
3 7 0 , B A L . _
de lui être favorable.!Celle-ci lui promet de s’inté-
reflfer en fa faveur, mais elle lui expofe le danger
qu’elle court d’être feule avec lui ; elle craint la
jaloufie de Fernand. Le François toujours pétulant,
& plus occupé de Ton amour que des inquiétudes
d’Inès, fe jette à fes genoux, pour la preffer de ne
point oublier de parler à Beatrix. Fernand par o it,
'& fans rien examiner, il s’élance avec fureur fur
Clitandre ; il lui Taifit la inain dans Tinftant quil
baife celle d'Inés & qu’elle fait des efforts pour
s’en défendre; & fur-l'e-éhâmp il tire un poignard
pour le frapper ; mais Inès pare le coup, Si Béatrix
attirée par le bruit, couvre de fon corps celui de
fon amant, L’Efpagnol dès cet inftant interprète le
fentiment d'Inès à fon défavanrage ; il prend fa
compafîion pour de la tendreffe , fes craintes pour
de l’amour; excité par les imà'ges que la jaloufie
porte dans fon coeur , il fe. dégagé- d’Inès & court
fur Clitandre. La fuite précipitée dé ce lu i-c i le
fauve du danger ; mais l’Efpagnol au défefpoir de
n’avoir puaffouvir fa rage, fe retourne avec promptitude
vers Inès pour lui porter le coup- qu’il defti-
noit à fon'prétendu rival. Il veut la frapper , mais
le mouvement ' qu’elle fait pour voler au devant
du bras qui la menace, arrêteTe tranfport du jaloux
& lui fait tomber le fer de la main. Un gefte
d'Inès femble reprocher à fon 'amant fon injuliice.
Défefpérée de furvivre au foupçon qu’ il a conçu
de fon infidélité, elle tombe fur un fauteuil : Fernand
toujours jaloux , mais honteux de fa barbarie ,
fe jette fur un autre fiëge. Les deux amans offrent
l’image du défefpoir & de l’amour en courroux.
Leurs yeux fe cherchent'& s’évitent, s’enflamment
& s’attendriffent. Inès tire une lettre de fon fein ,
Fernand l’imite ; chacun y lit les fentiments de
l ’amour le plus tendre ; mais tous deux fe croyant
trompés , déchirent avec dépit ces premiers gages
de leur amour. Egalement piqués de ces marques
de mépris , ils regardent attentivement les portraits
qu’ils ont l’un de l’autre, & n y voyant plus que
les traits de l’infidélité & du parjure , ils les jettent
à leurs pieds. Fernand exprime cependant 'par fes
cefles'ëe fes regards combien ce facrifice lui déchire
le coeur ; c’êft par un effort violent qu’il"fe
défait d’un portrait qui lui eft fi cher ; il laiffe tomber
, ou pour mieux dire, il le-laide échapper avec
peine'de fes mains. Dans cet iâftant il fe jette fur
fon fiège, & fe livre à la douleur & au défefpoir.
Béatrix , témoin de cette fcène , fait alors des efforts
pour les raccommoder, & pour les engager
l ’un & l’autre à s’approcher réciproquement. Inès
fait les premiers pas ; mais s appêrCevant que Fernand
ne répond point à fon emprêffement, elle
prend la fuite ; Béatrix l’arrête fiir-le-champ y 8c
l ’Efpagnol voyant que fa maîtréffe. veut l’éviter,
fuit à fon tour avec un air d’accablement & de
dépit.
Béatrix perfide, & veut toujours les contraindre
à faire la paix. Pour cet effet elle les oblige à fe
donner la main ; ils fe font tirer i’un & l'autre ,
B A L
maïs elle parvient enfin à les rapprocher & à les
réunir. Elle les confidère enfuite avec un lourire
malin. Les deux amans n’ofant encore fe regarder ,
malgré l’envie qu’ils en ont, fe trouvent dos à dos ;
infenfiblement ils fe retournent. Inès, par un regard
, allure le pardon de Fernand ,-qui lui baife la
main -avec tranfport ; & ils fe retirent tous trois
pénétrés de la joie la plus vive.
Clitandre paroît fur la fcène. Son entrée éft un
monologue ; elle emprunte fes traits de la crainte
& d e l’inquiétude. Il cherche fa maîtreffe ; mais
appercevant Fernand, il fuit avec célérité. Celui-
ci témoigne à Béatrix fa recônnoiffance ; mais comme
rien ne reffemble plus à 1 amour que 1 amitié
Inès qui .le furprend" tandis qu’il baife la main à
Béatrix , en prend occafion pour fe venger de la
fcène que la jaloufie de Ton amant lui a fait effuyer.
Elle feinc d’être jaloufe à fon tour. L’Efpagnol la
croyant réellement affeâée de cette pafîiori , cherche
à la détromper en lui donnant de nouvelles
affurances de fa tendreffe ; elle y paroît inferifible,
& ne le regardant qu’avec des yeux troublés & menaçant
, elle lui montre un poignard ; il frémit , il
recule de frayeur ; il s’élance^pour le lui arracher,
mais elle feint de s’èn frapper ; elle chancèle &
tombe dans les bras de fes fuivantes. A ce fpeéia-
cle Fernand demeure immobile ‘Si fans fentiment,
Si n’écoutant foudain que fon défefpoir , il s y
livre tout enrièr & tente de s’arracher la vie. Tous
les Efpagnols fe jettent fur lui Si. le défarment ;
furieux, il lutte.'contre eux & cherche à réfifter à
leurs efforts ; il en terraffe plu fleurs , mais accable
par le nombre & par fa douleur , fes forcés diminuent
infenfiblement , fes jambes fe dérobent foi s
lui , fes yeux s‘obfeurci'ffent~& Te ferment, . fes
traits annoncent la mort, il tombe évanoui dans
les bras des Efpagnols.
Inès qui , dans les commencements de cette
fçène, jouiffoit du plaifir d’une vengeance qu’elle
croyoit innocente & dont elle ne prévoyoit point
les fuites , s’appercevant de fes trifies-effets-, donne
les marquesTes plus convaincantes de la fin cerne
de fon repentir ; elle vole à fon-amant , le ferre
tendrement dans fes bras, le prend par la main ,
& s’efforce de le rappeler à la vie. Fernand olivre
les yeux ; fa vue paroît troublée , i l ( tourne la tete
du côté d’Inés ; mais quel eft fon étonnement , il
croit à peine ce qu’il voit ; il ne peut Te perfuar
der qu’l nés vive encore; & doutant de fon bonheur,
il exprime tour-à-tour fa furprife, fa crainte,
fa joie, fa tendreffe & Tonrayiffement ; il tombe
aux genoux de fa maîtreffe, qui le reçoit dans les
bras avec les. transports de l’amante la plus pa -
fionnée. I
Les différens événements que cette fcène a produits
rendent l’avion générale ; le plaifir s’empare
de touts les coeurs ; il fé maniféfte par les dan c.
où Fernand, Inès , Béatrix b Clitandre prefidenr.
Après olulieurs'pas particuliers qui peignent len-
B A L
jouement' & la volupté, le ballet eft terminé par
« une contre-danfe générale. , ,, , n
Il eft aifé de s’appercevoir que ce ballet n eit
qu’une combinaifon des fcènes les plus faillantes
de plufieurs drames de notre théâtre. Ce font des
tableaux des meilleurs maîtres que j’ai pris foin de
réunir. e ,
Le premier eff pris de M. Diderot ; le, fécond
offre un coup de théâtre de mon imagination , je
veux parler de l’inftant où Fernand lève le bras fur
Clitandre. Celui qui le fuit eft tiré de Mahomet II
lorfifu’il veut poignarder Irene , & qu’elle lui dit en
volant au-devant du coup :
Ton bras efl fufpendu, qui F arrête ? ofe tout ;
Dans un coeur tout à toi laijje tomber le coup.
La fcène de dépit, les lettres déchirées & les
portraits rendus avec mépris , préfentent la fcène
du dépit amoureux de Moliere. Le raccommodement
de Fernand è’ d'Inès n’ eft autre chofe que celui de
Mariane 6* de Valcre du Tartuffe , ménagés adroitement
par Dorine. La feinte .jaloufie d Inès eft un
épifpdede pure invention. L’égarement de Fernand,
fa rage , fa fureur, fon défefpoir ,oc fon accablement
font l’image des fureurs d'Orefte de VAndro-
maque de Racine. La reconnoiffance enfin eft celle
de Rhadamijle & Zénobie de M. Crébillon. Tout ce
qui lie ces tableaux pour n’en former qu’un feul
eft de. moi. •> r
On voit que ce ballet n’eft.exactement qu’un ef-
fai que j’ai voulu faire pour fonder le goût du public,
& pour me convaincre de la pombilité qu’il,
y a d’affocier le genre tragique à la danfe. Tout eut
du fuêcès Sans.ce ballet,, fans en excepter même la
fcène du dépit, jouée partie affis & partie debout ;
■ elle pa«rut auffi v iv e , auffi animée Si. aufli naturelle
que toutes les autres. Il y a dix mois que l’on voit
ce fpeélacle & qu’on le voit avec plaifir ; effet certain
de la danfe en aélion;elle paroît toujours nouvelle
, parce qu’elle parle à l’ame , & qu’elle inté-
reffe également le coeur & les yeux;
J’ai pafl’é légèrement fur lés parties de detail,
pour épargner l’ennui qu’elles auroient pu caufer ;
& je vais finir par quelques réflexions fur l’entêtement,
la négligence & la pareffe des artiftes-, &
fur la facilité du public à céder aux impreffions de
l'habitude.
Que l’on confulte touts ceux qui applaudiffent
indifféremment, & qui croiroîent avoir perdu l’argent.
qu’ils ont donné à la porte , s’ils n’avoient
frappé des pieds ou des mains, ; qu’on leur demande,
dis-je , comment ils, trouvent la danfe &
les ballets} Miraculeux, répondront-ils, ils font
du dernier bien ; & les arts agréable.? font éton-
nans. Repréfentez-leur qu’il y a des changements à
faire , que la danfe eft froide , que; les ballets n’ont
d’autre mérite que celui du deftin , que l’expref-
fion y eft négligée , que la pantomime eft inconnue,
que les plans font vuidestde fens , que.i’on s'attache
à peindre des. fuj-ets trop minces, ou trop vaf-
B A L 3 7 1
te s , & qu’il y auroit une réforme confidérable à
faire au théâtre, ils vous traiteront de (lupide &
d’infenfé ; ils ne pourront s’imaginer que la danfe
■ & les ballets puiffent leur procurer des plaifirs plus
vifs». Que l ’on continue, ajouteront-ils, à faire
de belles pirouettes, de beaux entrechats ; que l’on
fe tienne longtemps fur la pointe du pied pour
nous avertir des difficultés de 1 art ; quon remue
toujours leS jambes avec la même yîtefle , & nous
: ferons contens. Nous ne voulons point de changement;
tout eft bien, & l’on ne.peut rien faire de
plus agréable. « Mais la danfe, pourfuivront les
i gens de goût, ne vous caufe que des fenfations
médiocres, & vous en éprouveriez de bi.en plus
vives , fi cet art êtoit porté au degré de perfeâion
oit il peut atteindre. ^ f
Nous ne nous foucions pas, répondront-ils ,
que la danfe & les ballets nous attendriftent, qu ils
nous faffent verfer des larmes ; nous ne voulons
pas que cet art nous occupe ferieufement ; le rai-
fonnement lui ôteroit fes charmes ; c eft moins à
l’efprit à diriger fes mouvemens^ qu’à la folie ; le
bon fens l’anéantiroit ; nous prétendons rire aux
ballets , caufer aux tragédies, & parler petites mai-
fons , petits foupers & équipages à la comédie ».
Voilà un fyftême afiez général. Eft il poftible que
le génie créateur fôit toujours perfécuté ? Soyez
| ami de la vériié , c’eft un titre qui révolte touts
ceux qui la'- craignent; M. de Cahufac dévoilé les
beautés de- notre art , il propofe^des embellilfe-
ments néceftfaires; il ne veut rien, oter a la danfe ;
il ne cherche, au contraire, qu a. tracer un ^chemin
• fûr dans lequel les danfeurs ne puiiTent s egarer ;
on dédaigne de le fuivre. M. Diderot, ce philofo-
■ phe ami de la nature , c’eft-à-dire, du vrai & du
beau fimple , c h e r c h e également àtenrichir la fcène
françoife d’un genre qu’iL a moins puife dans fon
imagination que dans l’humanité ; il voudroit fubf-
tituer la pantomime aux-,maniérés ; le ton- de. la nature
au ton ampoulé de 1 art , les habits fimples
aux colifichets & à l’oripeau ; le vrai au fabuleux.;
l’efbrit Sc le bon fens au jargon, entortille, a
ces petits portraits mal peints qui font grimacer la
nature & qui l’enlài.diffen.t,; il voudroit, dis-je ,
que la comédie françoife méritât- le, titre glorieux
de l’école des moeurs; que les contrains fuflent
moins, choquans & ménagés avec plus dart;qu&
les vertus enfin n’euffent pas befoin d être oppofees
, aux vices pour êtie aimables, & pour fedutre, parce
que ces ombres trop, fortes , lom; de, donner de la
■ valeur aux objets & de les éclairer,les affoibliffenç
& les éteignent ; mais.touts, fes, efforts font un*
! PULe Haité de M. de Cahufdç. fur la danfe eft anffï
néceffaire aux danfeurs,, que. l'étude de la chronologie
eft indifpenfable à ceux qui veulent ecnre
l’hiftoire ; cependant il a été critiqué des perfonnes
de l’art il a même excité les, fanes plaifantenes de
ceux qui, par de certaines raifons , ne pouvotent
n ile lire ni l’entendre. Combien le mot pantomime
A a a il