
tu des le dépit & la jaloufie. Zaïre jouit maligne*
ment de la confufion de les compagnes & de l a- *
battement de fa rivale. Le Sultan s appercevant de
l ’impreffion que Ton choix vient de faire fur 1 ef-
prit des femmes du ferrail, & voulant ajouter au
triomphe de Zaïre , ordonne à Fatime , à Zi/na 8c
à Zaïde d’attacher à la Sultane favorite le bouquet
dont il l’a décorée. Elles obéiffent à regret ; 8i
malgré Fempreffement avec lequel elles lemblent
le rendre aux ordres du Sultan,, elles laiffçnt échapper
des mouvements de dépit & de défefpoir ,
qu’elles étouffent en apparence lorfqu elles rencontrent
les yeux.de leur maître.
Le fujtan danfe un pas-de-deux voluptueux avec
Zaïre y & fe retire avec elle.'o ■
Zaïde, à qui le grand - feigneur .avoir feint de
préfenter le bouquet, çonfufe & défefpérée, fe li- .
vre , dans une entrée feule, à la rage & au dépit:1e
plus affreux. Elle tire fon poignard , elle veut s arracher
la vie ; mais fes compagnes arrêtent fon bras
& fe hâtent de la détourner de ce deffein barbare.
Zaïde eft prête à fe rendre , lorfque Zaïre repa-
roît avec fierté ; fa préfence rappelle fa rivale a
toute fa furèur ; celle-ci s’élance avecjprécipitation
fur elle, pour lui porter le coup quelle fe delhnoit;
Zaïre Fefquiv.e adroitement ; elle fe faifit de ce
même poignard , & lève le bras pour en frapper
Zaïde. Les femmes du ferrail fe partagent alors ,
elles accourant à l’une & à 1 autre ; Zaïde defar-
mée profite de l’inffant où fon ennemie a le bras arrêté,
elle fe. jette fur lç poignard que Zaïre porte*
fon côté , pour s’en feryir contr’elle ; mais les iui-
tanes attentives à leur eonferyation, parent le coup.
Dans Finftant, les eunuques appelles par le bruit ,
entrent dans le ferrai! ; ils voient le combat engage
de façon à leur faire craindre de ne- pouvoir rétablir
la paix , & ils fortent précipitamment pour
avertir le fiiltan. Les fnltanes , dans ce moment,
entraînent & féparent les deux rivales, qui font
des efforts incroyables pour fe dégager ; elles y
réuffiffent. A peine font-elles libres, qu elles s élancent
lune fur l’autre avec fureur. Toutes les femmes
effrayées volent entr’elles pour arrêter leurs
coups. Dans le moment le fiiltan fe préfente le
.changement que produit fon arrivée e« un coup |
de théâtre frappant. Le plaifir & la tendreffe fuc.çe-
dent fur-le-champ à là douleur & à la rage. Zaïre .
loin de fe plaindre , montre, par une generofite
ordinaire aux belles âmes , un air de férenite, qui
raffureie fultan , & qui calme les craintes qu il
avoir de perdre l’objet de fa tendreffe. Ce calme
fait renaître la joie dans le ferrail, & .le grand-Jei-
gneur permet alors aux eunuques de donner une
fête à Zaïre ; la danfe dévient générale.
Dans un pas-de-deux , Zaïre & Zaïde fe réconcilient.
Le grand-feigneur danie avec elles un pas-
de*trois, dans lequel il marque topjpurs une pre,-
férence décidée pour Zaïre. , .
Cette fête eft terminée par pne çontredanie noble.
sd|.jnière- figure offrp un.. S'ouppt. pofé fur im
B A L
trône élevé fur des gradins ; il eft compofé des femmes
du ferrail & du grand-feigneur ; Zaïre 8c Zaïde
font affifes à fes côtés. Ce grouppe eft couronné par
un grand baldaquin , dont les rideaux font fiippor-
tés par des efclaves. Les deux côtés du théâtre offrent
un autre grouppe de boftangis, d’eunuques
blancs , d’e.unuques noirs , die muets , de janiffaires
& de nains profternés aux pieds du trône du grand-
feigneur.
Voilà une defçription bien foïble d’un enchaînement
de fcènes , qui toutes intéreffent réellement.
L ’inftant où le grand-feigneur fe décide, celui où 11
il .emmènefia fultane favorite , le combat des femmes
, le grpuppe qu’elles forment à l’arrivée du
fifitan, ce changement fubit, cette oppofition dç
fentfinents , cet amour que toutes les femmes ont
pour elles-mêmes & qu’elles expriment toutes différemment,
font autant de confraftes ■ que je ne
peux faire faifir. Je fuis dans la même impuiffance
relativement aux fcène's fimultanées que j’avois
placées dans ce ballet. La pantomime eft un trait,
fes tableaux qui en xéfultent font rapides comme
l’éclair ; ils ne durent qu’un inftant & font auffitot
place à d’autres. O r , dans un ballet bien conçu , il
faut peu de dialogues & peu de moments tranquilles
; le coeur doit y être toujours agité. Ainfi
comment décrire Fexprefïioa vive du fendirent &
l’a&ion animée de la pantomime ? C ’eft à Famé à
peindre , & e’eft à Famé à faifir le tableau.
L’a&ïon des ballets 9 dont je viens de parler, eff
bien moins longue .3 l’exécution qu’à c la le&ure.
Des fignes extérieurs qui annoncent un fentintent,
deviennent froids & languiffants , s’ils ne font fubi-
tement fuivis d’autres fignes indicatifs de quelques
nouvelles paffions qui lui fuccèdent ; encore eft-il
néceffaire de divifer l’a&ion entre plufjeurs perfon*
nages ; un£ même altération , les mêmes efforts.,
les mêmes mouvements , une agitation toujours
continuelle fatigueroient '&$. ennuieroient enfin &
l’aâeur & le fpeéhteur ; il importe don,c d’éviter
les longueurs , fi l’on veut laiffer à Fexpreffion la
force qu’elle doit avoir , aux geftes leur énergie,
à la phyfjo.nomie fçn ton , aux yeux leur éloquence,
aux attitudes & aux » leurs grâces
à leur vérité.
Le ballet des fêtes ou des jffifgfies du ferrail ,■ diront
peut-être les critiqués vertes dans la leéhire
des romans f pèche contre lé cofiume & les ufages
des Levantins ;ils trouveront qu’il eft ridicule d’introduire
des janiffaires & des boftangis dans la partie
du ferrail, dpftinée aux femmes du grand - feignent,
ils objeâeront encore qu’il n’y a point de
nains à Conftàminople , & que le grand - feigneur
ne les aime pas. . ~ _
Je conviendrai de la'jufteffe de leurs obfervarions
& de l’étendue de leurs connoifïances ; mais je
leur répondrai j que fi mes idées ont choqué là vérité
,. elle n’ont point bleffé. 1a vraifemblan.ee | &
dès-lors jaurai eu raifon de recourir à des licences
rçécefî?irç$,, que tputs les auteurs fe font pérmife?
B A L
dans des ouvrages bien plus- importants que des
ballets. ’ * t i
En s'attachant fcrupuleufement a peindre le ca-
raftère , les moeurs & les. ufages. de certaines nations,
les tableaux feroient fouvent d’une compofi-
tion pauvre & monotone ; auffï y auroit-il de Fin-
juftice à condamner un peintre , ïùr les licences in-
génieufes qu’il âuroit prifes, fi ces mêmes licences
contribuoient à la perfeéfion, à la variété & à l’élégance
de fes tableaux. «
Lorfque les carrières font foutenus, que celui ■
de la nation qu’on représente n’eft point altéré, &
que la nature ne fe perd pas fous des embelliffe-
ments qui lui font étrangers & qui la dégradent ;
lorfqu’enfin Fexpreffion du fentiment eft fidèle,
que le coloris eft vrai, que le clairrObfcur eft ménagé
avec art, que les pofitions font nobles, que les
grouppes font ingénieux, que les majfes f o n t belles
& que le deffin eft correct, le tableau dès-lors eft
excellent, & produit fon effet.
Je'crois qu’une fête turque ou chinoife ne plairoit
point à notre nation, fi Fon n’avoit Fart de FembeL-
lir; & je fuisperfuadé que la manière de danfer de
ces peuples ne feroït point en droit de féduire : ce
coflume exaél & eetie imitation n’offriroient qu’un
fpeâacle très-plat 8c peu digne d’un public, qui
n’applaudit qu’autant que les artiftes ont Fart d’af-
foçier la délicateffe & le goût aux différentes productions
qu’on lui préfente.
Si ceux qui m’ont critiqué fur la prétendue li-‘
cence que j’avois prife d’introduire des boftangis
& des janiffaires au ferrail, avoient été témoins de
l’exécution , de la diftribution & de la marche de
mon b a l le t , ils auroient vu que ces perfonnages ,
qui les ont bleffés à cent lieues d’eloignement,
n’entroient point dans la partie du ferrail où fe tien-»
nent les femmes ; qu’ils ne paroiffoient que dans le
jardin, 8c que je ne les avois affociés à cette fcèhe,
que pour faire cortège & pour rendre l’arrivée du
grand-feigneur plus impofante 8c plus majeftueufe.
Au refte une critique qui ne porte que fur un
programme, tombe d’elle-même, parce qu’elle
n’eft appuyée fur rien. On prononce fur le mérite
d’un peintre, d’après fes tableaux & non d’après
fon ffyle; on doit prononcer de même fur celui du
maître dre ballets, d’après l’effet des grouppes , des
fnuatîbns, des coups de théâtre , des figures ingé-
nieufes, des formes faillantes 8c de Venfemble qui
régnent dans fon ouvrage. Juger de nos productions
fans les v o ir , c’eft croire pouvoir décider
d’un objet fans lumières.
Je parlerai encore de deux ballets , & mon objet
fera rempli. J’en ai dit affez, pour perfuader de
toutes les difficultés d’un a r tq u i n’eft aifé que pour
ceux qui n’approfondiffent rien , & qui imaginent
que l’aâion de s’élever de terre d’un pouce plus
haut que les autres , ou l’idée de quelques mouli--.
nets ou de quelques ron d s , doivent leur attirer
to.uts les fufixages. Dans quelque genre que ce foit,
plus on approfondit, plus les ofiftacles fe multiplient,
8c plus le but auquel on s’efforce d’atteindre,
paroît s’éloigner. Ai.ffi le travail le plus opiniâtre
n’offre-t-il aux plus grands artiftes qu’une
lumière fouvent importune, qui les éclaire fur
leur infuffifance, tandis que l’ignorant, fatisfait de
lui-même, au milieu des ténèbres les plus épaiffes ,
.croit qu’il n’eft abfolumcnt rien au-delà de ce qu’il
fe flatte de favoir.
Le ballet dont je vais parler , a pour titre:
l'Amour corfaire, on. L'embarquement .pour Cythorc*
La fcène fe paffe fur le bord de la mer, dans Fille
de»Mifogyne. Quelques arbres inconnus dans nos
climats embelliffent cette ifle. D ’un côté du théâtre
on apperçoit un autel antique élevé à la divinité
que les habitants adorent ; une fia tue repréfentant
un homme qui plonge un poignard dans le feiii
d’une femme 9 eft élevée au-deffus de l ’autel. Lès
habitants de cette ifle font cruels 8c barbares ; leur
coutume eft d’immoler à leur divinité toutes les
femmes jettées , malheureufement pour elles , fur
ces côtes. Ils impofent la même loi à touts les hommes
qui échappent à la fureur des flots. Le fujet de
la première fcène eft Fadmiffion d’un étranger fau-
vé du naufrage. Cet étranger eft conduit à l’autel,
fur lequel font appuyés deux grands-prêtres. Une
partie des habitants eft rangée autour de ce même
autel, tenant dans leurs mains des maflues avec'
lefquelles ils s’exercent, tandis que lès autres in hilaires
célèbrent par une danfe mÿftérieufe l'arrivée
de ce nouveau profélyte. Celui - ci. fe voit forcé de
promettre.folemnellement d’immoler avec le fer
dont ©n va l’armer , la première femme qu’un def-
tin trop cruel conduira dans cette ifle. A peine commence
t-il à proférer l’affreux ferment, dont il frémit
lui mêinevqÿoiqu il faffe le voeu dans fon coeur
de défobéir au nouveau dieu , dont il em b rafle le
culte, que la cérémonie eft interrompue par fies
cris perçants.pouffes à l’afpeâ d’une chaloupe que
bat iïne' horrible tempête , 8c par une danfe vive
qui annonce la joie barbare , que fait naître Fefpolr
de faifir quelques viâimes» On apperçoit dans
cette chaloupe une femme & un homme qui lèvent
les mains vers le ciel & qui demandent du fecours*
Dorval ( c’eft le nom de l’étranger ) croit reconoî-
tre , à l’approche de cette chaloupe , fa feeur & fon
ami. Il regarde attentivement ; fon coeur eft pénétré
de plaifir 8c de crainte; il les voit enfin hors de danger
: il fe livre fi l’excès d’une fatisfa&ion, & la.
la joie qu’elle infpire eft bientôt balancée par Je
fou venir du lieu terrible qu’il habite., & ce retour
funefte le précipite dans l’abattement & dans la
douleur la plus profonde. L’empreflement qu’il a
d’abord témoigné, a fait prendre le change & en a
impofé aux Myfogyhiens ; ils ont cru voir en lui du
zèle 8i un attachement inviolable à leur loi. Cependant
Clairville 8c Confiance (c'eft le nom des deux
amants ) abordent enfin ; la mort eft peinte fur leur
vifage , leurs yeu x s’ouvrent à peine , des cheveux
I lié rifles annoncent leur effroi, Un.teint pâle & mourant
peint tonte Fhorreur du t r é p a s q u i s’eft pré