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dans le dernierfens où elles viennent d’être mues;
en un mot, cette chute foudâine, ce brufqne paf-
fage du pathétique à l’enjoué, du diatonique enharmonique
, ou du chromatique enharmonique à
une gavotte, ou à une forte de pont-neuf, ne me
femble pas moins difcordant qu’un air qui com-
menceroit dans un ton & qui finiroit dans un autre.
J’ofe croire qu’une pareille difparate bleflera toujours
ceux que le plaifir de fentir conduit au fpec-
tacle ; car elle peut n’être pas apperçue par les originaux
qui n’y vont que par.air , & qui, tenant une
énorme lorgnette à la main , préfèrent la fatisfac-
tion d’étaler leurs ridicule^ ., de voir & d’etre vus ,
à celle de goûter le plaifir que lès arts réunis peuvent
procurer.
Que les poètes defcendent du facré vallon ; que
les artiftes , chargés des différentes parties qui com-
pofent l’opéra, agiffent de concert & fe prêtent
mutuellement des fe’coùrs , ce fpeélacle alors aura
le plus grand fuccès. Les talents réunis réufliront
toujours. Il n’y a qu une baffe jaloufie & qu’une
méfintelligence indigne des talents , qui puiffent
pétrir les arts , avilir ceux qui les profeffent, &
s’oppofer à la perfeéHon d’un ouvrage qui exige au-
tantjde détails & de beautés différentes que l’opéra.
Le trio des parques d’Hypolite & A r id e , qui
n’avoit pu être rendu a l’opera tel qu il eft , offre
un exemple de ce genre.. Nous en avions un du
fécond genre dans le tremblement de terre fait
pour le fécond aâe-des Indes Galantes , que l’or-
cbeftre ne put jamais exécuter en 1735 , & dont
l ’effet avoit été néanmoins furprenant dans l'épreuve
ou dans l’effai que des muficiens habiles &
de bonne volonté en avoient fait en préfence de
JV1. Rameau. Si ces morceaux n’euffent pas été au-
deffus des forces des exécutans , croyez-vous qu’un
tambourin qui les auroit fuivis eût été bien placé ,
& tout entr’a&e ne feroit-ilpas mieux employé par
le muficien, s’il lioit le fujet, s’il tâchoit de con-
ferver Fimprefîion faite a & de préparer le fpeéla-
teur à celle à laquelle il veut le conduire.
J’ai toujours regardé un opéra comme un grand
tableau qui doit offrir le merveilleux & le fublime
de la peinture dans rduts les genres , dont le fujet
doit être defliné par le poète, & peint ensuite par
des peintres habiles dans des genres oppofés, qui ,
tous animés par l’honneur & la noble ambition de
plaire, doivent terminer le chef-d’oeuvre avec cet
accord , cette intelligence qui annoncent & qui ca-
raâérifent les vrais talents., C ’eff du poète premièrement
que dépend le fuccès, puifque c eft lui qui
compofe , qui place, qui deffine & qui met à proportion
de fon génie , plus ou moins de beautés ,
plus ou moins d’a&ion fiée par conféquent plus ou
moins d’intérêt dans fon tableau. Les peintres qui
fécondent fon imagination, font le maître de mu-
fique , le maître de ballets , le peintre-décorateur ,
le deffinateur pour le cojîume des habits, & le ma-
chiniffe ; tous cinq-doivent également concourir à
la perfeâion & à la beauté de l’ouvrage, en fuivant
exafiement l’idée primitive du poète , quî, à
fon tou r, doit veiller loigneufement fur le tout.
L’oeil du maître eff un point nécgffaire , il doit entrer
dans touts les détails. Il n’en eft point de petits
& de minutieux à l’opéra ; les chofes qui paroiffent
de la plus foible conféquence choquent , bleffent
& déplaifent lorfqu’elles ne font pas rendues avec
exaéiitude St avec précifion. Ce fpé&açle ne peut
donc fouftrir de médiocrité ; il ne réduit qu’autant
qu’il eff parfait dans toutes fes parties.il faut convenir
qu’un auteur qui abandonne fon ouvrage aux
foins de^cinq perfonnes qu’il ne voit jamais , qui fe
connoiffent à peine St qui s’évitent toutes, reffem-
ble affez à ces pères qui .confient l ’éducation de
leurs fils à des mains étrangères , St q u i, par difli-
,-'pation ou par efprit de grandeur, croiroient déroger
s’ils veilloiçnt à leurs progrès. Que réfulte-t-il
d’un préjugé fi faux ? Tel enfant, né pour plaire ,
devient maufiade St ennuyeux. Voilà l’image du
poète dans celui du père , St l’exemple du drame
dans celui de .l’enfant.
On me dira peut-être , que je fais d’un poète un
homme univerfçl ; non fans doute ; mais un poète
doit avoir de l’efprit St du goût. Je fuis du fenti-
ment d’un auteur , qui dit, que les grands morceaux
de peinture, de mufique Sf de danfe , qui ne frappent
pas à un certain point un ignorant bien organi»
f é , font ou mauvais ou médiocres.
Sans être muficien , un poète ne peut-il pas fentir
fi tel trait de mufique rend fa penfée ; fi tel autre
n’affoiblit pas l’expreffion ;fi celui-ci prête de la
force à la paffion , St donne des grâces St de l’énergie
au fentiment.? Sans être peintre-décorateur , ne
peut-il pas concevoir fi telle décoration qui doit
repréfenter une forêt de l’Afrique, n’emprunte«pas
la forme de celle de Fontainebleau.? Si tel autre qui
doit offrir une rade de l’Amérique , ne reffemble
pas à celle de Toulon ? Si celle-ci qui doit montrer
le pa’ais de quelque empereur du Japon, ne fe rapproche
pas trop de celui de Verfailles ? &c. Si la
dernière qui doit tracer les jardins de Sémiramis,
n’offre qïas ceux de Marly ? Sans être danfeur
maître de ballets , il peut également s’appercevoir
de la confufion qui y régnera, du peu d’exprefiion
des exécutants ; il peut, dis-je , fentir fi fon a&ion
eft rendue avec chaleur, fi les tableaux en font affez
frappants , fi la pantomime eft vraie, & fi le caractère
de la danfe répond 311 caraâère du peuple &
de la natiôn qu’elle doit repréfenter. Ne peut-il pas
encore fentir les défauts qui fe rencontrent dans les
vêtements, par des négligences ou un faux goût',
qui s éloignant du eoftume, détruit toute illufion ?
A-t-il befoiu enfin d’être machinifle, pour s’appercevoir
que telle machine ne marche point avec
promptitude ? Rien de fi fimple que d’en condamner
la lenteur, ou d’en admirer la précifion & la vi-
teffe. Au refte , c’eff au machinifte à remédier à la
mauvaife combinaifon qui s’oppofe à leurs effets,
à leur jeu & à leür aêVivité.
Vn coinpofiteur de mufique devroit favoir la danfe
, ou du moins connoîtrele temps "M la poffibilùe
des mouvements qui font propres à chaque paffion,
pour pouvoir ajufter des traits convenables à routes
les fituarions que le danfeur peut peindre fuccefli-
vement ; mais loin de s’attacher aux premiers éléments
de cet art, & d’en apprendre la théorie, il
fuit le maître de ballet, il s imagine que fon art lé-
lève & lui donne le pas fur la danfe. Je ne difpute-
rai point avec lui, quoiqu’il n’y ait que la fupériorite
gt non la nature du talent, qui putffe mériter des
préféances & des dnlin étions.
La plupart des compcfiteurs fuivent, je le ré
pète , les vieilles rubriques de l’opéra ; ils^ font
des pajfepieds , parce que mademoilelle Prévôt les
■ ge, & vous emploierez alors les rèmédes propres â
la guérifon.
J’ai dit que la plupart des ballets de ce fpeélacle
étoient froids , quoique bien deffinés & bien exécutés.
Eff-ce uniquement la faute du compofiteur?
Lui feroit-il poffible d’imaginer tout» les jours de
nouveaux plans , & de mettre la danfe en aâion à
la fin de touts les aétes de l ’opéra ? Non fans doute»
la tâche feroit trop pénible à remplir ; un tel projet
d’ailleurs ne peut s’exécuter fans des'contradictions
infinies , à moins que les poètes ne fe prêtent à cet
arrangement, & ne travaillent de concert avec le
maître de ballets fur touts les projets qui auront la
danfe pour but.
Voyons ce que fait habituellement le maître de
courait avec élégance ; des mufettes, parce que LriUets à-ce -fpeétacie. & examinons l’ouvrage qu’on
demoifelle Salle & M. Dumoulin le sd a n io ie n t l^ ^ cj-£rjj;)ue p n juj donne une partie de répétition ;
de volupté ; des tambou-
: genre où mademoifelie
avec autant de grâce qu
rins , parce que c’etoit . m t o
Camargo excelloit ; des ckaconnïs enfin & clés
fajfacailles, parce que le célèbre Dup?é s etoit
comme fixé à ces mouvements, qui s’ajuftoient i
à fon goût, à fon genre & à la nobleffe de fa
taille ; mais tours ces excellents fiijets n y font
plus; ils ont été remplacés & au-delà dans des parties,
& ne le fèront peut-être jamais dans les autres.
Mademoifelie Lan y a effacé toutes celles qui brii-
loient par la beauté , la précifion & la hardieffe de
leurs exécutions : c’eff la première danfeufé de l’univers
; mais on n’a point oublié l’expreffion naïve
de mademoifelie Salle ; fes grâces font toujours
préfentes, la minauderie des danfeufes de ce genre
n’a pu éclipfer cette nobleffe & cette fimphcite
harmonique des mouvements tendres, voluptueux,
mais toujours décents de cette aimable danfeufe.
Perfonne n’a encore fuccédé à M. Dumoulin ; il
danfoit le pas de deu x avec une fuperiorite que l on
aura de la peine à atteindre ; toujours tendre , toujours
gracieux , tantôt papillon , tantôt zéphir , un
inftant inconftant, un autre inftant fidèle, toujours
animé par un fentiment nouveau , il rendoit avec
volupté touts les tableaux de la tendreffe. M. Vef-
tris a remplacé le célèbre Du pré , c’eff faire fon
éloge ; mais nous avons M. Lony, dont la fupério-
rité excite l’admiration , & l élève au-deffus de
ceux que je pourrois lui prodiguer. Nous avons des
danfeurs & des danfeufes qui mériteroient ici une
apologie, fi cela ne m eloignoit pas trop de mon
but. Nous avons enfin des jambes & une exécution
que nos prédéceffeurs n’avoienr point : cette raifon
devroit déterminer , ce me femble , les muficiens à
fe varier dans leurs mouvements, & à ne plus travailler
pour ceux qui n’exiftent que dans la mémoire
du public , & dont le genre eftprefqu’éteint,
La danfe de nos jours eft neuve ; il eft abfoluraent
néceffaire que fa mufique le foit auffi.
On fe plaint que les danfeurs ont du mouvement
fans aéfion , des grâces fans expreffion ; mais ne
pourroit on pas remonter à la four ce du mal ? Dé-
voilez-en les caufes, voue l ’attaquerez avec avantail
l’ouvre, & il lit : PROLOGUE ; pajfepied pour Ica
jeux & les plaifir s ; gavotte pour les ris , & rigaudon
pour les fonges agréables. A u PREMIER ACTE : air
marqué p,our lis guerriers , fécond.air pour les n é/nes ;
mufiette.pour prêtre fies. A U SECOND ACTE ; loure pour
les peuples ; tambourin & rigaudon pour les matelots,
AU TROISIÈME ACTE ; air marqué pour les démons ;
air v i f pour les mêmes.. .A-U QUATRIEME ACTE ; en»
trie des Grecs & chaconne, Jdns compter les Vents *
les Tritons , les NiyaJes, les Heures, les fignes du
Zodiaque , les Bacchantes, les Zéphir s , les O ndins
& les fonges fune fie s ; car cela ne finiroit jamais»
Voilà le maître de ballets bien inftruit ! le voilà
chargé de l’exécution d’un plan bien magnifique &
bien ingénieux. Q u ’exige le poète ? Que touts les
perfonnag.es d\\ ballet danfent, & on les fait danfer.
Dé cet abus,, naiffent les prétentions ridicules,
a Monfieur, dit lé premier danfeur au maître de
ballets t je remplace un te l, .& je dois clanfer tel
air ». Par la même raifon , mademoifelie une telle
fe réferve lespajfipieds ; l’autre les mofettes ; celle-
ci les tambourins ; celui-là les loures ; celui-ci la
chaconne; .& ,ce droit imaginaire, cette difpute
d’emplois & de genres fourniffent à chaque opéra
vingt entrées feules , qui font danfées avec des habits
d’un goût & d’un genre oppofés , mais qui ne
diffèrent ni par le çaraâère , ni par l’e f p r i tn i par
les enchaînements de pas , ni par les attitudes ; cette
monotonie prend fa fource de fimiration machinale.
M. Veftris eft le premier danfeur, il ne danfe
qu’au dernier aâe ; c’eft la règle : elle eff au refto
conforme au proverbe , qui aftreint à conferver les
meilleures chofes pour les dernières. Que font les
autres danfeurs de ce genre? Ils eftropient l’original
, ils le chargent ^, n’en prennent que les défauts;
car il eff plus a.ifé de faifir les ridicules , que d’imiter
les perfedions: tels étoient les courtifans d’A lexandre
qui, ne pouvant Uùreffembier par fa valeur
& les vertus héroïques , portoient la tête de côté ,
pour imiter le défaut naturel de ce prince. Voilà
donc de froides copies qui multiplient l’original de
cent manières différentes, & qui le défigurent continuellement.
Ceux d’un autre genre font auffi mauf