54 C H E
de produire des vices nouveaux, que de corriger
ceux qu’on croît connoître.
Le manque de bonne volonté dans les chevaux
procède ordinairement de deux caufes : ou ce font
des défauts extérieurs , ou c’en font d’intérieurs.
Par défauts extérieurs, on doit entendre la foibleffe
des membres, foit naturelle , foit accidentelle , qui
fe rencontre aux reins , aux hanches, aux jarrets,
aux jambes, aux pieds ou à la vue. Comme nous
avons détaillé atfez au long tous ces défauts dans la
première partie , nous ne les rapporterons point ici.
Les défauts intérieurs, qui forment précifément
le caraélère d’un cheval, font la timidité , la lâcheté,
la pareffe , l’impatience , la colère, la malice ,
auxquels on peut ajouter la mauvaife habitude.
Les chevaux timides , font ceux qui font dans
une continuelle crainte des aides & des châtiments,
& qui prennent ombrage du moindre mouvement
du cavalier. Cette timidité naturelle ne produit
qu’une obéiffance incertaine, interrompue , molle
& tardive ; & fi on bat trop ces fortes de chevaux,
Ils deviennent tout-à-fait ombrageux.
La lâcheté eft un vice qui rend les chevaux poltrons
& fans coeur. On appelle communément ces
fortes de bêtes des carognes. Cette lâcheté avilit totalement
un cheval,& le rend incapable d’aucune
obéiffance hardie & vigoureufe.
La pareffe eft le défaut de ceux qui font mélancoliques,
endormis, & pour ainfi dire hébétés ; il
s’en trouve pourtant quelques-uns' parmi ceux-ci ,
dont la force eft engourdie par la roideur de leurs
membres, & en les réveillant avec* des châtiments
faits à propos, ils peuvent devenir de braves chevaux,
L’impatience eft occaftonnée par le trop-de fenfi-
bilité naturelle, qui rend un cheval plein d’ardeur ,
déterminé, fougueux, inquiet. Il eft difficile de
donnera ces fortes de chevaux une allure réglée &
paifible, à caufe de leur trop grande inquiétude ,
qui les tient dans une continuelle agitation, & le
cavalier dans une aftiette incommode.
Les chevaux colères font ceux qui s’offenfent des
moindres châtiments , & qui font vindicatifs. Ces
chevaux doivent être conduits avec plus de ménagement
que les autres ; mais quand , avec ce défaut,
ils font fiers & hardis , & qu’on fait bien lés
prendre, on en tire meilleur parti que de ceux qui
font malicieux & poltrons.
La malice forme un autre défaut naturel. Les
chevaux attaqués de ce vice , retiennent leurs forces
par pure mauvaife volonté , & ne vont qu’à
contre-coeur. Il y en a quelques-uns qui font fem-
blant d’obéir, comme vaincus & rendus; mais ç’eft
pour échapper aux châtiments de fécole , & fitôt
qu’ils ont repris un peu de force & d’haleine, ils fe
défendent de plus belle.
Les mauvaifes habitudes que contraâept certains
chevaux ne viennent pas toujours de vices intérieurs
, mais fouvent de la faute de ceux qui les
ont d’abord mal montés : & quand çes mauvaifes
habitudes Ce font enracinées, elles font plus difficiles
à corriger qu’une mauvaife difpofition qui
viendroit de la nature.
Les différents vices que nous venons de définir,
font la fource-de cinq défauts „effentiels, & d’une
dangereufe conféquence; favoir, d’être ou ombrageux
, ou vicieux, ou rétifs , ou ramingues, ou
entiers.
Le cheval ombrageux eft celui qui s’effraie de
quelque objet, & qui ne veut point en approcher.
Cette appréhenfion , qui vient fouvent de timidité
naturelle, peut être caufée auffi par quelque défaut
à la v u e , qui lui fait les chofes autrement
qu’elles ne font ; fouvent encore, c’eft pour avoir
été trop battu ,c e qui fait que la crainte des coups ,
jointe à celle de l’objet qui lui fait ombrage, lui
accable la vigueur 8c le courage. Il y a d’autres
chevaux qui, ayant été trop longtemps dans l’écurie
, ont peur la première fois qu’ils fortent, & à
qui tout caufe des alarmes ; mais cette manie ,
quand elle ne vient point d’autre caufe, dure peu ,
fi on ne les bat point, & fi on leur fait connoître
avec patience ce qui leur fait peur.
Le cheval vicieux eft celui qui, à force de coups ,
eft devenu malin au point de mordre, de ruer &
de haïr l ’homme : ceS défauts arrivent aux chevaux
colères 8c vindicatifs , qui ont été battus mal-à-propos;
car l’ignorance & la mauvaife humeur de certains
cavaliers fait plus de chevaux vicieux que la
nature.
Le cheval rétif eft celui qui retient fes forces
par pure malice, 8c qui ne veut obéir à aucun aide ,
foit pour avancer , pour reculer ou pour tourner.
Les uns font-devenus rétifs, pour avoir été trop
battus & contraints ; & les autres pour avoir été
trop refpeêlés par un cavalier qui les aura redoutés.
Les chevaux chatouilleux qui retiennent leurs forces
, font fujets à ce dernier défaut.
Le cheval ramingue eft celui qui fe défend contre
les éperons, qui y réfifte, qui s’y attache 8c qui
rue dans une place , qui recule ou fe cabre , au
lieu d’obéir aux aides 8c d’aller en avant. Lorfqu’un
cheval réfifte par poltronnerie , c’eft un indice de
carogne , 8c quoiqu’il faffe de grands & de furieux
fauts , c’eft plutôt malice que force.
Le cheval entier eft celui qui refufe de tourner ,
plutôt par ignorance 8c faute de foupleffe, que par
malice. Il y a des chevaux qui deviennent entiers
à une main , quoiqu’ils y aient d’abord paru foïiples
& obéiffans , parce qu’on aura voulu trop tôt les
affujettir , &paffer trop vite d’une leçon à l’autre.
Un accident, qui vient à la vue ou à quelqu’autre
partie du corps, peut auffi rendre un cheval entier
à une main , 8c même rétif. Le défaut d’être entier
eft différent de celui d’être rétif, en ce que le che-
val rétif, par malice ne veut point tourner , quoiqu’il
le fâche faire; & l’entier ne tourne point,
parce qu’il ne le peut, foit par roideur ou par
ignorance.
Quand les défauts que nous venons de définir,
Viennent 4e manque de coeur & par foibleffe , la |
nature du cheval étant alors defeéiueufe, 8c le fend
n’en étant pas bon , il eft difficile d’y fuppléer par
18L’origine de la plupart des défenfes des chevaux ,
ne vient pas toujours de la nature ; on leur demande
foulent des chofes dont ils ne font pas capables
, en les voulant trop preffer & les rendre
trop favans : cette grande contrainte leur fait, haïr
i l’exercice, leur foule 8c leur fatigue les tendons
& les nerfs, dont les refforts font la foupleffe ; 8c
■ fouvent ils fe trouvent ruinés, quand on croit les
avoir dreffés : alors n’ayant plus la force de fe défendre,
ils obéiffent, mais de mauvaife grâce, 8c
| fans aucune reffource.
1 - Une autre raifon fait encore naître ces défauts :
Ion les monte trop jeunes, & comme le travail
■ qu’on leur demande eft au-deffus de leurs forces, &
1 qu’ils ne font pas encore affez formés pour réfifter
I à la fujétion qu’ils doivent fouffrir avant d’être
['dreffés, on leur force les reins, on leur affoiblit
les jarrets, & on les gâté pour toujours. Le véritable
â g e p o u r dreffer un cheval , eft fix , fept ou
huit ans, fuivant le climat où il eft né.
La rébellion & l’indocilité, qui font fi naturelles
, fur-tout aux jeunes chevaux , viennent encore
de ce qu’ayant çonrra&é l’habitude d’être en liberté
dans les haras , & de fuivre leurs mères , ils ont
peine à fe rendre à l’obéiffance des premières levons
, & à fe foumettre aux volontés de l’homme ,
qui profitant de l’empire qu’il prétend avoir fur
eux, pouffe trop loin.fa domination; joint à ce
qu’il n’y a point d’animal qui fe reffouvienne
mieux que le cheval des premiers châtiments qu’on
lui a donnés mal-à-propos.
Il y avoit autrefois des perfonnes prépofées
pour exercer les poulains au fortir du haras , lorf-
qu’ils étoient encore fauvages. On les appelloit cavale
adour s de bai délit : on les choififfoit parmi ceux
qui avoient le plus de patience , d’induftrie, de
hardieffe & de diligence ; la perfection de ces qualités
n’étant pas fi nécefîaire pour les chevaux qui
ont déjà été montés , ils accoutumoient les jeunes
chevaux à fouffrir qu’on les approchât dans l’écurie
, à fe laiffer lever les quatre pieds , toucher de
la main , à fouffrir la bride , la' felle , la croupière,
les fangles, &c. Ils les affuroient & les rendoient
-doux au montoir. Us n’employoient jamais la rigueur
ni la force, qu’auparavant ils n’euffent effayé
les plus doux moyens dont ils puffent s’avifer ; &
par cette ingénieufe patience , ils rendoient un
jeune cheval familier 8c ami de l’homme ; lui con-
fervoient la vigueur & le courage ; le rendoient
fage & obèiffam aux premières règles. Si on iinitoit
à préfent la conduite de ces anciens amateurs , on
verroit moins de chevaux eftropiés , ruinés, rebours
, roides & vicieux.
Des Chevaux de guerre.
JL’art de la guerre, & l ’art dç la cavalerie fe doi«
vent réciproquement de grands avantages. Le premier
a fait connoître de quelle néceffité il eft de fça-
voir mener furement un cheval ; 8c cette connoiffan-
ce a engagé à établir des principes pour y parvenir.
Delà eft venu l’établiffement des académies, que les
grands princes fe font toujours fait honneur de protéger.
Ces principes mis en pratique, ont contribué à
la jufteffe des différents mouvements qui fefont dans
les armées. Il ne fera pas difficile -de fe l’imaginer ,
en confidérant que chaque air de manège conduit à
une évolution de cavalerie.
Le paffage, par exemple, rend noble & relevée
l’aéfion d’un cheval qui eft à la tête d’une troupe.
En apprenant un cheval à aller de côté, on lui
apprend à fe ranger fur l’un 8c l’autre ralon , (oit
dans le milieu., ou à la tête de l’efcadron , quand il
en faut ferrer les rangs , 8c dans quelque.occafion
que ce foit.
Par le moyen des voltes on gagne la croupe de
fon ennemi, & on l’entoure diligemmehr.
Les paffades fervent à aller à fa rencontre 8c à
revenir promptement fur lui.
Les pirouettes & les demi-pirouettes donnent la
facilité de fe retourner avec plus de vîteffe dans
un combat.
Et fi les airs relevés n’ont pas un avantage de
cette nature , ils ont du moins celui de donner à un
cheval la'légèreté dont il a befoin, pour franchir
les bayes & les foffés : ce qui contribue à la fureté,
& à la confervation de celui qui le monte.
Enfin, il eft confiant que le fuccès de la plupart
des aélions militaires, eft dû à Tuniformité des
mouvements d’une troupe , laquelle uniformité ne
vient que d’une bonne inftrn&ion ; & qu’au contraire
, le défordre qui fe met fouvent dans un ef-
cadron, eft caufé ordinairement par des chevaux
mal dreffés ou mal conduits.
De pareilles réfiexiorîs ne fuffifent-elles pas pour
détruire quelques critiques mal fondées de ce qu’on
enfeigne dans nos écoles |
Le rapport qui fe^trouve entre ces deux arts , a
donc fait naître l’émulation parmi la nobleffe , pour
acquérir de la capacité dans l’art de monter à cheval
, afin cte fervir fon prince & fa patrie avec plus
de fruit; C ’eft par un motif fi glorieux que les an«
ciens écuyers fe font efforcés de donner au public
les moyens de dreffer des chevaux propres pour la
guerre : & c’eft en marchant fur leurs traces que
nous allons tâcher d’éclaircir ce qu’ils ont dit de
bon fur cette matière.
Il y a deux chofes à obferver dans un cheval de
guerre; fes propres qualités", & les règles qu’on
doit mettre en ufage pour le drefter.
Un cheval defiiné pour la guerre, doit être de
médiocre ftature, c’eft-à-dire de quatre pieds neuf
à dix pouces de hauteur , & qui eft celle qu'on demande
en France dans prefque tous les corps de
cavalerie. Il faut qu’il ait la bouche bonne , la tête
affVirée , & qu’il foit leger à la main : ceux qui
cherchent dans un cheval de guerre un appui k