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alors le fond unique de ces pompeufes a Semblées,
Ces fortes d’embelliflements aux bals de ceremonie
. leur ont donné quelquefois un ton de galanterie
& d’e fprit, qui a pu leur ôter l'uniformité
languidante qui leur eft propre.
Ceux de Louis XIV furent magnifiques. Ils fe
reffentoient de cet air de grandeur qu’il imprimoit
à tout ce qu’il ordonnoit ; mais il ne fut pas en fon
pouvoir de les fauver de la monotonie. Il femble
que la dignité foit incompatible avec cette douce
liberté , qui feule fait naître, entretient & fçait varier
le plaifir. En lifant la defcription que je vais
'copier ici du bal que donna Louis XIV pour le mariage
de M. le duc de Bourgogne, on peut croire
avoir vu la defcription de tours les autres.
On partagea, ( dit l'hiftorien que je ne fais que
tranfcrire ) , en trois parties égales la gallerie de
Verfailles, par deux baluftrades dorées de quatre
pieds de hauteur. La partie du milieu faifoit le
centre du bal. On y avoit placé une eftrade de deux
marches , couverte des plus beaux tapis des Gobe-
lins , fur laquelle on rangea dans le fond des fauteuils
de velours cramoifi , garnis de grandes crépines
d'or. C ’eft-là que furent placés le roi & la
reine d’Angleterre , madame la duchefle de Bourgogne
, les princes & les princefies du fang.
Les trois autres cotés étoient bordés au premier
rang de fauteuils fort riches pour les ambaffadeurs ,
les princes & les princefies étrangères, les ducs,
les ducheffes & les grands officiers de la couronne.
D autres rangs de chaifes derrière ces fauteuils
étoient remplt! par des perfonoes de confidération
delà cour & de la ville. .
A droite & à gauche du centre du bal étoient
des amphithéâtres occupés.par la foule des fpeâa-
teurs ; mais pour éviter la confufion , on n’entroit
que par un moulinet l’un après l’autre;
Il y avoit encore un petit amphithéâtre féparé ,. ;
où étoient placés les vingt-quatre violons du roi,
avec fix hautbois & fix flûtes douces.
Toute la gallerie étoit illuminée par de grands
lnftres de criftal & quantité de girandoles garnies
degroffies bougies. Le roi avoit fait prier par billets
tout ce qu’il y a de perfonnes les plus diftin-
guées de l’un & de l’autre fe-xe de la cour & de la
ville , avec ordre de ne paroître au bal qu’en habits
des plus propres & des plus riches ; de forte que
les moindres habits d’hommes coûtoient jufqu’à
trois à quatre cebts piftoles. Les uns étoient de
velours brodé d’or & d’argent, & doublés d'un brocard
qui ccûroit jufqu’à cinquante éci-sl’aune; d'autres
étoient vêtus de drap d’or ou d’argent. Les dames
n’étoient pas moins parées : l’éclàt de leur
pierreries faifoit aux lumières un effet admirable.
Comme j’étois appuyé ( cominue l’auteur que je
copie ) fur une baluftfàde vis-à-vis l’efirade où étoit
placé le ro i, je comptai que cette magnifique af-
femblée pouvoit être cempofée de fept à huit cents
perfonnes, dont les différentes parures formoient J
i n fpeciacie digne d’admiration.
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’ M. & madame de Bourgogne ouvrirent le bal
par une courante , enfuite madame de Bourgogne
prit le roi d’Angleterre , lui la reine d’Angleterre,
elle le ro i, qui prit madame de Bourgogne ; elle
prit Monfeigneur , il prit Madame, qui prit M. le
duc de Berri. Ain fi fucceflivement touts les princes
& les princefies du fang danfèrent chacun félon fon
rang.
M. le duc de Chartres , depuis Régent, y danf»
un menuet Ôt Ame farabande de fi bonne grâce
( i) avec madame la princeffe de Conti , ‘ qu’ils
s’attirèrent l’admiration de toute la cour.
Comme les princes & les princefies du fang
étoient en grand nombre , cette première cérémonie
fut a fiez longue pour que le bal fît une paufe ,
pendant laquelle des fuiffes précédés des premiers
officiers de la bouche, apportèrent fix tables ambulatoires
üiperbement fervies en ambigus ,avec des
buffets chargés de-toutes fortes de rafraîchifie.mens,
qui furent placés dans le milieu du bal, où,chacun
eut la liberté d’aller manger & boire à discrétion
pendant une demi-heure.
Outre ces tables ambulantes , il y avoit une
grande chambre à côté de la gallerie qui étoit garnie
fur des gradins d’une infinité de baffms remplis
de tout ce qu’on peut s'imaginer pour composer
une fuperbe collation dreffce d’une propreté
enchantée. Monsieur , & plufieurs dames & fei-
gneurs de la cour vinrent voir ces appareils & s’y
rafraîchir pendant la pauTe du bal. Je les fuivis aufîi,
ils prirent feulement quelques grenades , citrons ,
oranges , & quelques confiturès féches ; mais fuit,
qu’ils furent fortis, tout fut abandonné à la discrétion
du public, & tout cet appareil fut pillé en
moins d’un demi-quart-d’heure , pour ne pas dire
dans un moment.
Il y avoit dans une autre chambre deux grands
buffets garnis, l’un de toutes fortes de vins , &
l’autre de toutes fortes de liqueurs & d’eau rafraî-
chiffante. Les buffets étoient Séparés par des.balul-
trades , & en dedans une infinité d’officiers du gobelet
avoient le foin de donner, à qui en vouloit,
tout ce qu’on leur demandait pour rafraîchiffe-
mens pendant tout le temps du bal, qui dura toute
la nuit. Le roi en fortit à onze heures avec le roi
d’Angleterre , la reine & lès princes du fang, pour
aller fouper. Pendant tout le temps qu’il y fut on
ne dan fa que des elanfes graves & férieufes , ou Ja
bonne grâce & la bonne nobleffe de la danfe parurent
dans tout Son luftre.
A cette gravité fi l’on ajoute les embarras du cérémonial
, la froide répétition des danfes ,- les réglés
rigides établies pour le maintien de l’ordre de
ces fortes d’affemblées , le filence , la contrainte ,
l’inaélion de tout ce qui ne danfe pas , on trouvera
que le bel de cérémonie eft de touts les moyens de
fe réjouir, celui qui eft le plus propre à ennuyer.
[i] Bonr.et lui avoit dédié fou hjftcire de la danfe > de
laquelle ted tft p'.iî,
11 eft cependant arrivé fouvent que la bifarrene
J circonftances l’a rendu le plaifir a la mode , au
„oint qu’un menuet, danfe avec grâce etoit feul capable
de faire une grande réputation. Dom Juan
d’Autriche, vice-roi des Pays-Bas, partit exprès en
„ofte de Bruxelles , & vint à Pans incognito pour
ïoir danfer à un bal de cérémonie avec Marguerite
de Valois , qui paffoit pour la meilleure danfeuie
de l’Europe- D„ e s ,b al, s maj,q ue,s.
On s’ennuyait à Rome dans les bals de cérémonie
& on s’amufcit dans la célébration des fêtes
fattirnales fous mille déguifements différents. Le
«oût pour le plaifir fit bientôt un feul de ces deux
genres. On garda les bals férieux pour les occa-
fions de grandes répréfentations , & on donna des
bals mafqués dans les circonftances-où Pou voulut
Les aventures que le mafque fervoit ou faifoit
naître, les caraSères divers do danfe qu’il donnoit
occafion d’imaginer , l'amufement des préparatifs ,
le charme de l’exécution , les équivoques badines
auxquelles l'incognito donnoit lieu, firent 8c^de-
voient faire le fuecès de cet amufement, qui tient
autant à l’efprit qu’à la joie. Il a été extrêmement
à la mode pendant près de deux cents ans; on a
fur-tout donné des M s mafqués magnifiques durant
le règne de Louis XIV. Mais les bals publics,
dont je parlerai bientôt , firent tomber touts les
autres pendant la régence , 8c la mode des premiers
n’eft pas encore revenue.
Les Grecs n’ont point eu ce genre , il femble
entièrement appartenir aux Romains. Mais ces derniers
l’ont connu fort tard , 8c il paroît furprenant.
que.les mafqués en ufage aux théâtres des uns &
des autres n’en aient pas plutôt donné l’idée.
La danfe ftmple eft le fond du bal mafqué aufli
bien que des bals de parade. On l’y emploie fans
aftion ; mais on lui a donné prefque toujours un
earaêlère. ,
Parmi les moyens d’amufement fans nombre
que ce genre procure , il a des inconvénients St il
a caufé des malheurs.
Néron mafqué indécemment couroit les rues de
Rome pendant les nuits, tournoit en ridicule la
gravité des fenateurs , St déshonoroit fans feru-
pule les plus honnêtes femmes de Rome.
Dans un bal mafqué que la duchefle de Berri
donna aux Gobelins le 29 Janvier 1393, le roi
Charles VI qui y étoit venu mafqué en fauvage ,
faillît à être brûlé v if par l’imprudente curiofité du
duc d’Orléans. Le comte de Joui 8t le bâtard de
Foix y périrent, le jeune Nantouillet ne fe fauva
qu’en fe plongeant dans une cuve pleine d’eau a
qu’un heureux hafard lui fit rencontrer.
Mais les règles qu’on a établies pour maintenir
l’ordre , la paix 8t la fûreté dans ces fortes, de
plaifirs, en a banni prefque touts les dangers, 8t un
peu de prudence dans le choix des mafearades peut
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aifément en prévenir touts les malheurs.
Des mafearades
Trois efpèces de divertiffements affez différents
les uns des autres, ont été connus fous le nom de
mafearade. , , . . , : ’
Le premier & le plus ancien etoit forme de quatre
, huit, douze & jufqu’à feize perfonnes, qui,
après être convenues d’un ou de plusieurs deguiie-
ments , s’avrangoienr deux, à deux-, ou quatre a
! quatre, & entroient ainfi mafquées dans le bal.
Telle fut la mafearade en fauvage du roi Charles VI
& celle des forciers du roi Henri IV. Les mafqués
n’étoient affujettis à aucune lo i, 8c il leur étoit permis
de faire jouer les airs qu’ils vouloient danfer ,
pour répondre au. caraélère du déguifement quils
avoient choifi. r . ,
La fécondé efpèce était une compofmon régulière.
On prenoit un fujet ou de la fable ou de
l'hiftoire. On formoit deux ou trois quadrilles qui
s’airangeoient fur les caraélères ou fujets choifis ,
& qui danfoient fous ce déguifement les airs qui
étoient relatifs à leur perfonnage. On joignait à
cette danfe quelques récits qui en donnoient les
explications néceffaires. Jodelle , Pafferat, B a il,
Ronfard, Benferade, fignalèrent leurs talents en
France dans ce genre , qui n'eft qu’un abrégé des
grands ballets, 8c qui me paroît avoir pris naiffance
à notre cour. . .
Il y en a une troifième quon imagina en 1675 ,
qui tenoit'auffi du grand ballet, 8c qui, en allon-
géant la mafearade déjà connue, ne fit autre chofe
que d’en changer l’objet principal, en fubflituant
mal-adroitement le chanta la danfe Cette efpece
de compofition théâtrale retint touts les vices des
autres 8c n’étoit fufceptible d’aucun de leurs agréments.’
Te l eft le Carnaval,mauvais-opéra formé
des entrées de la mafearade du même nom, comp
o s e par Benfardeen 1668 , que Lully augmenta
de récits en 16 7 5 , 8c qui réuffit à fon théâtre ,
parce que tout ce qu’il donnoit alors au public etoit
reçu avec enthoufiafme. B B
C ’eft fur-tout à la cour que la mafearade a été
fort en ufage. Ce n’étoit qufun petit genre; mais il
exieeoit de l’èfprit, de la galanterie 8c du goût. Il
n’en eft point avec ces parties qui ne foit digne
d’éloges , 8c qui ne mérite de trouver place dans
l'hiftoire des arts. . , TY ur • ttt Les mafearades que les rois Charles IX , Henri I I I ,
Henri IV 8c Louis XIII ont danfees , font fans
nombre; on en fit une chez le cardinal Mazarin le
2 Janvier i 6;5 , dont étoit Louis X IV . C e ft la
première que le roi ait danfee. Le Carnaval de Benferade,
qu’on exécuta le 18 janvier 1668 , tut la
dernière où ce monarque, père des arts, prit le
mafque. U n’avoit pas encore trente ans.
Des bals publics. '
Le nombre multiplié des bals mafqués pendant
[ le règne de Louis XIV avoit mis au commencer