
vous dit des mots que vous n’entendez pas, 8c
qu’il ne comprend certainement pas lui-même ;
n’importe, il ajufte un mors ; il vous répond de
fon effet, & vous vous retirez content ; le cheval,
intimidé & étonné de la nouvelle machine qu’on
lui a mis dans la bouche, paroît en effet plus o'béif-
fant, mais cette viâoire n’eft pas longue ; comme
le cavalier n’a rien acquis , les fautes du cheval
reviennent bientôt par les mêmes caufes que ci-
devant ; on a recours à un autre éperonnier, qui
vous trompe encore , & vit à vos dépens j & corn*
ment cela n’arrive roi t-il pas ? lorfque touts nos
livres , touts nos traités de cavalerie font des rationnements
à perte de vue fur la configuration &.
les proportions des différentes parties de la bouche
& du mors. A dieu ne plaife que , féduit par ce
langage, je copie les auteurs contemporains comme
ils ont corné leurs devanciers. Si on a bien lu
mon livre jufqu’ici , on ne me faura certainement
pas mauvais gré de paffer légèrement fur un article
q u i, j’efpère., paroîtrade fort peu d’importance
à ceux qui m’auront bien compris dans ma manière
de mener les chevaux.
Mais fi ce n’eft pas relativement à l'équitation ,
à l’écuyer, ni au manège que j ’ai à parler des embouchures
, je dois ici donner mes foins pour pre-
ferver la cavalerie de l’ufage dangereux quelle en
fait quelquefois , ainfi que les ehaffeurs &les amateurs
de chevaux. J’ai recommande ailleurs de ne
fe fervir que defimples canons à branches droites,
je vais en donner la raifon : ce n’eft jamais par la
force qu’il faut prétendre maîtriferjes chevaux,
fes effets font infufnfants , s’ils femblent réufîir
quelquefois , c’eft toujours en produifant d’extrêmes
défordres & d’extrêmes dangers. Il fuffit que
l’animal reçoive par la fenfibilité de fa bouche 1 a-
vertiffement du cavalier, & que cet avertiffement
devienne légèrement douloureux fi le cheval ne
l ’écoutoit pas j toute embouchure produifant cet
effet eft fuffifamment forte.
La nature n’a point différencié les bouches des
chevaux autant qu’on a cru le remarquer, & qu on
a voulu le faire croire : touts les poulains quelconques
font obéiffans au bridon; c’eftavec cet ajuf-
tement que l’homme de cheval les accoutume au
jo u g , & avec un plus fort & qui cauferoit ^une
preffion plus douloureufe , il défefpéreroit l’animal.
Si le bridon eft obligé de travailler davantage
fur l’un que fur l’autre, ce n’eft pas qu’un tel cheval
y foit moins fenfible , qu’il fente moins l ’effet
de la main de fon cavalier , mais c’eft que plus ardent
, moins fou pie> plus foible dans fon derrière,
l’attitude gênée qu’on lui donne le contrarie trop,
8c il cherche à la fuir ; ce n’eft donc pas la preffion
fur les lèvres ni fur les barres qu’il faut augmente
r , mais il faut appaifer le cheval, l’affouplir, &
dans le dernier cas fur-tout, réduire prefqu’à rien
l’effet des mains. Ceci fera affez clair pour ceux
qui ont vu beaucoup de chevaux , parce qu’ils ont
rencontré fouvent des hommes très - vigoureux ,
employant toute la force dont ils étoient capables
emportés par des chevaux qu’un homme plus ha*
bile qu’eux menoit avec la plus grande facilité, en
ne/e fervant que d’un feul bridon. Dans ce métier-
ci la théorie ne .fuffit pas , je l'ai déjà d it , &
neceffaire de le répéter , il faut pratiquer & beaucoup
voir ; j'engage donc mon leâcur à fe tranf-
porter fouvent fur' ces terreins où on pouffe les
chevaiix à des co-urfes rapides , où des efeadrons
font des fimulacres de charges qui reffemblent fi
fouvent à des fimulacres de fuite , par le défordre
qui y règne ; c’eft-la où il verra les hommes les plus
forts emportés par les plus petits chevaux, dont ils
mettent pourtant la bouche en fan g ; alTu rément
on ne peut pas douter que le mors ne faffe affez
d’effet, & pourtant il ne fuffit pas.
_ Eft’Ce à 1 éperonnier à remédier à cet inconvénient
? non fans doute : tant que votre cavalerie ne
fera pas plus inftruite , des cabeftans ne fuftiroient
pas pour rendre les cavaliers maîtres de leurs chevaux
, & donner de l’enfemble aux efeadrons. Que
1 oh s’occupe donc beaucoup *moins de toutes ces
infpeélions de bouche j & de toutes ces divifions
entre bouches trop fenfibles , bouches ardentes ,
bouches fortes, bouches qui évitent la fujétion du
mors , barre fourde , barre tranchante,barre ronde,
barbe graffe , barbe maigre , &c. &c. & c . , qu’on fe
bornera donner à toutes ces bouches , à toutes ces
barres & à toutes ces barbes, l’embouchure la plus
douce , un fimple canon entier, ajuftéà la proportion
de la bouche, c’eft-à dire , qui ne foit ni'trop
large ni trop étroit, & dont l’angle , formé par les
deux canons , donne affez de liberté à la langue,
que le canon porte fur les bâfres à un pouce au-
deffus des crochets. La brifure du mors ne fert point
a 1 adoucir , car elle doit être fans mouvement, fi
elle en avoit, onfent àifément que le fonceau fe
dérangeant de deffousla barre, fon effet feroit fans
jufteflè. Si les lèvres font rentrantes & couvrent les
barres, que les fonceaux foient plus droits , avec
liberté de langue, afin de ne pas faire rentrer la
levre. Ces deux points de contaâ du mors étant
bien pris , la manière dont le cheval porte la tête &
1 encolure doit décider de l’efpèce des branches.
C ’eft en les allongeant ou en les raccourciffant ,
qu on peut augmenter ou diminuer la force du
mors & fon effet. La branche fuit abfolument en
cela la propriété des [bras de leviers.
Je ne ferai point ici des démonftrations qui demandent
des notions de méchanique , que tout le
monde peut avoir ou fe procurer àifément, voyt{
A ides & fig. 18 ; mais quoique je reconnoiffe les
différents effets des branches relatifs à leur forme,
je me garderai de conclure , comme prefque touts
les auteurs, que la figure & les proportions du
corps du cheval & de fes jambes doivent en déterminer
le choix : autre charlatanerie préconifée par
l’ignorance. La pofirion naturelle de la tête & de
l’encolure du cheval doivent être les feules règles à cet égard. i°. On augmentera la force du mors&
ôrf ramènera la tête du cheval en allongeant les
branches , celles-là conviennent donc davantage
au cheval qui porte au vent. *
a0. On relèvera la tete & 1 encolure du cheval-
qui auroit de la difpofition à s'encapuchonner , en
ayant des branches plus courtes, & en faifant opérer
la main dans une direflion moins perpendiculaire
au bras de levier.
On voit que ce principe de conftruclion de mors
a la même bafe que celui qui détermine la direction
du travail de la mÿn du cavalier, comme je
l’ai déjà fait voir. Si le*rnors n’étoit point fixé fur
la barre , fon effet feroit nul. L’oeil du banquet fert
à l’empêcher de defeendre , & la gourmette l ’ein-
pêche de tourner & faire la bafcule. Les gourmettes
à la françoife , compofées de gros chaînons
bien proportionnés & bien polis , font généralement
celles du meilleur ufage , en ce qu’elles font
moins incifives , & font un effet plus égal dans
touts les points de contaéh La gourmette doit être
ferrée à une ligne de la fenfibilité , c’eft-à^dire ,
qu’elle ne doit être abfolument fans effet que quand
la main du cavalier n’en fait'aucun: tout l’art de
l’éperonnier confifte donc à être bon forgeron & à
placer les gourmettes avec jufteffe pour empêcher
la bafcule.
Près du fommet de l ’angle des canons , ou fur la
liberté de la langue , je voudrois qu’on plaçât quelques
anneaux mobiles , qui font dans la bouche du
cheval l’effet d’un infiniment connu fous le nom
de maftigadour. Les hongrois fe fervent de cette
méthode pour faire goûter le mors à leurs chevaux ;
je l’ai effayé fur les miens, & je m’en fuis très-
bien trouvé.
Les premiers jours qu’on met une bride au chev
al, il eft très-à-propos de lui laiffer dans la bouche
un grand bridon au lieu d’un filet, afin de ne
fe fervir de la bride que lorfque le cheval fera habitué
à l’embarras qu’elle lui caufe ; le temps qu’on
perd en employant cette précaution , eft bien regagné
par l’affurance où on eft de ne point trouver
de réfiftance de la part de l’animal, lorfqu’on abandonnera
les rênes du bridon pour prendre celles
de la bride , & on commencera toujours par s’en
fervir fur les lignes droites ; pour donner au cheval
la connôiffance des rênes de la bride, on
pourra les employer féparément, faifant attention
dans les commencements de joindre l’avertiffement
de la rêne droite du bridon à l’effet de la rêne
droite de la bride, car c’eft un principe général ,
dans l’inftruélion des chevaux, de fe fervir toujours
d’une aide, ou d’un moyen déjà connu| pour
donner la connoiffance de celui qui eft ignoré.
J’obferverai encore que,-lorfqu’on a pour objet
d’arrêter ou diminuer le train de l’animal, il faut
que l’effet de là main gauche fe faffe également
fentir fur les deux barres. Le cavalier qui aura une
pofuion jufte, le bras gauche moëlleux & la main
fenfible , formera une bouche fenfible à fon cheval
, parce qu il n’abufera pas de la preffiou contù*
Equitation, Efcrime & Danfc,
nuelle du mors fur la barre, preffion qui la rendroit
fourde & calleufe.
L ’expérience la plus fuivie fait voir que l’homme
de cheval donne & entretient la fineffe des aides
dans l’animal le plus groflier, tandis que l’ignorant
détruit la fenfibilité du cheval le plus diftîngtié.
L'art nous rend donc maître de ces différences, &
l’homme inftruit, qui eft chargé d’un travail, peut
le conduire, d’une manière relative au fervice
qu’on exige des chevaux.
Je ne parlerai ni des bridons à l’italienne, ni des
mors à la turque, & de toutes les machines inventées
pour foumettre les chevaux à l’obéiffance,
bien convaincu que ces reffources font abfolument
inutiles , lorfqu’on a réuni la théorie & la pratique
dé notre art.
Des Pas de côté.
Un cheval ne feroit ni fuffifammeHt affoupli ni
fuffifamment obéiffant , s’il n’étoit fufceptible que
des mouvements direéls & circulaires pour pouvoir
le redreffer, changer la direâion de fa marche
, le gouverner avec facilité , & le mettre à
même de fuivre touts les mouvements de l’efca-
dron ; il faut encore qu’il puiffe faire des pas de
côté , c’eft-à-dire , faire chevaucher fes jambes
l’une fur l’autre. En effet, foit dans l’alignement
des rangs , foit dans l’obfervation des chefs de
file , foit dans les converfions , les chevaux font
fouvent obligés d’appuyer foit à droite, foit à gauche
, nos efeadrons même opèrent ces mouvemens
en maffe, & l’ordonnance nous les indique par
les commandemens de main à droite ou main à gauche
: c’eft donc mal-à-propos que des préjugés
contre 1 inftruéïion du manege ont révoqué cette
leçon de l’ inftruétion de la cavalerie ; je la juge
néceffaire & indifpenfable , mais je vais l’expofer
d’une manière plus fimple, en rejettant les termes
feientifiques de nos anciens auteurs, confervés par
nos écuyers modernes. Main à droite ou main à gauche
fera la feule expreffion de la marche oblique,
quoique fa direffion puiffe .être variée autant qu’il
y a de degrés dans le quart de la circonférence ,
mais ces direâions fe trouvent déterminées par
les points de vue ou d’alignement qu’on indique
toujours. Les chevaux doivent encore connaître
des pas de côté circulaires, exprimés en termes de
manège, par voiles renverfées ou hanches en dehors.
C’eft l’expreffion du mouvement des files de fécond
rang dans les converfions. Je nommerai donc
ces pas de côté , mouvements de converfion ; commençons
parles pas de côté en ligne droite. *
On n’exercera les jeunes chevaux au pas de côté,
que lorfqu’ils auront été primitivement affouplis
fur les trois allures direéles du pas , du trot & du
galop, & lorfqu’ils feront obéiffants aux aides des
rênes & des jambes. Le maître jugeant un cheval
à ce point d’inftruélion , choifira le moment oy le
cavalier arrivera dans l’un des coins du manège au
point A , par exemple , pour lui commander main
à droite. Le cavalier laiffant entâmer la nouvelle
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