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L ’Allemagne nous a devancés dans cette exa&i-
tude, & le modèle qu’on nous y donne , n’eft fuivi
dans ce pays-ci, que par un petit nombre de fei-
gneurs curieux. Il feroit à fouhaiter cependant que
cette curiofité devînt générale, non-feulement pour
n’avoir rien à ajouter à la magnificence , mais particulièrement
pour prévenir les accidents auxquels
on eft expofé , en mettant au carroffe des chevaux
qui n’ont point été affouplis, & qui n’ont pas la
bouche faite.
On croit faire allez pour mettre fes jours en
fureté , que d’atteler deux ou trois fois au charriot
des chevaux neufs, avant que de s’y confier. Cependant
on n’a que trop d’exemples qui nous prouvent
que cette méthode précipitée ne fuffit pas
pour garantir des dangers, & pour empêcher-les
chevaux de carroffe de tirèr de mauvaife grâce-, de
troter de travers, & fur les épaules, de baiffer la
tête', de lever les hanches, de tendre le nez, & de
forcer la main , défauts d’autant plus remarquables,
que les équipages font magnifiques.
Nous allons donc indiquer les qualités que doivent
avoir les chevaux de carroffe, & les moyens
de les leur donner.
En général Un cheval de carroffe doit avoir la
tète bien placée & l’encolure relevée ( ce qu’on
appell^porter beau ) , & troter droit & uni dans les
traits.
La taille ordinaire d’un beau cheval de carroffe eft
depuis 5 pieds jufqu’à 5 pieds 3 ou 4 pouces. Il doit
être bien moulé & fort relevé du devant ; quand
même il auroit le rein un peu bas ( ce qui ferpit
un défaut pour un cheval de felle ) , il n’en parôî-
troit que plus relevé du devant au carroffe. Il doit
être traverfé & affez plein de corps pour n’être
point efflanqué par le travail. Il ne faut pourtant
pas qu’il foit trop chargé d’épaules ni qu’il ait la
poitrine trop large. C ’efi pour le cheval de charrette
, une qualité qui le fait mieux donner dans le
collier, maisc’eftun grand défaut dans les chevaux
de carroffe , qui doivent avoir l’épaule plate &
mouvante pour pouvoir troter librement & avec
• cra^. Il ne doit être ni trop long-ni trop court.
•îCéux qui -font trop courts ont ordinairement la '
-siaüvaife habitude de forger, & ceux qui font trop
longs fe bercent pour la plupart, & vont fur le
mors, n’ayant pas affez de rein pour fe foutenir. :
Un cheval de carroffe doit avoir la jambe belle , j
plate & large, & l’os du canon un peu gros ; fur-
tout les pieds excellents : le moindre accident aux
pieds eft un grand défaut, qui le fait bientôt boiter,
parce qu’il ne peut pas foutenir long temps la
dureté du pavé. Il faut encore bien prendre garde
ajux jarrets, les chevaux de carroffe font plus fumets -
à les avoir défeélueux, que les chevaux de légère
taille, parce que la plupart font élevés dans des
pâturages gras , qui engendrent baucoup d’humeurs
, lefquelles tombent fur les jarrets & fur les
jambes. Le boulet trop flexible efl encore un grand
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défaut, qui empêche un cheval de carroffe'de reculer
& de retenir dans les defcentes.
Un cheval de carroffe bien choifi, & qui a les
qualités que nous venons de décrire, mérite bien
qu’on lui donne les deux premières perfeélions que
tout cheval dreffé doit avoir , qui fon t, la foupleffe
& l’obéiffance. Avec ces qualités il trotera de meilleure
grâce , durera plus longtemps, & répondra
mieux à la magnificence & au bon goût de fon
maître.
Il faut d’abord le trotter à la. longe pour commencer
à l’affouplir, le monter enfuite & lui mettre
l ’épaule en dedans , pour l’arrondir , lui donner
une belle pofture & lui faire la bouche. On doit
auffi lui apprendre à paffer les jambes la croupe au
mur, afin qu’il prenne fes tournants avec plus de
facilité ; car toutes les fois qu’on tourne un cheval
au carroffe, il décrit de côté une ligne circulaire
avec les épaules & avec les hanches, ce qui forme
une efpèce de demi-volte ; & il faut pour cela qù’il
ait appris à paffer librement les jambes l’une par-
deffu s l ’autre, tant celles de devant que celles de
derrière , fans quoi i l s’àttrapperoit, traîneroit les
hanches de mauvaife grâce , ou tourneroit lourdement.
Une autre leçon effentielle qu’il, faut encore
joindre à celle-ci, c’eft de lui apprendre à piaffer
parfaitement dans les piliers, après avoir été affou-
pli au trot. Rien ne donne à un cheval de carroffe
une plus belle démarche, plus fière, plus libre &
plus relevée , que l’aâion du piaffer. Les piliers ont1
encore cela d’avantageux, qu’outre la grâce & la
liberté qu’ils donnent à un cheval, ils lui impriment
la crainte du fouet, & le rendent pour toujours
obéiffant au moindre-mouvement dé cet infiniment.
Une autre chofe qu’on obferve rarement, & que
tout cheval de carroffe doit avoir, c’eft d’être .plié à
la main où il va. Celui qui eft fous la main doit
être un peu plié .à droite ; & celui qui eft hors la
main doit l’être à gauche. Cette pofture augmente
la grâce d’un cheval qui trote bien , lui fait voir fon
chemin, lui tient la croupe fur la ligne des épaules
, & le fait troter ferme & uni d’épaules & de
hanches. Ceux qui ne trotent pas dans cette pofture
ont le défaut, ou de baiffer la tête vers le bout
du timon, ce qui leur fait jetter la croupe dehors
& fur les traits ; ou au contraire, de tendre le nez
& tirer à la main , ce qui eft d’autant plus dangereux
qu’ils peuvent forcer la main du cocher ; ce
qu’on appelle- vulgairement prendre le mors aux
dents ; & ceux qui font dans le carroffe ou aux
environs, rifquent de perdre la v ie , ou d’être ef-
tropiés. On voit fouvent auffi de deux chevaux,
l’un baiffer le nez & l’autre lever la tête, poffure
défagréable, & tout-à-fait difcordante ; ce qui ne
fe ren-contreroit point, s’ils avoient été a j liftés»
Si quelqu’un trouve étrange que je donne les
mêmes principes pour les chevaux de carroffe que
pour ceux de manège , qu’il examine les attelages
des feigneurs curieux en beaux équipages, qui
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I font dreffef leurs chevaux, au manège, _avant que
de les mettre au carroffe, & il fera perfuade de la
1 différence d’un cheval dreffé à celm qui ne 1 eft
point. Je ne demande pas qu’on confirme un cheval
| de carroffe , comme celui de manege, dans 1 obeil-
I fonce pour la main & les jambes, je veux fimple-
■ ment qu’on le dégourdiffe , qu’on lui faffe la bon- I che & fur-tout qu’on lui apprenne a pianer, a
I craindre le fouet, & à obéir au moindre mouve-
i ment qu’on en fait. Je aie confeillerois pas non
I plus d’employer ces règles pour toutes fortes de
B chevaux de carroffe \ je ne parle que de ceux dont
Bla figure & le prix méritent ce foin , & j’abandonne
I le s chevaux mal bâtis , ou ces gros lourdauts de
■ ftruélure monftrueufe au caprice de leur nature,
1 & à la routine des cochers.
|D e LA BEAUTÉ ET DE LA BONTE- DU CHEVAL,
( D u p a t y . )
La beauté eft le choix des formes agréables renfermées
dans la nature. Chaque objet-, chaque être
a fes beautés & fes difformités. On en voit peu qui
raffemblent toutes les pérfeâions dont ils font fuf-
[ceptibles.
Les animaux ont une beauté analogue à leur
fftru&ure : la beauté du taureau ne reffemble en
rien à celle du lion. Sans contredit le cheval eft
[celui de tous dont les formes font les plus belles ,
|les contours les mieux arrondis, & l’enfemble le
plus flatteur à l’oeil. Si les hommes euffent confulté
[l’agrément d’un beau cheval, & fon air noble & pacifique
en même-temps , ils n’euffenc pas balancé
! à lui donner la prééminence fur la majefté terrible
[du lion. Cet animal n’a rien de féduifant dans fa
forme ; tout indique la pefanteur. Le cheval au
[contraire , élégamment formé , femble voler &
s’échapper comme une nuée, légère. Ces animaux
fi différents ont tous deux leurs beautés.
[ - Le cheval doit la fienne à la perfeêlion des proportions
bien établies entre fes membres, au paf-
[fage infenfible de leurs formes adoucies les unes
[dans les autres, à l’arrondiffement de fes mufcles
[bien détachés & affez fenfibles pour être diftingués.
iC ’eft pour cela qu’un cheval maigre plaît moins , ■ &
lqu’il n’eft connu que des gens inftruits. Le vrai
iconnoiffeur le juge par fon enfemble ; & il pré-
ifume que dans l’état d’embonpoint, les formes démaillées
feront d’accord avec la belle proportion.
I La fierté du regard du cheval, la légèreté de fa
[courfe, les attitudes nobles & fières fous lefquelles
I il fe préfente , font encore des beautés. On eftime
fur-tout ce feu dans les yeux , & cette ardeur pour
la courfe, qui embellit l’animal en animant tous
fes membres. La foupleffe de fes mouvements &
[ l’adreffe de fes jambes contribuent fingulièrement
| à fa beauté.
I C ’eft dans les plaines verdoyantes qu’il eft fatis-
[ faifant de voir un jeune courfier bondir avec
gaieté. C’eft là qu’abandonné à la nature, il s’em-
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bellit lui - même en fe livrant à l’ardeur qui le
tranfporte. C ’eft au milieu des haras, que le cheval
fe montre dans toute fa parure naturelle, lorfque,
près de la cavale , il s’empreffe à l’envide lui faire
remarquer la beauté de fon corfage, la nobleffe de
fon p or t, & la foupleffe de fes jarrets. C'eft dans
la nature , comme dans le meilleur livre, que nous
devons aller prendre cette idée du beau, bien rétrécie
dans nos villes & dans nos pompes publiques.
C ’eft là que nous devons chercher les traits
qui le forment. Tout le monde le fent, eft pénétré,
enthoufiafmé à fa vue : mais qui peut le définir &
le fixer? Le goût, le goût feul nous diéle des rèf
gles auxquelles nous nous foumettons par le plaifir
qu’elles nous caufent.
Outre la beauté.générale de l’efpèe.e, chaque individu
a la fieiine particulière. Il eft bien rare que
ces beautés fe trouvent tellement réunies, qu’il ne
s’y rencontre quelque défaut. Lorfque le vice eft
peu confidérable, il ne fert qu’à relever les autres
perfections ; autrement il fait regretter la peine
que la nature a prife. Comme toutes les beautés
ne fe rencontrent pas réunies , on appelle beau
cheval, celui qui en a le plus.
On ne doit pas confondre les beautés de la nature
pure & encore brute , avec les hautes faélices
de l’art. Un cheval, naturellement beau , a pour
l’ordinaire encore plus de beauté lorfque l’art fait
étaler & mettre au jour fes belles formés. Celui au
contraire que l’art feul a façonné , n’a qu’une
beauté d’emprunt qui fe perd aifément , & qui
porte une empreinte moins caraêlérifée. On vient
à bout de donner de la grâce au cheval, de le placer
, de donner de l’air à fa tête : fi la nature n’a
fait les premiers frais , ce mafque tombe aifément.
La vraie beauté, dans un. cheval , eft moins ce
qui plaît & ce qui eft agréable au premier coup-
d’oe il, que le réfultat d’un bel enfemble. Les Maquignons
qui ont intérêt deféduire, donnent au
cheval de l’inquiétude & non de la fierté ; un contour
forcé , & non des formes bien d’accord entre
elles. Celui que le clinquant éblouit court rifque
d’acheter un cheval qui dégénérera lorfque la douceur
& la fécurité le rendront à fa nature. Ce n’eft
donc pas dansTinftant de la fougue & de l’emportement,
qu’on peut juger l’animal, c’eft 'dans une
fituation calme & tranquille , dans laquelle chaque
membre fe déploie avec, fageffe , & préfente fans
affe&ation les traits purs & coulants de la beauté.
Méfiez - vous donc de cet appareil d’inftruments
apprêtés pour embellir le cheval : ce qu’il fait par
crainte & fous les coups n’eft qu’une grimace arrachée
par la douleur.
Si l’art s’unit à la nature pour embellir le cheval ;
il fera encore plus agréable à voir. Mais ce ne fera
que par un ménagement continuel des forces de
l’animal, qu’on l’embellira. La colère & la fureur
prennent aifément la place de la fieité & de la v igueur
, fi on excite des fenfations douloureufes.
L’animal n’eft béas queutant que l’attitude fa&ice