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du manège nous peint celle de la nature libre: &
tel eft l’objet de l’art ; il fe propofe de raffembler
en un fujet, dans un court efpace de temps , les
beautés éparfes de la nature. Ces inftants de beaute
naturelle font ceux où l’animal a de l'ardeur. Il fe
grandit alors ; il raflemblè fes forces ; fes yeux
iont animés ; fa tête fe lève avec fierté ; fes mouvements
redoublent , leur cadence fe preffe &
s’anime. Ce font ces idées que l’écuyer doit employer
dans fon travail ; c’eft là l’expreffion qu il
cherche : mais toutes les conftruélions de chevaux
ne font pas propres à la produire. La beauté fans
la bonté ne fatisfait l’oeil qu’imparfaitement , &
l ’ animal n’eft plus alors qu’une belle fiatue.
La bonté d’un cheval ne féduit pas comme fa
beauté: celle-ci eft entièrement extérieure; celle-
là eft le réfultat de combinaifons difficiles à développer.
Ce n’eft qu’à l'aide de plufieurs consoif-
fances & d’une expérience bien fondée , qu’on juge
les qualités d’un cheval. L’harmonie & l’accord de
toutes les parties de l’animal, conftituent fa bonté ;
comme celle d’une machine dépend de la proportion
de toutes fes pièces mefurées par l’effet qu’on
en attend. Tout corps organifé eft une machine des
plus compliquées : tout peut en être bon ; mais il
peut auffi s’y trouver des parties moins bien conf--
truites. .
Les parties fondes Sc les parties molles , ou fi on
veut, les os &.]es mufcles j Offrent ce qu’il y a de
plus intéreffant dans le méchanifme animal , relativement
à fes aétions. La bonté des os vient de
leur folidité, de leur bonne configuration., & de la
b®nne fabrique de leurs articulations. Les os ne I
doivent pas feulement être folides par leur nature,
mais encore par leur difpofiaon ; & cette difpofi-
tion n’eft eftimable que par le ferme appui qu’ils
fe donnent les uns aux autres. Leur configuration
la meilleure eft celle qui eft la plus commune dans
la nature , & on la connoît à la fimplicité de Faction.
qui en réfuite. Un os tortueux, dans un membre
©ù il eft ordinairement droit, occafiorroe un
mouvement compliqué & embarraffe.
La bonté de l’articulation vient du jeu facile des
os les uns fur les autres, fans que rien arrête le
mouvement auquel ils font deftinés. La fermeté
des liens eft encore effentielle ; & c’eft fouvent
delà que dépend la bonté d’un membre. Les mufcles.
font ordinairement bons lorfque leur forpe
eft fupérieure de beaucoup au poids des os qu’ils
ont à mouvoir, & lorfque leur aâion ne les fatigue
pas. De gros offemenrs & de petits mufcles
font des preuves de foibleffe ; au heu que des os
mus par de forts mufcles , annoncent la vigueur
& la légèreté. P ‘
Les perfeélions de ces différentes portions du
corps , ne conftituent pas feules la bonté. Elle con-
ftfte plus encore dans l’arrangement de tout le
corps, dans le rapport de touts les membres entre
eux , félon des loix que nous efpérons indiquer.
Mais ce bel enfemble extérieur eft fouvent trom^
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peur: car il arrive que la mauvaife organîfatîon îti<
térieure dément ces belles formes , ces belles pro«
portions du corps. Il faut donc que les fondions
vitales fe rempliffent bien ; que les vifcères foient
bien conftitués, que l’eftomac & touts les organes
de la digeftion foient en bon état. C ’eft fur-tout de
ce vifcère que dépend la force animale : fi-le chyle
eft mal fabriqué , un fang fans vivacité & fans
confiftance ne peut fournir de la vigueur ; la lim*
phe viciée circule à peine , & ne répare pas les
pertes occafionnées par le travail. En général on
a éprouvé que les chevaux bien conftruits d’ailleurs
, qui fe nourriffent bien , qui ne perdent
point l’appétit , qui font gais après un long travail
, & qui s’y prêtent volontiers, font de bons
chevaux
Quelques défauts ne détruifent pas cette qualité,
Ceux qui, uniquement attachés à ces défauts . acceptent
ou refufent des chenaux parce qu’ils ont
quelque vice lo cal, font dans le cas de fe tromper.
C ’eft Tenfemble & l’ufage harmonieux de touts les
membres , qu’il faut conlidérer : fouvent un' cheval
emploie très-bien de mauvais jarrets, & un autre
en emploie mal de bons.
On ne s’attachera donc pas fimplement à l'extérieur
des membres , fi on veut bien choifir le che-
val ; on confuîtera fes mouvements & fon ame :
car l’ardeur & la bonne volonté ne font point à
méprifer dans 1 a chevai ; elles fupplèent à bien des
chofes. Je rejetterois un cheval méchant & bien
conformé ; car il pourroit arriver qu’on fut obligé
de le ruiner pour le mettre en état de fervir. La
douceur & la fageffe font les plus belles qualités
d’un bon cheval. Si fes mouvements font brillants
avec cela, on a trouvé un phcenix.
Méchanifme général des mouvements du cheval dans
fa démarche.
Le chevai ne nous eft utile que par fes avions.
Le plus beau & le meilleur cheval deftiné à tin repos
continuel , feroit dans une captivité ôdieufe
pour lu i, & infruélueufe pour fon maître. L'homme
a fii tourner à fon profit la démarche du cheval: cet
animal lui plaît par des fervices importants ; il l’a-
mufe par ïa légèreté 5 il le récrée par fa foupleffe;
il partage avec lui les dangers,,& la gloire des combats.
>
Mais touts les individus de cette efpêce ne rendent
pas le même fervice : la nature a tellement
Varié leur démarche, qu’on ne fauroit troüverdeux
chevaux dont les allures foient d'une égalité parfaite.
Auffi eft-ce en ration de la perfeéfion de
leurs mouvements, que l’homme les dëftine aux
emplois plus ou moins diftingués. Mais comment
établir la vraie règle de ces mouvements parfaits,
fi rarement raffcmblés dans le même fujet ? ce ne
peut être que par lé raifonnement fondé fur des
obfervations réitérées , d’après lefquelles on pourra
fc former un compofé qui fervira de modèle-»
c h e , .
Se me gâfdefaî bien, pour définif ces Mouvements
, de prendre un cheval défeéhieux. Le plus
beau & le meilleur [fera toujours celui que je pro-
poferai d’examiner : je lui fuppoferai toutes les périmions.
C’eft à l’écuyer à connoître la nuance des
[individus qu’il fe propofe de former..
A quelqu’ufage qu’on deftine un cheval, ®n doit
Tinfpeéler méchaniquement : car filon ignore les
Irefforts & toutes les machines que la nature emploie
pour la progreffion de cet animal, on fera
fans .ceffe trompé. Le tafô forme & entretenu par
[la routine, eft incertain & aveugle, s’il n’eft fonde
Ifur des règles fixes & conftamment propofées par
lia' belle nature. C’eft pour cela qu il eft fi rare de
(trouver un bon connoiffeur en chevaux. Les gens
■ que l’intérêt attache à l’étude de cet animal, n ont
(qu’un tacl greffier & fouvent trompeur. Ils ont
vieilli dans les écuries & dans les haras : la nature
la fans ceffe frappé leurs yeux ; mais elle n’a jamais
laffeclê leur raifonnement ; un inftinél d’habitude
■ leur fait faire un choix capricieux d’un cheval dont
■ les qualités leur font inconnues. Le bon choix eft
■ donc le réfultat d’un grand nombre de connoif-
Ifances ; & le meilleur livre à étudier feroit une
pratique réfléchie dans l’équitation. Si l’homme n’a
|long-temps fenti les qualités des chevaux, il n’a
(qu’une idée confufe du bon & du mauvais. Auffi
(je fuis perfuadé que les connoiffances , en fait de
l 'chevaux, vont de pair avec les talents pour Fufage
|de ces animaux. La pratique manuelle donne de la
Ifureté : on combine les qualités d’un individu, par
Iles produits de tous ceux que Fon a connus.
I On doit donc donner un foin extrême à l’étude
des mouvements du cheval. En traitant cetté partie,
je fuppofe le le&eur inftruit dans l’équitation ;
| plus il le fera , plus il fentira la vérité de mes affer-
I tiens.
! Avant que d’entrer en matière, nous devons
(prévenir que toutes les allures naturelles ont cela
|de commun , que les jambes fe meuvent dans le
(même ordre : la célérité des mouvements produit
Ifeule la différence que notre oreille y remarque ;
Icar , par l’infpeâion attentive , les yeux s’affurent
|de cet axiome phyfique. La nature, fimplecomme
Belle eft, n’a pas employé plufieurs moyens pour le
»même effet. Il eft plus important que l’on rie croit
de fe convaincre, par l’examen, de ce que ja-
f Vance.
1 Une autre vérité, c’eft que chaque animal mar-
j'che le pas f ou quelqu’autre allure que ce foit,
|f d’une manière différente. Une nuance imperceptib
le , qu’on apperçoit & qu’on fent dans les indi-
I vidus nous, empêche d’établir des modèles fans dé-
I faut. Ainfi les caculs font trompeurs , fi on pré-
| tend les donner pour exaâs. Nous nous bornons
I à décrire ce en quoi les chevaux fe reffemblent or- I dinairement.
Du} Repos forme par P équilibre-.
L’équilibre du cheval n’eft réellement formé que
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dans cette fituation des jambes, où elles partagent
entr’elles le poids de l’animal & du cavalier. Alors
toutesffes furfaces des os des jambes fe touchent Sc
font placées les unes fur les autres dans Tétât naturel
, & de la manière que la vue du fquelette du
cheval nous le fait connoître. Les-mufcles de chaque
extrémité font en un état pareil dans les
quatre jambes. Nous fuppofons Tuniformité la plus
complette : on ne voit aucune flexion quelconque;
& les lignes d’innixion de ces colonnes font parallèles.
Cet accord ne fubfifte plus dès l’inftant que
l’animal penfe à fe mouvoir : Taétion & le repos
font incompatibles ; il faut que la nature même
trouble cet ordre , & quelle fixe à chaque jambe
une fonflion différente.
Obfervatious fur les extrémités antérieures du Cheval;
Je viens d’indiquer les mouvements naturels de
la jambe de devant du cheval, tels que l’anatomie
nous les fait connoître. Il eft vifible qu'ils font
communs lorfqu’ils fuivent les a fiions de l'articulation
par genou, qui eft, humérus ,\ i feule qui
puiffe changer de fituation & de difpofition. Les
autres articulations font toujours les mêmes, & les
différentes motions de la jambe viennent de l’humérus.
C ’eft lui qui agit, foit que la jambe de dedans
chevale fur celle de dehors , foit que celle de
dehors chevale fur celle de dedans. C ’eft donc fur-
tout fon articulation que l’on doit perfectionner
pour exécuter les leçons de l’équitation. Nous prouverons
que fes principaux mouvements s’opèrent
par différents moyens qui reviennent toujours à-
peu-près au même ; car tout les mufcles qui meuvent
une articulation par genou , deviennent fuc-
ceffivement congénères les uns aux autres. Dans
toutes les aflions fans nombre que peuvent produire
les articulations par genou , les mêmes mufcles
travaillent, mais dans un ordre & avec des
degrés de tenfion qui varient à l’infini.
Les mouvements ne fe reffemblent pas toujours ;
quoiqu’ils fe paffent dans des membres deftinés aux
mêmes fondions. Une jambe peut avoir une motion
différente de l’autre. Comme un cheval remue
une articulation dans un autre fens qu’un autre'
cheval : c’eft une affaire de conformation, & ce
font des exceptions aux loix générales de la nature.
Fonélion des jambes du Cheval dans fa démarche ;
répartition fuccejfve des poids fur chacune d’elles.
Les quatre jambes chargées également ne fe re-
mueroient pas, fi Tune d’elles n’étoit foulagée aux
dépens des autres ; & celle-ci n’eft foulagée que par
des aflions vifibles qui précèdent tout changement
de lieu. Le mouvement étant une deftruftion du
repos, il faut s’attendre que ce que nous venons
d’obferver ei-deffus fêta anéanti ; & cela eft nécef-
faire : l’égalité de poids fur les quatre jambes eft un
empêchement à leur motion. Celles qui feront dé