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leur que lui cause sa large blessure, fait les plus grands
efforts pour se délivrer du harpon qui la déchire; elle
s’agite, se fatigue, s’échauffe ; elle vient à la surface de la
mer chercher un air qui la rafraîchisse et lui donne des
forces nouvelles. Toutes les chaloupes voguent alors
vers elle; le harponneur du second de ces bâtimens lui
lance un second harpon ; on l’attaque avec la lance. L’animal
plonge, et fuit de nouveau avee vitesse; on le poursuit
avec courage; on le suit avec précaution. Si la corde
attachée au second harpon se relâche, et sur-tout si elle
flotte sur l’eau, on est sûr que le cëtacée est très-affoi-
bli, et peut-être déjà mort; on la ramène à soi; on la
retire, en la disposant en cercles ou plutôt en spirales ,
afin de pouvoir la filer de nouveau avec facilité, si le
cétacée, par un dernier effort, s’enfuit une troisième
fois. Mais quelques forces que la baleine conserve
après la seconde attaque, elle reparoît à la surface de
l’océan beaucoup plutôt qu’après sa première blessure.
Si quelque coup de lance a pénétré jusqu’à ses poumons,
le sang sort en abondance par ses deux évents. On ose
alors s’approcher de plus près du colosse ; on le perce
avec la lance; on le frappe à coups redoublés; on tâche
de faire pénétrer l’arme meurtrière au défaut des côtes.
La baleine, blessée mortellement, se réfugie quelquefois
sous des glaces voisines : mais la douleur insupportable
que ses plaies profondes lui font éprouver, les harpons
qu’elle emporte, qu’elle secoue, et dont le mouvement
agrandit ses blessures, sa fatigue extrême, son afl’oiblissement
que chaque instant accroît, tout l’oblige à
sortir de cet asjle. Elle ne suit plus dans sa fuite de direction
déterminée. Bientôt elle s’arrête ; et réduite aux
abois, elle ne peut plus que soulever son énorme masse,
et chercher à parer avee ses nageoires les coups qu’on
lui porte encore. Redoutable cependant lors même
qu’elle expire, ses derniers momens sont ceux du plus
grand des animaux. Tant qu’elle combat encore contre
la mort, on évite avec effroi sa terrible queue, dont
un seul coup feroit voler la chaloupe en éclats; on ne
manoeuvre que pour l’empêcher d’aller terminer sa
cruelle agonie dans des profondeurs recouvertes par
des bancs de glace, qui ne permettroient d’en retirer
son cadavre qu’avec beaucoup de peine.
Les Groenlandois, par un usage semblable à celui
qu’Oppien attribue à ceux qui pêchoîent de son temps
dans la mer Atlantique, attachent aux harpons qu’ils
lancent, avec autant d’adresse que d’intrépidité, contre
la baleine, des espèces d’outres faites avec de la peau
de phoque, et pleines d’air atmosphérique. Ces outres
très-légères, non seulement font que les harpons qui
se détachent flottent et ne sont pas perdus, mais encore
empêchent le cétacée blessé de plonger dans la mer, et
de disparoître aux jeux des pécheurs. Elles augmentent
assez la légèreté spécifique de l’animal, dans un moment
où l'affaiblissement de ses forces ne permet à ses nageoires
et à sa queue de lutter contre cette légèreté,
qu’avec beaucoup de désavantage, pour que la petite