
40i COU être un extrait ferré d’une excellente pièce dramatique
écrite«
La danfe , comme la peinture , ne retrace à nos *
yeux que les firuations; & toute fituation véritablement
théâtrale n’eft autre chofe qu’un tableau vi-
yant.
S’il arrive donc un jour que quelque danfeur de
génie entreprenne de repréfenter fur notre théâtre
lyrique une grande aétion , qu’il commence par en
extraire toutes les fituations propres à fournir des
tableaux à la peinture. 11 n’y a que ces parties qui
doivent entrer dans fon deflein ; toutes les autres
font défeétueufes ou inutiles ; elles ne feroient que
l ’embraffer, le rendre confus, froid & de mauvais
.goût.
Si ces fituations font en grand nombre, fi elles
fe fuccèdent naturellement, fi leur enchaînement
les conduit avec rapidité à une dernière qui dénoue
facilement & fortement laétion , le choix eu
fûr. A ces marques infaillibles de l’effet théâtral ,
on ne fçauroit fe méprendre.
Mais dans l’exécution , on ne doit point s’écarter
de cet objet unique. Ce ne font que des tableaux
fucceflifs qu’on a à peindre , & qu’il faut animer de
toute l’expreffion qui peut réfulter des mouvemens
palfionnés de la danfe.
C etoit-là fans doute le grand fecret de Pylade ;
& peut-être eft-il, pour touts les genres, la bouf-
foîe la plus fûre de l’art du théâtre.
Des allions épifodique s en danfe.
L’enchantement de la fauffe Oriane dans l’opéra
d’Amadis, eft une aétion de danfe épifodique. Elle
forme par elie-mème \une aétion complette; niais
le fujet principal auquel elle eft liée, & dont elle
devient une partie par l’art du poète, pouvoit ab-
folument fubfifter fans elle. C ’eft un moyen ingénieux
que Quinault a trouvé pour nouer fon intrigue.
Il auroit pu lui en fubftituer un autre, fans
nuire à la marche théâtrale ; & on nomme épifodique
toutes les aétions de cette efpèce.
Il n’y a point d’opéra de Quinault qui ne puifle
fournir à la danfe un grand nombre de ces aétions
toutes nobles, théâtrales , fufceptibles de la plus
simable expreffion, & toutes capables par confé-
quent de réchauffer l’exécution générale , dont
l ’expérience a démontré la foibleffe primitive..
La Mothe n’a connu que la danfe fimple. Il l’a
variée dans fes opéras, en lui donnant quelques caractères
nationaux ; mais elle y eft amenée fans aucune
aétion néceflaire. Ce ne font par*tout que des
divertiflemens dans lefquels on ne danfe que pour
danfer. Les habits font différens. L’intention eft
toujours la même.
Mademoifelle Salle cependant qui raifonnoit tout
ce qu’elle avoit à faire, avoit eu 1-adreffe de placer
une âéiion épifodique fort ingénieufe dans la pafla-
caille de l’Europe Galante.
Cette danfeufe paroiflbit au milieu de fes rivales,
avec les,graees & les defirs d’une jeune Od^lifque
c o u
qui a des deffeins fur le coeur de fon maître. Sa
danfe étoit formée de toutes les jolies attitudes qui
peuvent peindre une pareille paflion. Elle l’animoit
par degrés: on lifioif, dans expreflions, une
fuite de fen rime-ns ; on la voyoit flottante tour-à-
tour entre la crainte & refpèrance; mais au moment
où le fultan donne le mouchoir à la fultane
favorite , fon vifage , fes regards , tout fon maintien
prénoient rapidement une forme nouvelle.
Elle s’arrachoit du théâtre avec cette efpèce de dé-
fefpoir des âmes vives & tendres , qui ne s’expriment
que par un excès d’accablement.
Ce tableau plein d’art & de paflion étoit entièrement
de l’invention de la danfeufe. Elle avoit embelli
le deflein du poète, & dès-lors elle avoit franchi
le rang où font placés les Amples artiftes , pour
s’élever jufqu’à la claffe rare des talens créateurs.
Jefçaisque nos danfeurs ont fur ce point une
exeufe quiparoît plaufible. Les occafions femblent
leur manquer dans la plupart de nos opéras ; mais
lorfqu’on a de l’imagination & une noble envie dé
fortir des routes communes , fès difficultés s’appla-
niffent, & les moyens fe multiplient. On fupplee,
avec du talent, du goût & de l’efprit, aux lacunes
d’un ouvrage. Un danfeur, un maître de ballets
qüiont des idées, fçavent toujours faire naître les
occafions de les bien placer ; aufli eft-ce moins à
eux qu’aux jeunes poètes qui voudront tenter à
l’avenir la carrière du théâtre lyrique, que j’ofe
adrefler le peu de mots que je vais écrire.
Dans un opéra , genre foiblement eftime, fort
peu connu , & de touts les genres de poéfie dramatique
le plus difficile, les plus petites parties ,
ainfi que les plus grandes, doivent être dans un
mouvement continu* w ^ 7
On eft dans l’habitude de ne regarder la danfe
au théâtre lyrique que comme un agrément ifolé.
Il eft cependant indifpenfable qu’elle y foit toujours
intimement liée à l ’aétion principale , qu’elle n’ÿ
fafle qu’un feul tout avec elle, qu’elle s’y enchaîne
avec l’expofirion, le noeud & le dénouement.
Si jufqu’au dernier divertiflement, qui feul peut
n’être qu’une fête générale, il y a une entree de
danfe, qu’on peut en ôter fans nuire à l’écohomie
totale , elle pèche dès-lors contre les premières ioix
du deflein.
Si quelqu’un des divertiflemens n’eft pas forme
de tableaux d’aétions relatifs à Taéiion principale &
vraiment néceffaires à fa marche , il n’eft plus
qu’un agrément déplacé contraire aux principes
fondamentaux de l’art du théâtre.
Si quelque danfeur entre ou fort fans néceflité,
fi les choeurs de danfe occupent la fcène ou la quittent,
fans que l’aétion qu’on repréfente l’ exige ,
touts leurs mouvements quelque bien ordonnes
qu’ils foient d’aillèurs, ne font que des contre-
fens que la raifon réprouve, & qui décèlent le
mauvais goût. ' r .
Ainfi dans un opéra , quelque brillante en loi
que puifle être une danfe inutile , elle doit toujours
être regardée comme ces froids récits de ^riaSs'*
dies , ou l’aéteur femble difparoître pour ne laifler
1[ç>\v que l’auteur.
Tel eft toutefois l’attrait de la danfe en action,
que nous l’avons vu , il n’y a pas longtemps ^charmer
la cour & la ville , quoiqu elle fut évidemment
déplacée. ‘ ^
Dans l’aéte des jeux olympiques des fetes Grecques
& Romaines, lorfque laétion commence , les
jeux font finis. fAicibiade ne paroît qu’après avoir;
remporté lé prix qu’ Afpafie eft chargée de lui donner.
Un combat de lutteurs faifant partie des jeux
olympiques déjà terminés , eft cependant alors
l’aétion de danfe qu’on repréfente par un déplacement
inconcevable.
Q u ’il foit permis de le dire , le charme du îuo-
ment a prévalu cette fois fur la jufteffe ordinaire
des fpeétateurs ; & tout Paris n’a applaudi dans
cette occafion, qu’à un contre-fens que la réflexion
démontre parfaitement abfurde. Tant il eft vrai que
la danfe en aétion caufe line émotion fi vive , lorf-
qu’elle eft habilement exécutée , que le fpeétateur
le plus éclairé n’eft plus en état d examiner, & ne
peut s’occuper que du plaifir de fentir.
Dans la fcène troifième, des qu’Alcibiade pa-
xoli fur le théâtre , Amintas lui dit :
Dans vos yeux fatisfaits on lit votre viEloirc t
Vous ave£ de nos jeux remporte tout l honneur.
Les jeux font donc tout-à-fait termines. Laéte
roule en effet fur ce point qui y eft par tout très-
bien établi. . , .
Ce divertiflement compofé des Athlètes qui
«voient difputé le prix de la lutte, du cefte, de la
côurfe, devoit donc fe réduire à des hommages^ de
caraétère au vainqueur. Il ne pouvoit plus être
queftion de combattre pour le prix , puifqu il etoit
remporté.
Règles générales à obferver dans les aélions de danfe t
Toute repréfentation théâtrale doit avoir trois
parties effentielles.
Par un dialogue vif,xOU par quelque événement
adroitement amené, on fait connoître au fpeétateur
le fujet qu’on va retracer à fes yeux , le caraélère ,
la qualité, les moeurs des perfonnages qu’on va
faire agir ; c’eft ce qu’on a nommé V expofition.
Des circonftances, des obftacles qui naiflent du
fond du fujet , l’embrouillent & fufpendent la
marche fans l’arrêter. Il fe forme une forte d’embarras
dans le jeu des perfonnages qui intrigue la
curiofité du fpeétateur, à qui la manière dont on
pourra le débrouiller eft inconnue ; c’eft cet embarras
qu’on appelle le noeud.
De cet embarras , on voit fucceffivement fortir
des clartés qu’on n’attendoit point. Elles développent
l’aâion, & la conduifent par des degrés in-
fenfibles à une conclufion ingénieufe ; c’eft ce
qu’on nomme le dénouement.
Si quelqu’une de ces trois parties eft défeéiueufe,
l’aétîon théâtrale eft imparfaite. Si elles, font toutes
les trois dans les proportions convenables , l’aétion
eft complette, & le charme de la repréfentatiort
infaillible
La danfe théâtrale, dès-lors qu’elle eft une repréfentation
, doit donc être formée de ces trois
parties , qui feules la conftituent. Ainfi elle fera
plus ou moins parfaite, félon que fon expofition
fera plus ou moins précife , fon noeud plus ou
moins ingénieux , fon dénouement plus ou moins
bien amené.
Cette divifion n’eft pas la feule qu’il faut connot-
tre & pratiquer. Un ouvrage dramatique eft compofé
de cinq aétes, de trois ou d’un feul ; & un
a dp eft compofé de fcènes en dialogue ou en monologue.
Or , chaque aéte, chaque fcène doit avoir
fon expofition, fon noeud & fon dénouement, tout
comme l’aétion entière dont ils font les parties.
Il en eft ainfi de toute repréfentation de danfe.
Les trois parties dont on parle font le commencement,
le milieu & la fin , qui conftituent tout ce
qui eft aétion. Sans leur réunion, il n’en eft point
de parfaite. Le vice ou le défaut de l’une fe répand
fur les autres. La chaîne eft rompue ,& le tableau ,
quelque beauté qu’il ait d’ailleurs , eft fans aucun
mérite théâtral.
Il y avoit donc, dans le pas des lutteurs des
fêtes Grecques & Romaines que le public a fi conf-
tamment applaudi, une faute de compofition bien
importante, puifqu’il étoit fans dénouement. Les
deux Athlètes , en fe cüfiant, expofoient très-bien
le fujet : leur combat formoit le noeud de cette
belle aétion ; mais comment fe dénouoit-elle ?
quelle en étoit la fin ? lequel des deux combattans
étoit le vainqueur ou le vaincu ?
Je fais cette critique fans craindre de rabaiffer le
maître des ballets qui a compofé cette entrée ; on
peut relever les diftraétions des talens fupérieurs.,
Fans craindre de les bleffer ni de leur nuire. J’ai
choifi d’ailleurs , de propos délibéré, cette aétion
de danfe , que fon fuccès doit avoir gravée dans le
fouvenir du public & dans l’efprit de nos jeunes
danfeurs , afin de donner plus de poids, par un
exemple frappant, à une règle qui ne fçauroit être
trop fcrupuleufement obfervée.
Outre les loix du théâtre qui deviennent com-
! munes à la danfe, dès qu’elle y eft portée , elle y
eft affujettie encore à des règles particulières qui
dérivent des principes primitifs de l’art.
La danfe doit peindre par les geftes. Il n’eft donc
rien de ce qui feroit rejetté par un peintre de bon
goût, qu’elle puifle admettre ; & par la raifon des
contraires, tout ce qui feroit choifi par ce même
peintre, doit être faifi , diftribué, placé dans un
ballet en aétion.
Voici fur ce point une règle auffi fiire que fimple.
I l faut que la nature foit en tout le guide de l'art, &
que l’art cherche en tout à imiter la nature.
Au furplus, c’eft toujours au talent feul qu’il
E ee ij*