
4°° Ç V amour v if pour la gloire qui l’élève tôt ou tard au
plus haut degré.
Mais comment admettre au théâtre , comment
croire agréable , comment fuppofer poffiblé un
genre de danfe que les grands maîtres n’ont point
pratiquée, qu’ils ont peut-être dédaignée, & qui
fans doute leur a paru au moins un obftacle au développement
des grâces, a la précifion des mouvements
, à la perfeâion des figures ?
Voilà les forts arguments ou plutôt les grands
préjugés contre la danfe en aftion. Il faut les dif-
cuter avec ordre & l’un après l’autre. Le propre de
ces fortes d’erreurs eft de cacher la véritable route
qu’on doit fuivre. C ’eft un faurf jour qui change les
objets, en leur prêtant des couleurs quils nont
pas. Détruire un préjugé qui refroidit la chaleur
des artiftes, eft un des plus utiles feçours qu’on
• puiffe prêter à l’art,
Preuve de U poffibilité de la dqn[e en allion,
La parole n’eft pas plus exprefiive que le. gefte.
La peintura qui retrace à nos yeuxlas images les
plus fortes ou les plus riantes , ne les compofe que
des attitudes , du mouvementées bras , du jeu des
traits du vifage, qui font les parties dont la danfe
eft compofée comme elle.
Mais la peinture n’a qu’ qn moment qu’elle
puiffe exprimer. La danfe théâtrale a touts les moments
fuccelfifs qu’ellq veut peindre. Sa marche va
de tableaux en tableaux, auxquels le mouvement
donne la vie, Il n’eft qu’imité dans la peinture. Il
gft toujours réel dans la danfe.
Elle agit toujours par fa nature. Il ne lui manque
fur notre théâtre que l’intention, Elle va à droite
& à gauche : elle avance & recule ; elle defline des
pas. Il ne faut que l’arrangement de ces mêmes
chofes pour rendre aux yeux quelque aéiion théâtrale
que ce puiffe.être.
L’hiftoire de l ’art prouve que les danfeurs de génie
n’ont eu que ce feulfecours pour exprimer toutes
les pallions humaines, & les poffibilités font
dans roufs les temps les mêmes. j
En 173a , Mademoifelle Sallé repréfenta à Londres
, avec le plus grand fiiccès , deux actions dramatiques
comptâtes , l’Ariane le Pigmalion.
Il n’y a pas trente ans que feu Madame la du.i
cheffe du Maine fit compoler des fymphonies (par
Mouret) fur la fpène du quatrième aéle des Hora-
ces, dans laquelle le jeune Horacerue Camillp. Un
danfeur Sc une daufeufe repréfentèrent cette aâion
à Sceaux ; & leur danfe la’ peignit avec toute la
force 8c le pathétique dont elle eft fufceptible.
Nous voyons touts'les jours le bas comique
rendu avec naïveté par la danfe. L Italie eft en pof-
feffton de ce genre ; & il n’eft point d’aâion de cette
efpèce qu’on ne peigne fur fes théâtres d’une manière
(mon parfaite, du moins fatisfàifante.. O r , Ce
que la danfe fait par-delà les monts dans le bas,
ne fçaufoir lui être impoflible en France dans ,
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le noble puîAju’elle y eft très-fupérienre par le
nombre des fujets & par la qualité des ralents.
On ne doit fe défier ni de Tes forces ni de l’a r t,
lorfqu’on à l’ambition d’exceller. Ce que les Romains
ont vu faire à Pylade & à Batylle peut encore
etre exécuté par de jeunes gens exercés, qui ont
touts les mouvements exprelïifs & faciles, La danfe,
fur notre théâtre, n’a plus befoin que de guides ,
de bons principes, & d’une lumière q u i, comme
le feu façré , ne s’éteigne jamais. Q u’on fe perfuade
que lefièclequi a produit,dans les lettres, l’efprit
des loix , la Henriade, l’hiftoire naturelle & [’encyclopédie
, peut allçr aufli loin , dans les arts, que
le fiçcle même d’Auguftç.
Supériorité 6» avantages de la danfe en aéiion.
La danfe en a&ion a fur la danfe fimple , la fu*
périorité qu’a un beau tableau d’hiftoire fur des de?
coupures de fleurs. Un arrangement méchanique
fait tout le mérite de la fécondé. Le génie ordonne ,
tüftrifcuie, cQmpofe la première. Tout le monde
peut faire dçs dèpoupures, il n’y a nul mérite à les
faire même fupérieurement. On marche dans les
{entiers difficiles qui •conduifent au temple de mé?
moire à côté de Montefquieu , jorfqu’on peint
comme Vanloo.
Les avantages d’un genre fur un autre, font en
proportion des moyens qu’il procure de développer
le talent plus fréquemment ôc avec moins de difficulté.
O r , le talent fqppofé dans le danfeur, la danfe
en a&ipn lui fournit autant de moyens d’expreffion
qu’il y a de pallions dans l ’homme $ autant de ta-?
^leaux-qu’il y a dans la nature de manières d’être •>
autant d’occafions de les varier qu’il y a de façons
différentes de fentir & d’exprimer.
Un grand peintre a commencé par affurer fa
niain, L’art du deflein fa réglée* Il a d’abord tracé
quelque partie d’une figurç, & fucceffivement al?
lant d?études en études , de progrès en progrès , il
a deffiné la figure entière. Ç ’eft la danfe fimple.
î$on imagination s’eft échauffée par les chefs-
d’oeuvre qui l’ont frappée ; fon talent s’eft développé
pgr 1 étude confiante de la nature. Il faifit
alors le pinceau. Les grands hommes renaiffent,
Jes éyénçmcnts mémorables fe retracent ; les couleurs
parlent, la toile refpire. C ?eft la danfe en action.
Jeunes talents qui entre? dans la carrière du
théâtre , étudiez la nature , approfondirez l’art.
Venez, Suivez la multitude qui courtjjen foule dans
le fallon du louvre ; mais ne regardez pas comme
elle fan§ voir. Recueillez-vous; apprenez à peindre
, ou ne prétendez à aucune forte de gloire.
Vous vous arrêtez au premier pas ? Eh quoi ( di-
tes-vous )on a donc trouvé le fecret de peindre
l’efprit ! je vois dans ces-portraits le caraâè.re , le
fentimenr, la vie. Dans l’arrangement pittoréfque
de5 traits du premier, je devine que 1s fpuyepir
* ■ ■ !f : ' de
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S& ce qu’lia entendu le confole de ne plus entendre.
Je découvre des étincelles de génie à travers
l’aimable gaieté qui me féduit dans le fécond. C eft ,
un philofophe quj»’eft fêrleux qu’avec fes livres.
Il rit, joue, & radine dans le inonde avec les
hommes.. . Un fiot nous entraîne. le vous fuis ....
quelle attention ! quel filencet
Vous admirez le pinceau mâle qui met fous vos
yeux la difpute de Saint Auguftin contre les Dona-
tiftes. L’expreffion qu’il répand dans touts les traits
de Saint Charles Borromée paffe jufqu’au fond de
votre coeur. Tournez la tête : parcourez ces quatre
tableaux , où une allégorie fine & délicate vous retrace
les arts libéraux. Que pourrroit produire de
plus aimable la main même des Grâces ?
Voilà les reffources fans nombre que les images
fourniffent au véritable talent. Plus la danfe, comme
la peinture , embrafiera d’objets, & plus elle
aura de moye-ns frèquens de déployer les belles
proportions , de les mettre dans des jours heureux,
de leur imprimer ie feul mouvement qui peut leur
donner une forte de vie.
On ne fçauroit faire qu’un feul tableau de toutes
les danfes Amples qu’a exécutées, pendant vingt
ans , le meilleur danfeur moderne. Voyez que de
jolis Tenïers naifîent chaque jour fous la main le-
,gère de Dehefle.
Rejfource unique des danfeurs modernes.
Un maître écrivain eft un expert qui enfeigne à
faire des lettres. Un maître à danfer eft un artifte
qui montre à faire des pas. Le premier n’eft pas plus
éloigné de ce que nous appelions dans la littera-
îiué un écrivain , que le fécond 1 eft de ce qui peut
mériter au théâtre le nom de danfeur.
Outre les éléments de fon art, il faut au danfeur,
comme à f écrivain, un ftyle dont ils font la
matière première ; & ce ftyle eft plus ou moins
eftimable, félon qu’il rend , qu’il exprime, cju’il
peint avec élégance une plus grande quantité de
chofes eftimablesagréables, utiles. .
Si j’étois donc chargé de la conduite d’un jeune
danfeur en qui j ’aurois àpperçu de l’intelligence ,
quelque amour pour la gloire, & un véritable talent
, je lui dirois : commencez par avoir un ftyle ;
mais prenez garde que ce ftyle fait à vous, Soyez original,
f i vous afipirez à être un jour quelque chofe.
Sans cette première condition ,foye[fûr de nêtre jamais
rien.
Je pafterois de cette première vérité à une fécondé.
U art delà danfe fimple, lui dirois-je, a été
pouffé de nos jours aufjî loin qu'il foit poffiblé de le
porter. Nul homme ne s*eft mieux deffiné encore que
Dupré; nul ne fera les pas avec plus d'élégance; nul
n ajufiera fes attitudes avec plus de nebleffe. N’efpé-
re{ pas de furpaffer les grâces de Mademoifelle Sallé.
Vous vous flattez ,fi vous croyez arriver jamais à une
gaieté plus franche , a une précifion plus naturelle ,
que celles qui bnlloient dans la danfe de Mademoi-
felle Camargo. I l femble que ces trois fujets aient
Equitation , Efcrinie & Danfe,
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êpuifé ces fortes de reffources de l’art ; mais, par bonheur,
La danfe en aâiori- vous refie. Ceft un champ
vafle, encore en friche : ofeç le cultiver. 'Vous trouve*
y re% d'abord quelques épines ; ne vous rebute{ pas :
opiniâtrez-vous. La moiffoti la plus abondante ne tardera
pas à vous dédommager de Vós peines. Connoiffiz
votre ficelé : il aime les arts. Tout ce quils tentent pour
lui plaire efi fur d'être accueilli ; tout ce qui a l avantage
d’y reujfir eft fur de la gloire ; & il eft rarequ un.
artifte qu'il couronne ait long-temp s a fe plaindre de
la fortune.
Des aidions convenables à la danfe théatrale.
Le théâtre lyrique eft en poftefiion de plufieurs
aélions tragiques , de quelques fujets comiques , de
la paftoraie, de la magie , delà féerie » du merveilleux
de la fable, & depuis quelque temps de la
farce de de là les monts.
Chacune de ces a&ions a des beautés ou des
agréments qui lui font particuliers, & le charme
qui en réfulte dépend de la manière feule de les
traiter.
Or le gefte peut peindre avec grâce tout ce que
la voix peut exprimer. Toutes les aélions dont le
théâtre lyrique eft en poftefiion peuvent donc etre
convenables à la danfe.
Pylade & Baiyle ont rendu autrefois fur leurs
théâtres la tragédie & la comédie ; touts les genres
trouvés depuis ne font que des branches de ces
deu.x tiges principales. , . .
Rome, pour s’afibeier en quelque forte a la gloire
de ces deux hommes célèbres , honora leur danfe
d’une dénomination nationale. Lorfqu il s elevera
parmi nous quelque grand talent aflez inftruit des
poffibilités de l’art, pour fe les rendre propres , la
place , n’en doutons point, lui fera marquée dans
l’hiftoire des artiftes fameux, à côté des Pylades &
des Batyles; & fa danfe, digne feule de ce nom x
fera déformais appellée la danfe françoifé.
Des allions principales en danfe.
Notre tragédie & notre comédie ont une étendue
& une durée qui font foutenues par les charmes
du difeours, par la finefle des détails, par la variété
des faillies de l’efprit. L’aélion (e divife en
ades: chaque acte eft partagé en fcènes ; les feenqs
amènent fucceffivement les fituations ; les fitua-
tions , à leur tour, entretiennent la chaleur, for-
ment le noeud, conduifent au dénouement, & lé
préparent.; . . , ./.
Telles doivent etre, mais avec plus de precilion
encore, les tragédies & les comédies en danfe ; je
dis avec plus de précifion , parce que le gefte eft
plus précis que le difeours. Il faut plufieurs mots
pour exprimer une penfée ; un feul mouvement
peut pejndre plufieurs penfées , & quelquefois la
plus forte fituation. Il faut donc que l’action theatrale
marche toujours avec la plus grande rapidité
qu’il n’y ait point d’entrée , de figure , de pas
inutiles. Une bonne pièce de théâtre en danfe doit