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la prudence , paroît avec fa fuite ordinaire. Elle
vient retirer quelques François du parti d Efpagne,
& fon entrée finit le fécond afte.
Le théâtre repréfente la mer environnée de rochers
& le récit de trois firennes commence le
troifième aSe. Il eft compofé de plufieurs entrées
de néréides & de tritons , après lefquelles 1 Ameri-
que paroît fuivie de fes peuples. Elle prefente fes
tréfors à l’Elpagne , portée fur de riches, gaffions-
qui couvrent la mer. Dans ce momqnt les gallions
françois fe montrent. Ils voguejaira pleines voiles
contre ceux d’Efpagne , les attaquent , les corn-
battent & les brûlent. Le général frt»nǰ‘s vltto'
rieux débarque avec fes troupes & les Maures
qu’il a fait efclaves ; & le troifième afle finit par
cette entrée de triomphe.
Le ciel s’ouvre au commencement de 1 aéte quatrième.
Vénus, l’amour & les grâces qui en def-
cendent font le récit. Mercure , Apollon , Bac-
chus & Momus accompagnés de leur cortege ordinaire
, danfent les premières entrées. L aigle
alors & les lions du premier aéle reparoiffent. Hercule
fort du fond du théâtre pour les combattre ;
mais Jupiter defcend des cieux. Il touche l’aigle &
les lions , pour leur ôter la fureur que les Euménides
leur'avoient infpirée ; il remet la maffue fur
l ’épaule d’Hercule , comme pour le prier de le
contenter de fes exploits, & il danfe enfuite la dernière
entrée avec toutes les divinités du ciel qui
l ’accompagnoient. , . . .
La terre ornée de fleurs & de verdure formoit la
décoration du cinquième aéle. La concorde fur
une machine élégante & riche , entouree de fleurs
& de fruits , parut dans les airs & fit le récit,
t L’abondance, les jeux , les plaifirs , la bonne
chère compofoient la première entrée. Les rejouil-
fances populaires firent la fécondé par des danfes
ridicules & des fauts périlleux. Cardelin , baladin
fameux, y danfafur la corde que des nuages ca-
choient aux yeux des fpeaateurs. Sonentree fut
fuivie de celles qu’exécutèrent les adreffes difléren-
tes du corps perfonnifiées, qui firent leurs exer-
ciccs fur des Rhinocéros.
Plufieurs admirateurs des conquêtes du roi dans
è ren t la dernière entrée avec la gloire qui s envola
& fe perdit dans les airs. C ’eft par ce vol que
fut terminé ce bifarre fpeétacle.
Ouand je confidère ( dit un auteur qui avoit approfondi
cette matière ) , que le fujet de cc. ballet cft la profpéritê des armes de la France , je cherche
ce fujet dans les entrées des T ritons, des Néréides ,
des Mufes, d’Apollon, de Mercure, de Jupiter, de
Cardelin, des Rhinocéros, &c.
Cette compofition raffemble en effet tout le dé- ;
fordre d’une imagination aufii grande que dereglee,
des idées nobles noyées dans un fatras d objets
puériles & fans rapport, an defir exceflif « w e
l ’admiration, des recherches déplacées , de 1 érudition
fans grâces, de la poéfie inutile, beaucoup de
magnificence perdue, & pas la moindre étincelle
de goût.
On fit fervirà ce fpeélacle les débris des décorations
, des habits, des machinés qu’on avoit employés
l’année précédente à la repréfentation de la
tragédie de Mirame ; ouvrage fi peu fait pour rétif-
fir , que tout le pouvoir du premier miniftre ne fut
pas allez grand pour l’empecher de tomber j mais
q u i, à le confidérer philofophiquement, fut ce-
pendânt-le premier fondement de notre théâtre.
Lesfoins'-du miniftère, fes dépenfes, la conf-
truâion d’une falle nouvelle dans Paris , firent
comprendre à la cour & à la ville que les fpeéla-
cles publics , vus jufqu’alors avec allez d’indifférence
, méritoient fans doute quelque confidéra-
tion ; puifqu’ils occupoient la prévoyance , les
foins , les follicitudes d’un minUlre^ que, malgré
toute leur haine , ils étoient forces d admirer.
C ’eft faire beaucoup en France pour un art ;
que de lui donner aux yeux de la multitude un air
d’importance, & telle eft la fupériorité des hommes
vraiment grands que leurs defauts même ont
prefque toùjôurs des côtés utiies. . ,
L ’Italie étoit déjà floriffante : les cours de Savoie
& de Florence avoient montré dans mille «ccafions
leur magnificence & leur galanterie ; Naples &Ve-
nife jouiffoient des théâtres publics de mufique U
de danfe; l’Efpagne étoit en poffeflion de la corne-,
die ; la tragédie que Pierre Corneille n’avoit trouvée
en Frajtce qu’à fon berceau , s’élevoit rapidement
dans fes mains jufqu’au fublime ; notre cour
cependant, au milieu de fes triomphes & fous le
miniftère d’un homme vraiment grand , dont une
économie bourgeoife ne borna jamais les depenfes,
demeuroit plongée dans la barbarie du mauvais
goût. Avec le quart des frais immenfes qu’ôn y
employa pendant le règne de Louis XIII pour une
multitude prefque innombrable de fpeélaclcs dont
elle ne fut pas plus égayée, & qui ne jetterent au- I
cune forte de luftrefur la nation , on auroit pu la
rendre l’admiration de l’Europe. Il ne falloir que
s’y fervir des hommes que le génie & 1 art mettoiettt
en état d’imaginer & de conduire ces fêtes
continuelles , qu’on avoit véritablement envie de
rendre éclatantes. é
La France fera toujours un terroir fertile en ta-
lens, lorfqu’on fçaura je ne dis pas les cultiver ; il
fuffit de ne pas les y étouffer dès leur niiffance.
L’honneur, qu’on me paffe le terme, y eft 1 mole
de la nation ; & c’eft l’honneur qui fut toujours l el-
prit vivifiant des talents en tout genre.
r Entre plufieurs perfonnages médiocres . qui en-
touroient le cardinal de Richelieu , il s etoit « j j
de quelque amitié pour Durand ,- homme maintenant
tout-à-fair inconnu ! & que je n arrache aujourd’hui
à fon obfcurité, que potlr faire connût-
combien les préférences ou les dédains des gens en
Dl3ce qui donnent toujours le ton de leur temps,
influent peu cependant fur l’avenir des arttftes. ,
Ce Durand, cournfan. fans talents
Wand miniftre fans,goût, avoit imaginé & conduit
le plus grand nombre des fêtes de la cour de
Louis XM . Les François qui avoient du génie ,
trouvèrent l ’accès difficile & la place prife ; ils
fe répandirent dans les pays étrangers, & ils y
drent éclater l’imagination, la galanterie , & le
goût qu’on ne leur avoit pas permis de déployer
dans le fein de leur patrie.
La gloire qu’ils y acquirent rejaillit cependant
fur elle ; & il eft flatteur encore pour nous aujourd’hui
, que les fetes les plus'magnifiques & les plus
galantes qu’on ait jamais données à la cour d’Angleterre
, aient été l’ouvrage des François.
Le mariage de Frédéric , cinquième comte Palatin
du Rhin , avec la princeflfe d’Angleterre, en fut
i’occafion & l’objet. Elles commencèrent le pre
tnier jour par des feux d’artifices en a&ion fur la
Tamife. Idée noble, ingénieufe & nouvelle, qu’on
a trop négligée après l’aVoir trouvée, & qu’on au-
roit du employer toujours à la place de ces deffins
fans imagination & fans art, qui ne produifent que
quelques étincelles , de la fumée & du bruit.
Ces feux furent fuivis d’un feftin fuperbe , dont
touts les Dieux de la fable apportèrent les fervi-
ces, en danfant des ballets formés de leurs divers
caradères. Un bal éclairé avec beaucoup de
goût, dans des falles préparées avec une grande
magnificence , termina cette première nuit.
La fécondé commença par une mafcarade aux
flambeaux , compofée de plufieurs troupes de maf-
ques à cheval. Elles précédoient deux grands chariots
éclairés par un nombre immenfe de lumières
cachées avec art aux yeux du peuple , & qui por-
toient toutes fur plufieurs groupes de perfonnages
qui y étoient placés en differentes pofitions. Dans
des coins dérobés à la vue par des toiles peintes en
nuages, on avoit rangé une foule de joueurs d’inf-
trumens. On jouifloit ainfi de l’effet fans en apper-
cevoir la caufe , & l’harmonie alors a les charmes
de l’enchantement.
Les perfonnages qu’on voyoit fur ces chariots
étoient ceux qui alloient repréfenter un ballet devant
le ro i, & dont on formoit par cet arrangement
un premier fpe&acle pour le peuple , dont la
foule ne fçauroit à la vérité être admife dans le palais
; mais q u i, dans ces occafions , doit toujours
être comptée pour beaucoup plus qu’on ne penfe.
Toute cette pompe , après avoir traverfé la ville
de Londres, arriva en bon ordre , & le ballet commença.
Le fujet étoit le temple de Vhonneur, dont
lajuJHce * étoit établie folcnnellement la prctrejje,
Le fuperbe conquérant de l’Inde , le Dieu des
richeffés, l’ambition, le caprice cherchèrent en
vain à s’introduire dans ce temple. L’honnenr n’y
laifla pénétrer que l’amour & la beauté, pour chanter
l’hymne nuptial des deux nouveaux époux.
Rien n’eft plus ingénieux que cette eompofi-
ùon, qui refpiroit par-tout la fimplieité & la galanterie.
Deux jours après, trois cents gentilshommes re*
Equitation % Efcrime & Dunfe,
préfentant toutes les nations du monde & divifés
par ttoupes, parurent fur la Tamife dans des bateaux
ornés avec autant de richeffe que d’art. Ils
étoient précédés & fuivis d’un nombre infini d’inf-
truments qui jouoient fans ceffe des fanfares, en
fe répondant les uns les autres. Après s’être montrés
ainfi à une multitude innombrable , ils arrivèrent
au palais du ro i, où ils danfèrent un grand
ballet allégorique.
La religioh réunijfant la Grande Bretagne au rejle
de la terre, étoit le fujet de ce fpeélacle.
Le théâtre repréfentoit le globe du monde. La
vérité , fous le nom d’Alithie , étoit tranquillement
couchée à un des côtés du théâtre. Après
l’ouverture, les mufes expofèrent le fujet.
Altas parut avec elles. Il d it , qu’ayant appris
d’Archimède que fi on trouvoit un point ferme , il
feroit aifé d’enlever toute la mafle du monde, iL
étoit venu en Angleterre, qui étoit ce point fi difficile
à trouver, &. qu’il fe déchargeoit déformais
du poids qui l’avoit accablé , fur Alithie , compagne
inféparable du plus fage & du plus éclairé des
rois.
Après ce récit, le vieillard, accompagné des
trois mufes , Uranie , Terpjicore & Clio, s’approcha
du globe , & il s’ouvrit.
L Europe, vêtue en reine, en fowit la première,
fuivie de fes filles , la France , l’Efpagne , l’Italie ,
l’Allemagne■ & la Grèce. L'Océan & la Méditerranée
l’accompagnoient, & ils avoient à leur fuite
la Loire , le Guadalquivir, le Rhin , le Tibre &
l’Achéloüs.
Chacune des filles de l’Europe avoit trois pages
caraâérifés par les habits de leurs provinces. La
France menoit avec elle un Bafque , un bas Breton
, un Arragonois & un Catalan ; l’Allemagne ,
un Hongrois , un Bohémien & un Danois ; l’Italie ,
un Napolitain, un Vénitien & un Bergamafque;
la Grèce, un Turc, un Albanois & un Bulgare.
Cette fuite nombreufe danfa un avant ballet ; &
des princes de toutes les nations qui fortirent du
globe avec un cortège brillant, vinrent danfer fuc-
ceffivement des entrées de plufieurs caraélères ,
avec les perfonnages qui étoient déjà fur la fcène.
Altas fit enfuite fortir dans le même ordre les
autres parties de la terre, ce qui forma une divi-
fion fimple & naturelle du ballet, dont chacun des
attes fut terminé par les hommages que toutes ces
nattons rendirent à la jeune princefle d’Angleterre,
& par des préfens magnifiques qu’elles lui firent.
Qu’on compare cette fête remplie d’efprit & de
variété , avec l’aflemblage grofiier des parties ifo-
lées & fans choix du ballet des profpérités des armes
de la France, & on aura une idée jufte des effets
divers que peut produire dans les beaux arts, le
difcernement ou le mauvais goût des gens en place.
La minorité de Louis XIV fut en France l’aurore
du goût & des beaux arts. Soit que l’efprit fe
fût développé par la continuité des fpeâacles publics
. qui font toujours l’école la plus inftnkaive
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