
■ s < a B A L
celles de la fécondé les remplaçoient, en parcourant
la route fuivante ; & celles de la troifieme leur
fuccèdoient, en paffant à leur tour fur la troifieme
route, ainfi du telle, jufqu’à ce qu enfin la dernière
claffe, compofée de petits enfants, termina cette
courfe en paffant fur le pont. La dégradation etoit
11 correélement obf'ervée, que l’oeil s y trompoit;
ce qui n’ètoit qu’un effet de l’art & des proportions,
avoir l’air le plus vrai & le plus naturel : la fiélion
étoit telle , que le public n’attribuoit cette dégradation
qu’à l’éloignement des objets, & qu’il s’imagt-
noit que c’étoit toujours les mêmes chalfeurs St les
mêmes chaffereffes qui parcouroient les differents
chemins de la forêt. La mufique avoit a meme
dégradation dans les fons, & devenoitplus douce
à mefure que la chaffe s’enfonçoit dans la foret,
qui étoit vafte & peinte de bon goût.
Je ne faurois dire le plaifir que me procura cette
idée mife en exécution , dont l’exécution furpaüa
même mon attente , & qui fut généralement fentie.
Voilà rillufion que produit le théâtre , lorlque
toutes les parties en font d’accord, &que,lesartiftes
prennent la nature pour leur guide & leur modèle.
Je crois que j’aurai à-peu-pres rempli 1 objet que
je me fuis propofé , en faifant faire encore une ob-
fervation fur l’entente des couleurs. Les jaloufies ou
Us fêtes du ferrai! ont offert l’efquiffe de la diftribu-
tion qui doit régner dans les quadrilles Ae\ballets ;
mais comme il eff plus ordinaire d habiller les dan-
feurs & danfeufes uniformément, J ai fait une
épreuve qui m’a réuffi, & qui ôte à l ’uniformtte des
habits le ton dur & monotone qu’ils ont ordinairement
; c’eft là dégradation exade de la même couleur
’ divifée dans toutes les nuances, depuis le
bleu foncé, jufqu’au bleu le plus tendre; depuis le
ro fe v if, jufqu’au rofe pâle ; depuis le violet, )uf-
qu’au lilas clair : cette difiribution donne du jeu &
de la netteté aux figures ; tout fe détache 8c fuit dans
de jliftes proportions ; tout enfin a du relief 8c fe
découpe agréablement de deffus les fonds.
Si dans une décoration reprèfentant un antre de
l ’enfer le maître de ballets veut que la levée du rideau
laifte voir & ce lieu terrible St les tourments
des Danaiies, d’Ixion, .de Tantale, de Sifyphe ,
& les différents emplois des divinités infernales;
s’il veut enfin offrir au premier coup - d’oeil un tableau
mouvant & effrayant des fupphces des enfers
comment réuffira-t-il dans cette compofmon
momentanée , s’il n’a l’art de diftribuer les objets,
& de les ranger dans la place que chacun d eux doit
occuper ; s’il n’a le talent de faifir l’idée première
du peintre , 8c de (itbordonner toutes les fiennes au
fond que celui-ci lui a préparé î Ce font des rochers
obfcurs 8c lumineux, des parties brillantes, des parties
éteintes de feu ; c’eft une horreur bien entendue
qui doit régner dans le tabldau ; tout doit etre
affreux» tout enfjn doit indiquer le lieu de la icene,
& annoncer les tourments & la douleur de ceux qui
la rempliffent. Les habitants des enfers , tels qu’on
|e$ repréfente au théâtre ? font ?|tus de toute? les
B A L
couleurs qui compo.fent les flammes ; tantôt le fond
de leur habit eft noir, tantôt il eft ponceau ou couleur
de feu ; ils empruntent enfin toutes les teintes
qui font employées dans la décoration. L’attention
que doit avoir le maître de ballets , c’eft de placer
fur les parties obfcures de la décoration les habits
les plus clairs & lès plus brillants de diftribuer
fur toutes les maffes de clair les habits les plus fom-
bres & les moins éclatants. De ce bon arrangement
naîtra l’harmonie ; la décoration fervira , fi j ofe
m’exprimer ainfi , de repouffoir au ballet : celui-ci |
à fon tour augmentera le charme de la peinture &
lui prêtera toutes les forces capables deféduire,
d’émouvoir & de faire illufion au fpeélateur.
Des danfes nommées ballets.
Que dire de touts ces titres, dont on décqre ces
mauvais divertiffemens deftinés en quelque façon
à l’ennui, & que fuivent toujours le froid & le
dégoût ? Oii les nomme tous ballets pantomimes,
quoique dans le fond ils ne difent rien. La plupart
des danfeurs eu des compofiteurs auroient bei'oin
d’adopter l’ufage que les peintres fuivoienr dans les
fiècles d’ignorance ; ils fubftituoient à la place du
mafque des rouleaux de papier qui'fprtoient de la
bouche des personnages; & fur ces rouleaux , lac*
tion, l’expreflion & la Situation que chacun d’eux
devoit rendre , étoient écrites. Cette précaution
utile , qui mettoit le fpe&ateur au fait de 1 idée & |
de l’exécution imparfaite du peintre , pourroit feule
l’inftruire «aujourd’hui de la lignification des mouvements
méchaniques & indéterminés de nos pan*
tomimes. Le dialogue des pas de deux , les réflexions
des entrées feules , & les xonverfations
des figurans & des figurantes de 110s jours, feroient
au moins expliquées. Ün bouquet , un ratèau 9 une
ç-age, une vièle ou une guitarre ; . voilà à-peu près
ce qui fournit l’intrigue de nos Superbes ballets;
voilà les fujets grands & vaftes qui nâiffent des (
efforts de l’imagination de nos compofiteurs 5
avouons qu'il faut avoir un talent bien éminent &
bien Supérieur , pour les traiter avec quelque dif-
tinélion. Un petit pas triçoté mal-adroitement fur
le coup-de pied , fert d’expofition, de noeud & de
dénouement à ces chefs-d’oe uvre; cela veut dire,
voulez-vous dqnfer avec moi , &. l’on danfe ; cf
font là les drames ingénieux dont on nous repaît j
c’eft ce qu’on nomme des ballets Cl invention , de la
danfe pantomime. ; . . , ,
Fotfan, le plus agréable & le plus Spirituel de
touts les danfeurs comiques, a fait tourner la tete
aux élèves devTerpfychore ; tous «fnt voulu le copier
, mais fans l’avoir vu, On a facrifié le beau
genre au trivial ; on a fecoué le joug des principes;
on a dédaigné & rejette toutes les règles; on se»
livré à des Sauts, à dçs tours de force ; ©n a celle
de danSer, & l’on s’eft cru pantomime, comme U
l’on pouvoir être déclaré te l, lorfqu’on manque to- i talement par l’expreflion , lorfqu’on ne jjeint rien,
! lorfque la danfe eft totalement défigurée par des
I * *'' • • çharges
B A L
charges groflières , lorfqu’elle fe borne à des con-
«orfions hideufes , lorfque le mafque grimace a
contre-fens , enfin lorfque l’a&ion qui devoit etre
accompagnée & foutenue par la grâce, elt une
fuite d’efforts répétés, d’autant plus defagreables
pour le Spe&ateur , qu’il fouffre lui - même du
travail pénible & forcé de l’exécutant. Te l eft cependant
le genre dont le théâtre eft en poljel-
jfjon ; & il faut convenir que nous fommes riches
en fujets de cette’ efpèce. Cette fureur d imiter
ce qui n’eft pas imitable , fait & fera U perte d un
nombre infini de danfeurs & de maîtres de ballets.
La parfaite imitation demande que 1 on ait
en foi le même goût , les mêmes difpofitions , la
même conformation , la même intelligence & les
mêmes organes que l’original qu’on fe propofe^ d 1-
miter; or ; comme il eft rare de trouver deux etres
également reffemblans en tout, il eft rareaufli de
trouver deux hommes dont les talens, le genre &
la manière Soient exactement Semblables. Le mélangé
que les danfeurs ont fait de la cabriole avec
la belle danfe, a altéré fon caractère & dégradé fa
nobleffe ; c’eft un alliage qui dimique fa valeur oc
qui s’oppofe , ainft que je le prouverai dans la
fuite, à l’expreffion vive & à l’aélion animee qu elle
pourroiravoir, fi elle fe dégageoit de t0*ir^ *es
inutilités qu’elle met au nombre de fes perfections.
Ce n’eft pas d’aujourd’hui qn’on donne le titre de
■ ballet à des danfes'figurées que l’on ne devroit appeler
que du nom de divertiffement ; on prodigua
jadis ce titre à toutes les fêtes éclatantes qui le
donnèrent dans les, différentes cours de lEuiope.
L’examen que j’ai fait de routes ces fêtes , me per-
fuade que l’on a eu tort de le leur accorder. Je n y
ai jamais vu la danfe en aétion ; les grands récits
étoient mis en ufage au défaut de l’expremon des
danfeurs, pour avertir le Spectateur de ce qu on
alloit repréfente'r ; preuve claire & convaincante
de leur ignorance , ainfi que du Silence & de 11-
nefficâcité de leurs mouvemens. Dès le troifieme
fiècle, on commençoit à s’appercevoir delà monotonie
de cet art & de la négligence des artutes.
Saint Auguftin lui-même, en parlant des ballets ,
dit qu’on étoit obligé de placer fur le bord de la
Scène un homme qui expliquoit à haute voix
l’aftion qu’on alloit peindre. Sous le règne de
Louis X IV , les récits, les dialogues & les monologues
ne fervoient-ils pas également^ d interprètes
à la danfe ? Elle ne faifoit que bégayer. Ses
fons foibles & inarticulés avoient befoin d être fou-
tenus par la mufique & d’être expliqués par la
poéfie ; ce qui équivaut fans doute a 1 efpe.ce de
héraut d’armes du théâtre , au crieur public dont
je viens de vous parler. Il eft en vérité bien étonnant
que fiépoque glorieufe du triomphe des beaux
arts, de l’émulation & des progrès des artiftes ,
n’ait pas été celle d’une révolution dans la danfe
& dans les ballets ; & que nos maîtres , non moins
encouragés & non moins excités alors par les fuc-
fès qu’ils pouvoient fe promettre dans un fiecle
Eyuiuitipn, Efcrime & Danfe»
B A L%;% 3 5 3
où tout fembloit élever 8t féconder le génie ,
foient demeurés dans la langueur & dans une hon-
teufe médiocrité. Vous favez que le langage de la
peinture, de la poéfie & de la fculpture etott déjà
celui de l’éloquence 8c de l’énergie. La mulique ,
quoique encore au berceau , commençoit a S exprimer
avec nobleffe; cependant ,1a danfe etoit laits
v ie, fans caraflère & fans aflion. Si le ballet eft le
frère des autres ans , ce n’eft qu’autant qu il en
réunira les perfeaions ; tnais on ne fauroit lui déférer
ce titre glorieux dans l’état pitoyable ou u
fe trouve ; 8c on eft obligé de convenir que ce
frère , fait pour faire honneur à la famille , elt un
fujet déplorable, fans goût, fans efprit, fans imagination,
qui mérite à tous égards d’être méconnu.
Nous connoiffons parfaitement le nom des hommes
iiluftres qui fe font diflingués alors ; nous n i-
enorons pas même ceux des fauteurs qui brilloient
par leur foupleffe Scieur agilité; 8c nous n avons
qu’une idée très-imparfaite du nom de ceux qui
cômpofoient les ballets ; quelle fera donc celle que
nous nous formerons de leurs talens . Je conudere
toutes les produaions de ce genre dans les differentes
cours de l’Europe , comme des ombres in-
complettes de ce qu’elles font aujourd'hui & de ce
qu’elles pourront être un jour. J imagine que c elt
à tort que l’on a donné ce nom a des fpectacles
fomptueux , à des fêtes éclatantes qui réumffoient
tout à-la-fois la magnificence des décorations , le
merveilleux des machines , la richeffe des vete-
mens , la pompe du coftume , les charmes de la
poéfie , de la mufique & de la déclamation , le fe-
duifant des voix, le brillant de l’artifice 8c de 1 illumination,
l’agrément de la danfe & des divertil-
femens , l’amufement des fauts périlleux & des
tours de force toutes ces parties, détachées forment
autant de fpeélacles diffèrens ; ces mêmes
parties réunies en compofent un digne des plus
grands rois. Ces fêtes étoient d’autant plus agréables
, qu’elles éioient diverfifiées, que chaqueSpectateur
pouvoit y favourer ce qui étoit relatif à fon
goût 8c à fon génie ; mais je ne vois pas dans tout
cela ce que je dois trouver dans le ballet. Dégagé
des préjugés de mon état 8c de tout emhoufialme ,
je confidère ce fpeaaçle compliqué comme cqlui
de la variété 8c de la magnificence , ou comme la
■ réunion intime des arts aimables ; ils y tiennent
tous un rang égal ; ils ont dans les programmes les
mêmes prétentions ; je ne conçois pas neanmoins
comment la danfe peut donner un titre à ces diver-
tiffemens , puifqu’elle n'y eft point en aSton ,
qu’elle n’y dit rien , 8c qu’elle n’a nulle tranfeen-
dance fur les autres arts , qui concourent unanimement
8c de concert aux charmes, à l’élégance
8c au merveilleux de ces repréfentations.
l.e ballet eft.fu ivant Plutarque, une converfa-
tion muette, une peinture parlante 8c animée, qui
exprime par les mouvements, les figures 8cles gef-
tes Ses figures font fans nombre , dit cet auteur ,
parce qu’il y a une infinité de chofes que le bal