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Il eft encore des perfonnes qui'commencenttrop
tard, & qui prennent la danfe dans l’âge où l’on
doit fonger à la quitter. Vous comprenez que dans
cette circôhftance les machines n’opèrent pas plus
efficacement que le travail. J’ai connu des hommes
qui fe donnoient une queftion d’autant plus dou-
louréufe^. que tout én eux étant formé , ils étoient
privés de- cette foupleflè qui fe perd avec la jeu-
neffe ; un. défaut de trente-cinq ans. eft un vieux
défaut ; il n’eft plus temps de le détruire ni de le
pallier, y
Ceux qui naiffent de l’habitude font en grand
nombre ; je vois touts les enfans occupés en quelque
forte à déranger & à défigurer leur conftruc-
tion. Les uns fe déplacent ies chevilles par l’habitude
qu’ ils contrarient de n’être que fur une jambe,
8c de jouer, pour ainfi dire, avec 1 autre, en portant
continuellement le pied fur lequel le; corps
n’eft point appuyé, dans une1 pofition défagréable &
forcée , mais qui ne les fatigue point, parce que la
foibleffe de leurs ligamens & de leurs rnufeles fe
prête à toutes fortes de mouvements ;d autres fauf-
fent leurs genoux par les attitudes qu’ils-adoptent
de préférence à celles qui leur font naturelles. C e lui
ci , par une fuite de l'habitude qu’il prend de retenir
de travers & d’avancer une épaule, fe dé-,
place une omoplate ; celui là enfin , répétant à
chaque inftant un mouvement & une fùuation contraire
, jette fon corps tout d’ un côté, & parvient à
avoir une hanche plus groffe que 1 autre.
Je ne finirais point fi je vous parlois de touts les
inconvénients qui prennent leur fource d’un mauvais
maintien. Touts ces défauts, mortifians pour
ceux qui les ont contrariés, ne peuvent s’effacer
que dans leur commencement. L’habitude qui naît,
de l’enfance fe fortifie dans la jeuneffe, s’enracine
dans l’âge viril, elle eft indeftruélible dans la vieil-
leffe.
Les danfeurs devroient fuivre le même régime
que les Athlètes , & ufer des mêmes précautions
dont ils fe fervoient lorfqu’ils alLoient lutter &
combattre; cette attention les préferveroit .des accidents
qui leur arrivent journellement ; accidents
auffi nouveaux fur le théâtre que les cabrioles, 8c
qui fe font multipliés à mefure que l’on • a voulu
•outrer la nature, & la contraindre à des »étions le.
plus fouvent au deffus .de fes forces. Si: notre, art
exige avec les qualités de l’efprit là.force & l’agilité,
du corps, quels foins ne devrions-nous pas apporter
pour nous former un tempéramment vigoureux
t Pour être bon danfeur, il faut être fobre ; les
chevaux anglois (qu’on me permette la comparaison
) ; deffinés aux courfesrapides., auroient-ils
cette vîreffe & cette agilité qui les diftingue ,8 c qui
leur fait donner la préférence furi :l«s autres Lclie-
vaux, s’ils étoient moins bien-' foigfiésj?iTout ce
qu’ils mangent eft pefé avec la 'plus grande ejfofli-
tude ; tout ce qu’ils boivent eft ferupu1eu (em en t
mefuré ÿ le temps de leur exerci.ee’ eft fixé y .ainfi
que celui de leur repos. Si ces précautions opèrlent
c o u
efficacement fur des animaux robuftês , combien
une vie fage & réglée n’infleuroit-elle pas fur des
êtres naturellement foibles , mais appellés à un
exercice violent & pénible, qui exige la complexion
la plus forte 8c la plus robufte ?
La rupture du ten d on dAchille & de la jambe , le
déboîtement du pied, en un mot, la luxation des
parties quelconques, font communément occafion-
nés dans un danfeur par trois chofcs ; i°. par les
inégalités du théâtre , par une trappe mal allurée ,
ou par du fuif ou quelque chofe femblable qui, fe
trouvant fous fon pied , occafionnent fouvent la
chûte; a0, par un exercice trop violent & trop immodéré
qui, joint à des excès d’un autre genre,
affoibliffent 8c relâchent les parties ; dès-lors il y a
peu de foupleffe ; les refforts n’ont qu’un jeuforcé ;
tout eft dans une forte de deflechement. Cette rigidité
dans les mufcles, cette privation des fucs &
cet épuifement, conduifent infenfiblement aux ac-
cidens les plus funeftes. 30. Par la mal-adrefle &
par les mauvaifes habitudes que l’oncontraéle dans
l’exercice; par les pofitions défe&ueufes des pieds
qui, ne fe préfentant point direélement vers, la terre
lorfque le corps retombe » tournent , ploient 8c
fuccombent fous le poids qu’ils reçoivent.
• La plante du pied eft la vraie bafe fur laquelle
porte toute notre machine. Un fculpteur courroit
rifque de perdre fon ouvrage, s’il ne l’étayoit que
fur un corps rond & mouvant ; la chûte de fa ftatue
ferait inévitable ; elle fe romprait & fe briferoit infailliblement.
Le danfeur, parla même raifon, doit
fe fervir de touts les doigts de fes pieds, comme
d’autant de branches , dont Vécartement fur le fei
augmentant l’efpace de fon appui , affermit & maintient
fon corps dans l’équilibre jufte & convenable ;
s’il néglige de les étendre, s’il n é mord en quelque
façon la planche, pour fe cramponner & fe temr
ferme, il s’enfuivra une foule d’accidents. Le pied
perdra fa forme naturelle ; il s’arrondira & vacillera
fans ceffe & de côté, du petit doigt au pouce,
& du pouce au petit doigt : cette efpèce de roulis
occafionné par la forme convexe que l’extrémité
du pied prend dans cette pofition, s?oppofe à toute
ftabilité ; les chevilles chancèlent 8c fe déplacent,
& l’on fent que, dans le temps où la maffe.tombe-
ra d’une certaine hauteur, & ne trouvera pas dans
fa bafe un point fixe, capable de la recevoir 8c de
terminer fa chûte; toutes les articuiarions feront
hleffées de ce choc & de cet ébranlement-; & l’inf-
tant où le danfeur tentera de chercher unê pofition;
ferme, & où il fera les plus violents efforts pour fe
dérober au danger^ fera toujours celui où il fùccom»
bera , foit enfuite d’une entorfe, Soit enfuite de la
rupture de la jambe ou du tendon. Le paffage fubit
du relâchement à une forte tenfion , de la flexion
i à une extenfion violente ,- eft donql’ôccafianrd’une
i fpule; d’accidents * qui fferoient fans doute moins
I fréquents , fi l’on fe.prêtoir, pour ainfi.dire , à la
! chiite^ &;.filespartiies foi blés ue.temoiem pas de
: réftfter contre un poids qu’elles ne peuvent ni fouc
o u
tenir ni vaincre ; & l’on ne faurôittrop fe precaii-.
tionner contre les fauffes pofitions, puifque les fuites
en font fi.funeftes. ( J L'A
Les chûtes occafionnées par les inégalités du théâtre,
&;autres chofes femblables , ne Sauraient être
attribuées à.noire mal;-adreffe. Quant à celles qui
proviennent.de notre foiblefîe Ôt de notre-abattement
après un excès de travail y §£ enfuite d’un
genre de vie qui nous.conduit à 1 epuifement, çlles
ne peuvent être prévenues que parun changement
de conduite, & 1 par une exécution proportionnée .
aux forces qui nous reftent. L’ambition de cabrioler
eft une ambition folle qui ne mène.à rien. Un bouf-
fon arrive d’Italie : fur-le-champ le peuple danîfant> j
veut imiter xe {àutçurheir liberté ;} les plus foibles |
fon t‘toujours ceux qui font: les plu? grands efforts: |
pour l’égaler & même pour le Surpayer.-: Qn dirait, .
à-voir gigotter. nos danfeurs , qn ilsiSont atteints 1
d’une maladie, qui demande1, pour être guérie , de -
grands fauts., d énormes gambades. Je crois voir la.
grenouille de la fable : elle crev.e en faifanr des ef- .
fprts pour, s’enfler, & lès danfeurs fe rompent & -
seftropient, en voulant imiter lLtalien fort 8c
OèrveiiXi - ’ i. •.
p j g eft un auteur , dont -j’ignore ; le nom çc qui
s’eft trompé groffiérement, en faifanr inférer dans
un livre , qui fera toujours autant d’honneur à notre
nation qu’à notre fiècle, que la flexion des genoux
& leur extenfion étoit ce qui élevoit le çorp$.
Ce. principe eft totalement f a u x & vous ferez conr.
vaincu de l’impoffibilité phyfique.de l’ëffetannon-'
c-é par ce fyftême anti-naturel , f fi vous pliez ies genoux
& fi vous les étendez enfuite. Que l’on faffe
ces divers mouvements, foit avec célérité , foit
avec lenteur, foit avec douceur, foit avec force ;
les pieds ne quitteront point terre ; cette flexion &
cette extenfion ne peuvent élever, le corps, fi les
parties effentielles à la féattion ne jouent pas de
concert. H auroit été plus fage de dire, que l’aâion
de fauter dépend des refforts du corn de-pied, des
mufcles de cette partie & du jeu du tendon d'Achille,
s’ils opèrent une percujjîon ; car on parviendroit
en percutant, à une légère élévation fans le fecours
de la flexion, & par conféquent de la détente des
genoux. • _
• Ce feroit encore une autre erreur, que de le per-
fuader qu’un homme fort & vigoureux doit s’elever
davantage, qu’ un homme foible, & délié: l’expérience
nous prouve touts les jours le contraire.
Nous voyons d’une part des danfeurs qui coupent
leurs temps avec force, qui les battent avec autant
de vigueur que de fermeté , & qui ne parviennent
cependant qu’à une élévation: perpendiculaire fort
médiocre ; car l’élévation oblique ou de côté doit
être .diftingu.ée. Elle eft , fi j’ofe le dire, feijnçe 8Cj
ne dépend entièrement que de l’adreffe. D ’uç,'autre-
côté, nous avons des hommes foibles, dont l’exécution
eft moins nerveufe, plus propre que forte ,
plus adroite quevigoureufe, & qui s’élèvent prod}-
gieufement. Ç ’eft donc àla forme du pied, à Çaqon-
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formation , à la longueur du tendon, à fon élaflici-
té , que l’on doit primitivement l’élévation du corps;
les genoux , les reins 8c les bras coopèrent unanimement
& de concert à cette aâion. Plus laprejjîon
eft forte , plus la rèaElion eft grande, & par conféquent
plus je faut a d’élévation. La flexion des genoux
& leur extenfion participent aux mouvements
du cou - de - pied & du tendon d'Achille , que l’on
doit regarder comme les refforts les plus effentiels*
Les mufcles du tronc fe prêtent à cette opération
& maintiennent le corps dans line ligne perpendiculaire,
tandis que les bras .qui ont concouru imperceptiblement
à l’effort mutuel de toutes les,parties ,
fervent„ pour avnfi dire , d’ailes & de contre-poids
àj la.;,raaçl?fee>;(Gonfidéro#lS: les qifeaujt qui- ont le
ten^Q^minçed^ allongé , les.petfs , Jes chevreuils,
1 les moutons , les chats, le‘s finges, &c. ; vous ver-
I rez querces. animaux ont une vîteflè 8c une facilité
a s’élever, que les animaux différemment conftruits
ne peuvent avoir.
On peut affez communéiqetpt,croire,que les jaip-
î bçs'bpttehfi\QS tèrpps i’eqtréqn|tl, Iprfquç le corps
i ^sômbp.lJe..ç.p.^Lviens‘c j u ç p q ÿ a s fe temps
■ cf examinerno.y^ trompé foulent ; mais la raifort
, 8f. la ,réflexion nous..,dévoilent, enfuite ce que la vî--
tèflç ..ne lui perrnèt ,point d’analyfen Cette, erreur
naît de la précipitation àvèc laquelle lé corps def-,
cend. Quoiqu’il en foit ^ l’entrechat eft fait lorfque
le corps eft parvenu à fon. degré, d’élévation ; lps>
i jaçn.bes 'dans l’inftant(|mperceptibie qpjl .emploie,
j à fétdmbçT , ne font attentives qu’à recevoir le choc ;
&rébranlemeht, que la pefanteur de 1^ maffe leur^
. prépare ;'léur immobilité eft abfôlumen.f néceffaire ;.
s’il n’y avoit pas un intervalle entre les battements
& la chûte, comment le danfeur refomberoit-il, &
dans quelle pofition fes pieds fe trouveroient - ils
En admettant la poflibilité de battre en defeendant,
_ori retranche l’intervalle néceffaire à‘la préparation
de la retombée : or il eft certain que fi lès pieds ren- '
icontroient la terre dans le moment que les jambes '
battent encore, ils ne feroient pas dans une direc-
;tion propre à recevoir le corps , ils füccomberpiént
fous le poids qui les écraferoit, & ne pourroient fe
fouftraire à l’entorfe ou au déboîtement.-
Il eft néanmoins beaucoup de danfeurs qui s’inja*
ginent faire l’entrechat en defeendant - & corïfé-
quemment bien des,danfeurs errent & fe trompent*
!Je ne dis pas , qu’il foit moralement impoflible de
faire faire un mouvement aux jambes par un effort
- violent de la hanche ; mais un mouvement de cette
j efpèce ne peut être regardé comme un temps de
l’entrechat ou de la danfe. Je m’en fuis convaincu
par moi - même, & ce n’eft que d’après des expériences:
réitérées, que je hafarde de combattre une
idée à-laquelle je ne.ferois point attaché, fila plus
grande partie des danfeurs ne s’iappliquoit uniquement
qu’à étudier les yeux.
, , Je fuis monté en effet & plufieurs fois fur une
planche dont les extrémités étoient élevées de terre.
Lorfque je m’appercevois du coup que j ’oi?. alloit