 8c de confiftance, où la na~ture a pris
fon pli, & où le défaut à vaincre s’eft fortifié par
•' une habitude trop longue 8c trop invétérée pour
v pouvoir êtrf détfui?.
c o u
Malheureufement il eft peu de danfeurs capables
de ce retour fur eux-mêmes. Les uns, aveuglés par
l’amour propre , imaginent être fans défauts ; les
autres ferment, pour ainfi dire, les yeux fur ceux
que l’examen le plus'léger leur feroit découvrir ;
o r , dès qu’ils ignorent ce que tout homme qui a
quelques lumières eft en droit de leur reprocher,
iL n’eft pas étonnant qu’ils manquent leur,but. L’arrangement
difproportionné des parties s’oppofe.
fans ceffe en eux au jeu des refforts, 8c à l’harmonie
qui devroit former un enfemble ; plus de liaifon
dans les pas; plus de moelleux dans les'mouvements
; plus d’élégance dans les attitudes 8c dans les
oppofitions; plus de proportion dans les déploie-
mens , & par conféquent plus de fermeté ni d’aplomb.
Voilà où fe réduit l’exécution des danfeurs
qui s’aveuglent fur leur conformation , 8c qui craignent
de s’envifager eux-mêmes dans le moment!
de leurs études 8c de leurs exercices. Nous pouvons
fans les offenfer, & en leur rendant la juftice qui
leur eft due , les nommer mauvais danfeurs.
Vraifemblabiement fi les bons maîtres étoient
plus communs, les élèves ne feroient pas fi rares ;
mais les maîtres qui font en état d’enfeigner ne donnent
point de levons, & ceux qui en devroient
prendre ont toujours la fureur d’en donner aux autres.
Que dirons-nous de leur négligence & de l’uniformité
avec laquelle ils enfeignent ? La vérité
n’eft qu’une , s’écriera t-on. J’en conviens ; mais
n’eft-il qu’une manière de la démontrer & de la
faire-paffer aux écoliers auxquels on s’attache, &
ne doit - on pas néceffairement les conduire au
même but par des chemins différens ? J’avoue que
pour y parvenir il faut une fagacité réelle ; car fans
réflexion Sc fans étude, il n’eft pas poftible d’applù
quer les principes félon les genres divers de conformation
& les degrés différens d’aptitude ; on ne
peut faifir d’un coup-d’oeil ce qui convient à l’un ,
ce qui ne fauroit convenir à l’autre, & l’on ne varie
point enfin fes leçons à proportion des diverfités
que la nature ou que l’habitude, fouvent plus re-;
belle quç la nature même, nous offre 8c nous pré-;
fente.
C ’eft donc effentiellement au maître que le foin
de placer chaque élève dans le genre qui lui eft propre
eft réfervè. Il ne s’agit pas à cet effet de poffé-,
der feulement les eonnoiffances les plus exades de
l’art. Il faut encore fe défendre foigneufement de
ce vain orgueil qui perfuade à chacun quefaùna-
nière d’exécuter eft l’unique 8c la feule qui puiffe
plaire ; car un maître qui fe propofe toujours comme
un modèle de perfeéli-on , 8c qui ne s’attache à
faire de fes écoliers qu’une copie dont il eft le bon
ou le mauvais original, ne réuflira à en former de
payables que lorlqu’ il en rencontrera qui feront
doués des mêmes difpofuions que lui, 8c qui auront (
la même taille, la même conformation 8c la même
I intelligence , enfin la même aptitude..
Parmi les défauts de canftruétion , j’ en remarque
conim-unétnent deux principaux : l’un eft d’être
j arreté j
c o u
arreté, 8c l’ autre d’être arqué. Ces deux vices de
conformation font prefque généraux , 8c ne different
que du plus au moins ; auffi voyons-nous trespeu
de danfeurs qui en foient exempts.
Nous difons qu’un homme eft jarreté , brique-
fes hanches font étroites 8c en-dedans , fes cuiffes
rapprochées l’une de l’autre , fes genoux gros 8c fi
ferrés qu’ils fe touchent 8c fe coïtent etroitement,
quoique fes pieds foient diftans l’un de- 1 autre, ce ,
qui forme à-peu-près la figure d’un triangle depuis |
les genoux jufqu’aux pieds; j’obferve encore un
volume énorme dans la partie intérieure de^ fes
chevilles, une forte élévation dans le cou-de-pied,
& le tendon <£ Achille eft non feulement en lui grêle
& mince , mais il eft fort éloigné de l’articulation, t
Le danfeur arqué eft celui en qui on remarque le
•défaut contraire. C e défaut règne également depuis
la hanche jufqu’aux pieds ; car ces parties décrivent
une ligne qui donne en quelque forte la figure
d’un arc ; en effet, les hanches font évafées , 8c les
cuiffes 8c les genoux font ouverts , de manière que
le jour qui doit fe rencontrer naturellement entre
quelques unes de ces portions des extrémités infé-
rieures lorfqu’elles font jointes , perce dans Ja totalité
8c paroît beaucoup plus confidérable qu il ne^
devroit l’être.;, Les perfonnes ainfi conftruites ont
d’ailleurs le pied long 8c plat, la cheville extérieure
Taillante , 8c le tendon £ Achille gros 8c rapproché
de l’articulation. Ces deux defauts, diamétralement
©ppofés Tun à l’autre , prouvent avec plus de force
que touts les difeours , que les leçons qui convien
lient au premier feroient nuifibles au fécond, 8c
que l’étude de deux danfeurs aufli differens par la
taille 8c par la forme, ne peut être la même. Celui
qui eft'jarreté doit s’appliquer continuellement à
éloigner les parties trop reffeifées ; b premier
moyen pour y réuffir eft de tourner les cuiffes en
dehors, 8c de les mouvoir dans ce fens , en profitant
de la liberté du mouvement de rotation du fé mur
dans la cavité cotyLùide des os des hanches.
Aidés par cet exercice,les genoux fuivront la même
direétion 8c rentreront, pour ainfi dire , dans leur
place. La rotule , qui femble deftinée à limiter le
■ rejet du genou trop en arrière de l'articulation ,
tombera perpendiculairement fur la pointe du pied;
& la cuiffe 8c la jambe ne fortant plus de la ligne,
en décriront alors une droite qui affurera la fermeté
8c la Habilité du tronc.
Le fécond remède à employer eft de conferver
ane flexion continuelle dans l’articulation des genoux
, 8c de paroître extrêmement tendu fans l’être
en effet ; c’eft-là l’ouvrage du temps 8c tle l’habitude
; lorfqu’elle eft fortement CQntraélée , il eft
comme impoffible de reprendre fa pofition naturelle
8c vicieufe fans des efforts qui caufent dans
ces parties un engourdiffement 8c une douleur in-
fupportable. J’ai connu des danfeurs qui ont trouvé
l’art de dérober ce défaut à tel point qu’on ne s’en
feroit jamais apperçu , fi l’entrechat droit 8c. les
temps trop forts ne les avoient décelés. En voici la
Equitation , Efcrime & Danfe.
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raifon * la cantraéfion des mufcles dans les efforts
du faut roidit les articulations, 8c force chaque partie
à rentrer dans fa place 8c à revenir à fa forme
naturelle ; les genoux ainfi forcés fe portent don'c
en-dedans , ils reprennent leur volume ; ce volume
met un obftacle aux battements de l’entrechat ; plus
ces parties fe joignent, plus celles qui leur font
inférieures s’éloignent ; les jambes ne pouvant ni
battre ni croifer, reftent comme immobiles au moment
de l’aâion des genoux qui roulent défagréa-
blementrun fur l’autre, 8c l’entrechat n’étant ni
coupé, ni battu, ni croifé par le bas , ne fauroit
avoir la vîteffe 8c le brillant qui en font le mérité.
Rien n’eft fi difficile à mon fens que de mafquer les
défauts , fi>r-tout dans les inftants d’une exécution
forte, où toute la machine eft ébranlée , où elle
reçoit des fecouffes violentes 8c réitérées, 8c où
elle fe livre à des mouvements contraires 8c à des
efforts continuels 8c variés. Si l’art peut alors l’emporter
fur la nature, de quels éloges le danfeur ne
fe rend-il pas dignes ?
Celui qui fêta ainfi conftruit renoncera aux entrechats
, aux cabrioles 8c à tous temps durs &
compliqués , avec d’autant plus de raifon qu'il fera
infailliblement foible ; car fes hanches étant étroites
, ou pour parler le langage des anatomiftes, les
os du baffin étant en lui moins évafés , ils fournif-
fent moins de jeu aux mufcles qui s’y attachent,
8c dont dépendent en partie les mouvements du
tronc ; mouvements 8c inflexions beaucoup plus
aifés , lorfque ces mêmes os ont beaucoup plus de
largeur, parce qu’alors les mufcles aboutiffent ou
partent d’un point plus éloigné du centré de gravité.
Quoi qu’il en fo it, la danfe noble 8c tene-à-
terre eft la feule qui convienne à de pareils dan-
feurs. Au refte, ce que les danfeurs jarretés perdent
du côté de la force, ils femblent le regagner du
côté de l’adreffe. J’ai remarqué qu’ils étoient moelleux
, brillans dans les chofes les plus Amples * aifés
dans les difficultés qui ne demandent point d’efforts
propres dans leur exécution, & que leur per-
cufion eft toujours opérée avec grâce , parce qu’ils
fe fervent 8c qu’ils profitent 8c des pointes & des
refforts qui font mouvoir le cou-de-pied ; ces qualités
les dédommagent de la force qui leur manque.
Ceux qui font arqués ne doivent s’attacher qu’à
rapprocher les parties trop diftantes , pour diminuer
le vuide qui fe rencontre principalement entre
les genoux ; ils n’ont pas moins befoin que les
autres de l’exercice qui meut les cuiffes en dehors ,
& il leur eft même moins facile de déguifer leurs
défauts. Communément ils font forts 8c vigoureux;
ils ont par conféquent moins de foupleffe dans les
mufcles , 8c leurs articulations jouent avec moins
d’aifanee. On comprend au furplus que fi ce vice
de conformation provenoit de la difformité des os ,
tout-travail feroit inutile 8c les efforts de l’art im-
puiffans. J’ai dit que les danfeurs jarretés doivent
conferver une petite flexion dans l'exécution ;
ceux-ci, par la raifon contraire, doivent être exao^
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